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Janvier 2016 / Histoire

Le boucher de La Chapelle

par Annick Amar

En 1879, Victor-Joseph Prévost a assassiné et dépecé au moins deux personnes, dispersant des paquets sanglants dans tout le quartier. Il était… gardien de la paix !

Les bijoux, c’est comme les femmes, leur possession suffit pour vous en dégoûter » déclare, sans vergogne, Victor-Joseph Prévost, gardien de la paix attaché au poste de l’Évangile dans le quartier de La Chapelle, lors de son arrestation. Il est accusé du double assassinat de sa maîtresse Adèle Blondin et du courtier en bijouterie Alexandre Lenoble. Nous sommes alors en fin d’année 1879 et la France est depuis neuf ans sous le régime de la Troisième République.
La police est à cette époque une institution très critiquée. Cette année-là, le journal La Lanterne n’a pas hésité à publier une série d’articles dénonçant toutes sortes d’abus et de brutalités policières (passages à tabac lors d’interrogatoires, ligotages…). Le préfet de police de Paris commet alors une grave erreur en portant plainte contre le journal car les témoignages recueillis confirment ensuite que les accusations sont fondées. Un violent débat éclate à l’Assemblée nationale : le ministre de l’Intérieur et le préfet de police démissionnent.
En mars 1879, Louis Andrieux, le nouveau préfet de police de Paris, est nommé. Il a pour mission de redorer le blason de la police. L’affaire du policier assassin Prévost tombe donc très mal. Néanmoins les consignes sont claires. Ce dossier doit être réglé au plus tôt et de manière définitive.
Cette curieuse affaire a commencé vers 8 h du soir dans le 18e arrondissement de Paris, le 10 septembre 1879.

Macabres découvertes

La veuve Thiéry, une blanchisseuse résidant au 163 rue de La Chapelle prend le frais devant chez elle lorsque son attention est attirée par un étrange manège. Elle observe depuis plusieurs minutes la silhouette d’un homme qu’elle pense connaître et qui zigzague d’un côté à l’autre de l’impasse du Pré-Maudit. Il est en train de regarder le caniveau puis dépose un paquet en y donnant de violents coups de pieds. Il s’agit d’un homme de haute taille portant une blouse et coiffé d’une casquette d’ouvrier.
Dès que l’inconnu disparaît, poussée par la curiosité, Mme Thiéry va voir de plus près et trouve alors un paquet sanglant enveloppé de toile grossière à moitié enfoncé dans une bouche d’égout. Bouleversée, elle se précipite, le paquet sous le bras chez son boucher puis chez son pharmacien. Les deux hommes sont catégoriques ; il s’agit bien d’un bras humain sectionné au coude et au poignet. « Du beau travail » précise même le boucher.
La veuve se rend ensuite au commissariat de La Chapelle où elle raconte les circonstances de sa sinistre trouvaille. Le commissaire Adolphe Lefébure est d’autant plus étonné qu’il vient de recevoir le témoignage d’une jeune ouvrière qui a vu, elle aussi, un homme, jeter un objet dans une bouche d’égout en y donnant de violents coups de pied. Il ordonne alors qu’il soit procédé à des recherches dans les égouts du quartier dans la limite des rues de La Chapelle, de l’Evangile et d’Aubervilliers.
Agents et habitants sont mis à contribution. Et, au petit matin, 77 morceaux d’un corps d’homme sont rassemblés. Toutefois il manque la tête, la main gauche et divers viscères. Le lendemain matin, la veuve Thiéry, encore sous le choc, se rend au poste de police du 17 rue de l’Evangile afin de faire enregistrer sa déposition lorsque dans la salle où se tiennent les policiers, elle reconnaît subitement l’homme qu’elle a aperçu la veille au soir. Il s’agit du « bel homme », un gardien de la paix que les habitantes de l’arrondissement ont ainsi surnommé en raison de sa prestance physique. Il s’appelle Victor-Joseph Prévost mais le commissaire Lefébure refuse de la croire. Prévost, n’est-il pas un agent à la conduite irréprochable et décoré, de surcroît, de la médaille d’Italie ? Ses collègues le considèrent même comme un assez bon camarade mais lui reprochent son caractère renfermé, son avarice, son goût prononcé pour l’argent et…
(La suite dans le numéro de janvier 2016)


Illustration : © Séverine Bourguignon

Dans le même numéro (Janvier 2016)