Elles se battent pour retrouver leur emploi, perdu lors du changement de société en charge de l’exploitation de ces édicules.
Elles s’appellent Françoise, Angèle , Clémentine, Charlotte, Gabrielle, Awan-Be, Pham, Marie, Dédé. Elles travaillent, pour certaines depuis plus de 30 ans, dans les lavatories (1) de la Ville de Paris. Oscillant entre inquiétude et colère, elles ont troqué leurs blouses de « dames pipi » pour les chasubles du syndicat Force ouvrière (FO).
Postées au pied du Sacré-Cœur depuis le 20 juillet de 7 h du matin à 18 h, elles bloquent l’accès des toilettes publiques du 1 rue Lamarck. Et personne n’a réussi à les déloger, ni l’huissier dépêché fin juillet, ni la voiture de police envoyée le 12 août.
Âgées de 45 à 65 ans, payées environ 1 300 € net par mois, elles ne perçoivent plus de salaire depuis le 9 juillet et se débattent dans un imbroglio juridique.
Face à une multinationale
Salariées de la société Stem Propreté qui jusqu’au 30 juin détenait le marché des lavatories parisiens, elles ont perdu leur emploi le 1er juillet après avoir reçu un coup de téléphone de la société 2theloo (“aux toilettes” en anglais) : « Ce n’est pas la peine de venir travailler demain, vous avez 24 heures pour récupérer vos affaires, on vous tiendra au courant pour la suite. »
La société néerlandaise 2theloo, a repris l’exploitation des toilettes publiques via sa filiale française Sarivo PointWC, après avoir remporté un appel d’offres de la Ville de Paris.
La multinationale néerlandaise gère 200 établissements disséminés dans 14 pays. Avec l’appel d’offres parisien, six lavatories, implantés notamment au pied du Sacré-Cœur, sur le parvis de Notre-Dame, ou encore sur la place de l’Étoile, des lieux prestigieux et très fréquentés par les touristes, tombent dans son escarcelle pour dix ans. Auparavant gratuits, leur coût s’élève désormais à 80 centimes.
Onze femmes sur le carreau
Le droit du travail prévoit dans certains cas le transfert des anciens salariés en cas de reprise par un nouveau prestataire. Mais dans ce contexte précis, 2theloo refuse de reprendre les 11 salariées et affirme qu’elle n’y est pas obligée par la loi.
Jusqu’alors en délégation de service public, le nouveau marché a été transformé en une concession d’occupation du domaine public par laquelle la nouvelle entreprise exploite les lieux contre le versement d’un loyer à la Ville. Le changement de nature du marché a pour effet de laisser 11 femmes sur le carreau. « Puisque le type de contrat change, l’entreprise ne se trouve pas dans l’obligation de reprendre les salariés, racontait au Figaro une responsable de la Direction de la voirie et des déplacements. Nous leur avons fortement recommandé de reprendre les ouvrières mais nous ne pouvons rien faire de plus . » Mais une recommandation, aussi forte soit-elle ne vaut pas obligation légale. Et 2theloo l’a bien compris. « 2theloo agit comme un patron voyou », scande le mégaphone du syndicat Force Ouvrière. « L’entreprise veut virer les salariés en poste dans les lavatories au prétexte que les salariés actuels n’auraient pas le profil des emplois alors que la majorité y travaille depuis plusieurs décennies. »
Depuis 2006, la filiale française de 2theloo a développé un concept de WC design et de salon-boutique. « Boudoir du XXIe siècle, c’est un lieu magique où il fait bon se ressourcer », décrit le site internet de Sarivo PointWC. Les toilettes publiques sont transformées en « un espace shopping qui éveille nos sens par ses subtiles fragrances et la mise en scène d’objets décoratifs autour de l’univers des toilettes. »
Dans ce concept de WC de luxe, les dames pipi doivent se transformer en vendeuses « de vasques originales », de « WC japonais high tech » et « de cuvettes et robinetterie de luxe », sans oublier « un vaste choix d’accessoires et d’idées cadeaux ».
Il va sans dire qu’un personnel de 65 ans avec 30 ans d’ancienneté dans les toilettes publics cadre difficilement avec toute cette volupté. Donc exit les dames pipi.
Déjà dans les gares
À la mairie de Paris, l’embarras est de mise. Selon FO, les services de la Ville ont eu des contacts avec les deux entreprises qui seraient d’accord pour que la moitié des salariés soit reprise par 2theloo, l’autre restant chez Stem Propreté. Or ce qui inquiète le syndicat, c’est que 2theloo ne souhaite pas reprendre les salariés aux conditions de la convention collective du nettoyage car 2theloo affirme ne pas être une entreprise de nettoyage. « On nettoie en continu, on vend des produits, précise au Figaro Almar Hotlz, gérant de la société. Nous ne sommes pas une société de nettoyage, donc on n’entre pas dans le cadre de la convention. ». Traduction : si une partie du personnel est reprise, ce sera sans ancienneté donc avec un salaire moindre.
« On avait déjà eu affaire à 2theloo notamment sur les gares », rappelle le délégué de FO. En janvier dernier, la société néerlandaise remportait le marché des gares implantées en Île-de-France, dont Paris. Déjà elle avait refusé de reprendre les salariés du prestataire précédent. 2theloo avait plié après une dizaine de jours de grève et surtout après un accord financier avec la SNCF. Mais cet épisode peu glorieux a certainement du échapper aux élus parisiens lorsqu’ils ont voté fin juin l’attribution du marché à l’entreprise.
Reste maintenant à définir qui, de 2theloo ou de Stem Propreté est l’employeur ? Quelle convention collective doit être appliquée ? C’est la justice qui tranchera, un référé ayant été déposé par les salariés soutenu par FO.
1. Les lavatories sont des WC publics gratuits, construits en dur au début du siècle par la Ville.
Photo : © Christian Adnin
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