décembre 2024 / Dossier : Un toit pour tous ? Toujours dans l’impasse
Femmes et enfants sans-abri vers un accueil pérenne ?
Sur la façade du lycée Suzanne Valadon, fermé par la région, apparemment rien ne semble avoir changé. Pourtant, depuis un an, ce centre d’hébergement d’urgence accueille des familles, souvent des femmes seules avec enfants qui vivaient dans la rue.
On se souvient qu’à la fin de l’année 2022 un collectif composé de parents d’élèves, de professeurs, d’assistantes sociales et de gens de bonne volonté ont fondé Une école un toit Paris 18e. « Quand le 115 ne répond pas et que le nombre de familles à la rue avec des enfants scolarisés augmente, il faut faire quelque chose », résume Carole, une des cofondatrices de l’association. Plusieurs familles ont alors été logées dans les écoles de manière informelle et d’autres ont été « parfois accueillies sur un coin de canapé de manière provisoire chez des parents ». En novembre 2023, à la suite d’un rassemblement devant la mairie, la région a accepté sous la pression de la mairie du 18e de mettre à l’abri des familles en privilégiant celles, nombreuses, qui étaient hébergées dans les écoles de notre arrondissement (voir notre numéro 321).
Ensemble sous un toit
Est-ce la solution ? Plutôt une des solutions pour le collectif qui constate qu’on « se retrouve contraint de prioriser la misère et de faire des choix », même s’il souligne l’engagement du maire du 18e et de Pierre-Yvain Arnaud, maire-adjoint « qui se bat pied à pied aux côtés du collectif ».
Samira, la cheffe de service, présente le centre de la rue Ferdinand Flocon – géré par Emmaüs solidarité – comme un sas et un tremplin. Néanmoins, elle s’interroge : « 121 personnes sont sorties, soient 32 familles, mais cela ne règle en rien la question de l’hébergement d’urgence, toujours renouvelée. En ce moment, 74 enfants sont accueillis, en famille ». Parfois, cela peut créer des tensions si on s’interroge sur « qui sort et après combien de temps ».
Les critères sont nombreux, comme les demandeurs, aux parcours tous difficiles et tous différents. À l’heure actuelle, 18 familles qui étaient accueillies dès l’ouverture sont encore là et ne souhaitent pas y passer un deuxième Noël. En attente d’un dispositif adapté, elles sont censées rester peu de temps. En attendant, le centre propose un accompagnement global aux 120 personnes accueillies grâce à trois travailleurs sociaux, une animatrice et six auxiliaires socio-éducatifs qui se relaient auprès des familles.
Comme le dit Khadija*, hébergée depuis six mois au lycée Valadon avec ses trois jeunes enfants, dont un lourdement handicapé : « ce n’est pas parfait mais au moins mes enfants ne sont pas séparés, on est ensemble tous les quatre et à l’abri ». Leur chambre est une ancienne classe aménagée avec des paravents aux cloisons fines, où deux ou trois familles sont logées. Un lieu où le bruit et une certaine promiscuité peuvent laisser transparaître parfois « une intolérance culturelle entre les personnes » venues de divers horizons.
Par exemple autour des repas, servis deux fois par jour par l’association Label Gamelle et qui sont les mêmes pour toutes et tous. Les associations qui offrent ce service comme Quartier libre (voir notre numéro 330) sont d’autant plus appréciées, d’autant que « le quotidien est compliqué » concède Khadija, qui a subi de graves violences de la part de son mari et qui est venue en France pour faire soigner son enfant. « Mais les enfants sont contents d’être scolarisés ici, avoue-t-elle. Ils me donnent du courage ». En effet, ce sont souvent les enfants qui motivent leur mère dans l’espoir d’une meilleure vie et qui les aident à chasser les idées noires.
Les limites du système
Dans le centre règne le calme, une organisation rodée et une prise en charge permettent aussi de proposer des activités pour les enfants et pour les mamans. « Ce qui compte, explique Samira, c’est de passer de la survie au soin, notamment envers les enfants, à travers l’éducation par le sport et pour les mamans avec des ateliers d’esthétique, de la gym douce, des sorties ». La question de la santé est bien sûr centrale, avec une attention à l’hygiène, à l’environnement et au suivi de l’école, avec des conseils de vie sociale délivrés à la fois pour les enfants et pour les parents. À la différence d’autres lieux, ici, de nombreux riverains, commerçants ou habitants se déclarent satisfaits de cette implantation et apportent de l’aide en nature.
Alors, un an après l’ouverture de ce lycée, malgré l’importance du tissu associatif, l’implication de la Mairie et l’engagement de l’équipe du centre Emmaüs solidarité qui s’emploie « à préparer pour après », la situation reste difficile. L’hiver est là et l’association Jamais sans toit fait remarquer que sur les cinq lycées annoncés par la région dans Paris seuls trois ont été réellement transformés en centres d’hébergement et que « ce sont les citoyens qui pallient les carences de l’État. On arrive au bout du système. »
Photo : Thierry Nectoux