L’oeuvre du mosaïste et sculpteur Charles Gianferrari est menacée par des futurs immeubles de la ZAC Chapelle Charbon. Alors que le petit-fils de l’artiste et un groupement de locataires ont proposé des solutions alternatives, les discussions avec l’aménageur et la Ville sont au point mort.
En partie camouflée par des arbustes qui ont pris leurs aises, la mosaïque de Charles Gianferrari est toujours là. Elle a été installée en 1987 sur le sol de la rue Jean Cottin et sur une sculpture en béton intégrant terre cuite et émaux. En haut de cette dernière, qui forme un mur transformant la rue en impasse, trônent des pierres semi-précieuses quasi intactes. On ne peut pas en dire autant du calepinage composé de briques multicolores sous nos pieds. « Vous voyez la tranchée-là, c’est un des derniers arguments pour justifier la destruction de ces œuvres : l’évacuation des sanitaires des futurs immeubles. Ils ont déjà tout saccagé », dénonce Arlette*, tout en désignant au sol une longue bande de briques arrachées.
Avec d’autres habitants du quartier, elle a créé le groupement de locataires Résilience 18 qui a été rejoint en octobre dernier par les ayants droit de l’artiste. Oris Gianferrari, le petit-fils, se démène à leurs côtés pour préserver la mémoire et les œuvres de son grand-père. En vain ?
D’Auroville à l’Évangile
Décédé en 2010, Charles Gianferrari a réalisé plusieurs œuvres remarquables, comme la mosaïque en marbre du patio de la mairie de Grenoble ou l’immense urne qui trône dans l’amphithéâtre d’Auroville, cette ville expérimentale indienne. À Paris, il a co-créé en 1962 L’Œuf, un centre d’études composé d’architectes décorateurs qui fut installé un temps aux Grandes-Carrières. C’est en 1987 qu’il réalisera sa mosaïque multicolore pour la ZAC Évangile, en collaboration avec Alain Gillot, architecte de l’ensemble immobilier Cottin-Queneau. Aujourd’hui, celle-ci est menacée d’être détruite pour ouvrir la rue Cottin sur le parc Chapelle Charbon et pour faciliter le raccordement des réseaux d’assainissement des futurs immeubles, rendu impossible par le fait que la sculpture est enfoncée trois mètres sous terre.
Alors que le projet date de 2016, ce n’est qu’en octobre dernier qu’Oris est contacté pour la première fois. Au téléphone : Myriam Bercovici, cheffe de projets urbains à la direction de l’urbanisme de la Ville de Paris. « Elle m’a dit que les œuvres allaient être détruites et que même si je m’y opposais, ça allait coûter de l’argent et ça ne changerait rien, explique le jeune homme de 29 ans. Ils m’ont ensuite proposé de recycler les œuvres de mon grand-père dans une démarche écoresponsable et de mettre une plaque commémorative. »
Heurtés par cette proposition et par ce qu’ils considèrent comme du mépris, Oris Gianferrari et Résilience 18 ont uni leurs forces pour trouver des solutions alternatives, quitte à sacrifier une partie de l’œuvre. La première : conserver la partie centrale du mur et créer deux ouvertures de chaque côté. La seconde : installer la canalisation rue de la Croix-Moreau, à une dizaine de mètres de la rue Cottin.
Une destruction déjà entamée
Les solutions proposées ne semblent pas avoir convaincu l’aménageur du projet, Paris & Métrople Aménagement (P&MA), la Mairie du 18e et la direction de l’urbanisme. Dans une lettre, cette dernière rappellait à juste titre que, dans ses avis datant de 1986, la direction de l’aménagement urbain prévoyait que l’impasse Cottin soit transformée ultérieurement en rue.
Mais quid des solutions proposées ? « Celle qui consisterait à dévier la canalisation des réseaux d’assainissement coûterait 1 million d’euros, rétorque Mario Gonzalez, adjoint au maire du 18e chargé de l’urbanisme et du logement. Quand vous avez un budget contraint comme le nôtre, autant vous dire qu’une telle somme compromet l’ensemble. » Pour les ouvertures sur le côté, l’élu évoque un non-sens vis-a-vis des commerces et de l’école qui seront situés de l’autre côté, mais aussi des questions de sécurité liées à un problème de visibilité : « On a consulté les services de la police municipale et nationale qui nous ont dit que laisser un mur, y compris avec deux passages piétons, ce n’est pas optimal ».
Convaincus, eux, de la faisabilité de leurs propositions, Résilience 18 et Oris Gianferrari réclament toujours des études chiffrées. Mais aussi des justificatifs relatifs à la destruction des œuvres précédentes. Car, en effet, une partie de l’œuvre – située place Mac Orlan – a déjà été détruite. Et ce, sans que les ayants droit soient prévenus. Là encore, la justification avancée fait grincer des dents le petit-fils de l’artiste : « Ils disent qu’ils ne trouvent pas de bon de commande de la Ville de Paris à destination de mon grand-père. Mais c’est normal, c’est l’architecte Alain Gillot qui lui a passé commande. »
Résultat, en plus d’avoir été en partie détruite, la mosaïque n’a donc jamais été entretenue par les services de la Ville, alors qu’une réserve avait été prévue pour cela. « Avant qu’elle soit envahie par toute cette végétation et qu’elle soit défoncée, cette œuvre était une référence dans le quartier, mais ils ont tout fait pour que personne ne la voie, c’est un manque de respect fondamental, estime Arlette. Cette dernière ne croit plus aux concertations citoyennes. On y va, on fait des propositions mais ça ne sert à rien, c’est juste du pipeau. »
Symbole de concorde
Vue du ciel, la mosaïque de Charles Gianferrari située porte de Champerret est impressionnante. Comme celle du 18e, elle montre la générosité de l’artiste à vouloir embellir un ensemble de béton, ce qui lui vaut ici d’être entretenue. L’on se prend alors à rêver d’une restauration rue Cottin, avec des artistes, artisans et étudiants d’art du quartier. Une mosaïque redorée et ouverte sur le parc, reconnue par la Mairie et symbole de concorde. Un rêve en sommeil puisque les discussions sont au point mort entre les défenseurs de l’œuvre, P&MA, la Mairie du 18e et la direction de l’urbanisme. Pour y remédier, Oris et Résilience 18 doivent rencontrer le médiateur de la Ville de Paris. « Nous souhaitons éviter tout recours juridique, confie Oris. Cependant, si aucune solution n’est trouvée, je serai contraint d’engager une procédure. Une telle situation serait regrettable pour toutes les parties. » En attendant, les membres de Résilience 18 surveillent la rue Jean Cottin pour prévenir l’arrivée de bulldozers. Quand est-elle prévue ? Difficile de le savoir puisque, sur ce point, Mario Gonzalez nous a redirigé vers P&MA qui a fait suivre notre demande à... la Mairie du 18e. Contactée par mail, Myriam Bercovici n’a pas répondu à nos sollicitations.
Photo : Jean-Claude N’Diaye