Une pièce âpre où trois histoires, trois douleurs se croisent sur un quai de gare, sans que leurs porteurs puissent jamais se comprendre.
Il est des événements maintenant anciens qui ont du mal à être digérés. La guerre d’Algérie en est l’exemple le plus significatif. Longtemps réduite à une opération de maintien de l’ordre, elle a déchiré des millions de familles des deux côtés de la Méditerranée. Le Quai propose une plongée dans ce drame. Il se déroule dans une gare, en France, quelques semaines après la fin de la guerre.
Trois personnages profondément affectés par celle-ci se croisent. Chacun est habité par ses fantômes, par ses démons personnels. Romain, un militaire breton, a traversé toute la guerre. Il est profondément traumatisé par les exactions commises par les soldats et par la mort de son meilleur ami, un certain Meursault (le nom même du meurtrier de L’Etranger de Camus).
Il y a aussi une psychologue originaire d’Oran, Rachel Duval, qui travaille pour l’armée française. Femme pied-noir, elle voudrait promouvoir la fraternité entre les peuples, mais n’admet pas l’abandon de l’Algérie. Elle est portée par le souvenir d’une jeune femme, Souad Belkacem, avec qui elle entretint une profonde amitié d’enfance. Souad a, elle, épousé un combattant du FLN, mort au combat. Elle a été torturée par le fameux Meursault et a perdu la tête… La rencontre entre ces trois personnages habités par une douleur indicible est impossible. Comment comprendre l’autre quand son propre traumatisme écrase tout le reste ?
Quelques notes de légèreté
Dans ce tableau éprouvant, deux personnages infusent un peu de légèreté, incarnant, avec maladresse, une forme d’humanité. Le chef de gare Guy, assez fantasque, cherche à entrer en contact avec les passagers, tout comme le mendiant Robert et ses réflexions bien senties sur la vie. Mais tous deux sont comme tout le reste de la société : incapables de saisir l’état de sidération de Romain, Rachel et Souad.
Cette pièce fait vraiment l’effet d’un coup de poing. On comprend pourquoi le soldat, la pied-noir et l’Algérienne ont été broyés par l’histoire. Pièce âpre, Le Quai, servi par une bande de jeunes comédiens très convaincants, offre heureusement quelques sourires.