Journal d’informations locales

Le 18e du mois

Abonnement

FacebookTwitter

septembre 2022 / Patrimoine

Bénédictines de la Butte : un oratoire design

par Dominique Boutel

C’est un lieu encore secret, protégé par sa fonction : l’oratoire des Bénédictines du Sacré-Cœur de Montmartre révèle un ameublement et une décoration parfaitement originaux signés Jean et Sébastien Touret. Qui sont-ils et comment ont-t-ils gravi les pentes de la Butte ?

Ordre contemplatif fondé par une certaine Adèle Garnier en 1872, au moment de la construction de la basilique, les Bénédictines se sont installées dans différents lieux autour de la Butte, pour finir par intégrer en 1984 la cité du Sacré-Cœur. Lorsque la réfection de la chapelle noircie par le temps est décidée, la prieure Sœur Marie-Agnès qui dirige alors la communauté, fait le choix d’une décoration qui serve la contemplation, vocation du lieu. Sa demande est très précise et traduit deux passages du Nouveau Testament. Elle la confie à Jean Touret que lui a présenté l’archevêque de Paris Jean-Marie Lustiger. Ce dernier vient régulièrement se recueillir chez les Bénédictines. Il a lui même commandé en 1989 le maître-autel de Notre-Dame de Paris, ainsi que des sculptures pour les piliers et des chandeliers, à cet ébéniste.

Une rencontre décisive

Jean Touret a grandi à la campagne, en Mayenne. D’abord peintre, la guerre lui permet de rencontrer le matériau qu’il travaillera toute sa vie : le bois. Fait prisonnier, il passe en effet sa captivité auprès de bûcherons à la frontière de la Tchécoslovaquie. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Jean Touret et sa famille, très religieuse, s’installent dans un village de Beauce, à Marolles. Le jeune homme y rencontre des menuisiers, des vanniers, des potiers, paysans le jour, artisans le soir. Il se découvre alors un talent pour la sculpture et crée le groupement des Artisans de Marolles, avec le désir de renouer avec une civilisation plus traditionnelle, à une époque qui voit le déferlement du Formica.

Les meubles que ces artisans-artistes – regroupés en coopérative – créent, ont un succès immédiat, objets où le bois rencontre le fer forgé ou la vannerie et où apparaissent les traces des instruments qui les modèlent. La rencontre de Jean Touret, artiste profondément mystique, avec Jean-Marie Lustiger, va lui ouvrir les portes des lieux de cultes où il crée tout un corpus de maîtres-autels, de retables, de sculptures et d’objets religieux.

Abstraction en bois, métal et pierre

Jean Touret aménage complètement la chapelle du prieuré Saint-Benoît, derrière le Sacré-Cœur, assisté par son fils Sébastien avec lequel il travaille depuis 1971. Jean Touret conçoit le retable, une large plaque de cuivre habitée par les formes abstraites de la foule des croyants, rehaussée de rouge, et la croix, où le corps du Christ aux bras dressés vers le ciel est percé dans le cuivre du coup de lance qu’évoque le texte biblique de référence. Sébastien Touret imagine les candélabres linéaires, le pupitre à trois pieds si léger, le bénitier en bronze en forme de fleur, ainsi que le mobilier très sobre et géométrique qui doit accueillir les sœurs et les fidèles : lignes des chaises peintes en bois blanc, bancs également blancs, d’une extrême simplicité. Toute l’œuvre des Touret père et fils, tend et réussit à magnifier les matériaux utilisés, bois, métal ou pierre, pour en extraire ce qui fera spirituellement sens, sans imposer des images stéréotypées. L’abstraction des formes est au service de la foi. Dans ce bel ensemble, encore aujourd’hui, les quelques rares Bénédictines qui vivent là se disent très heureuses de se recueillir.

Dans le même numéro (septembre 2022)

  • Le dossier du mois

    Patrimoine

    Annie Katz, Dominique Boutel, Sandra Mignot
    A l’occasion des Journées du patrimoine, du 16 au 18 septembre, Le 18e du mois vous propose de découvrir des lieux peu connus de l’arrondissement, les initiatives proposées dans le cadre de l’évènement et de faire le point sur le projet de classement de Montmartre.
  • Patrimoine

    Archéologie : villas romaines, sarcophages mérovingiens et baïonnettes de la commune

    Sandra Mignot
    Dans les entrailles de Lutèce dorment encore des vestiges, témoins d’une histoire en écriture perpétuelle. Le pôle archéologique de Paris a pour mission l’inventaire, l’étude, la conservation et la valorisation de ce patrimoine.
  • Patrimoine

    Montmartre : classer ou protéger ?

    Dominique Boutel
    Montmartre est une proie bien tentante pour les promoteurs aux dents longues. Mais la sauvegarde de son patrimoine immobilier est une urgence. L’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco relance le débat. Le Vieux Montmartre milite pour un classement en site patrimonial remarquable (SPR). Bertrand Monchecourt, architecte du patrimoine DPLG et membre de l’association, précise les enjeux actuels.
  • La vie du 18e

    Des maillots de bain éco-responsables [Article complet]

    Marie-Antoinette Leca
    Deux jeunes entrepreneuses ont créé une ligne de maillots de bains adaptée à un large public féminin tout en préservant la planète.
  • La vie du 18e

    Fresbee. De la plage au stade Dauvin

    Victor Le
    Créé en 1940, l’Ultimate Frisbee s’est peu à peu développé en France jusqu’à atteindre 5 000 licenciés en 2022. Révolution’air, implanté porte de Clignancourt, est l’un des clubs leaders en France.
  • La vie du 18e

    Le mystère des boîtes aux lettres scotchées

    Monique Loubeski
    Des boîtes aux lettres condamnées puis remises en service, le service postal dit s’adapter au vandalisme et au vol. Les syndicats, eux, sont dubitatifs.
  • Histoire

    Il était une fois un cirque

    Danielle Fournier
    Il y a 150 ans commençait l’histoire d’un lieu emblématique dédié au cirque. Sous l’impulsion de la famille Medrano et surtout de Jérôme, clown fondateur et de son fils, une pléiade d’artistes de toutes disciplines ont attiré au cirque un public nombreux. Jusqu’au dernier tour de piste, pourtant en plein succès, sous les attaques d’un concurrent acharné...
  • Culture

    Echomusée : depuis trente ans une vitrine pour la Goutte d’or et ses artistes

    Michel Cyprien
    La galerie qui jouxte le square Léon affiche un curriculum impressionnant, même si son fondateur estime qu’elle souffre toujours d’un manque de visibilité.
  • Les Gens

    Un lanceur d’ondes, de Montréal à La Chapelle

    Noémie Courcoux Pégorier
    Partager, transmettre, émettre, tel est l’objectif de Pierre Petiote, à la tête de la webradio associative et participative RapTz. Il forme les habitants du quartier aux techniques de la radio afin de promouvoir les initiatives citoyennes.