Journal d’informations locales

Le 18e du mois

juillet-aout 2023 / Culture

Balade littéraire : connaissez vous la place Hébert ?

Montmartre, la Goutte d’Or, Pigalle, les quartiers du 18e ont inspiré de nombreux artistes. Et puisqu’ils se racontent parmi les lignes des auteurs de diverses époques, Le 18e du mois a décidé de vous proposer une balade littéraire. Régulièrement un extrait d’une œuvre, connue ou non, sera ici décliné en un parcours photographique.

Sur les pas de... Jean-Christophe Bailly

Que le seul nom d’un lieu et premièrement celui d’une ville puissent faire naître l’envie d’un voyage, c’est là un fait bien connu, souvent évoqué par la littérature et exploité par la chanson. Mais malgré leur puissance de suggestion, il est rare il me semble que les noms de rues en tant que tels fassent partir à l’autre bout de la ville. En règle générale, on tombe sur eux, et la joie qu’évoque Benjamin est liée directement à ces rencontres, qu’elles aient lieu au fil du pas ou à celui de la rêverie qui accompagne la lecture attentive d’un plan. Mais m’étant aperçu, en regardant un plan justement, qu’il y avait désormais à Paris une rue Tristan Tzara, et ayant constaté de surcroît qu’elle se trouvait en plein dans un quartier dont j’ignorais presque tout, j’ai pris la décision de m’y rendre, ce qui était bien le moins ici, dans ces pages, après l’évocation de Théodore Fraenkel et celle du Panthéon scié.

Entre les deux gares

Créée en 1987 dans le cadre de l’aménagement de la ZAC Evangile (!), la rue Tristan Tzara se trouve tout à fait au nord de cette sorte de presqu’île territoriale comprimée entre les voies de la gare du Nord et celles de la gare de l’Est, secteur qu’on ne connaît guère en fait que par l’axe conduisant à la porte de La Chapelle qui le traverse longitudinalement et dont le point le plus animé est situé autour de la station de métro Marx Dormoy. Mais par rapport à cet axe, connu surtout des automobilistes cherchant à rejoindre l’autoroute du Nord à partir du centre de Paris, le point où se trouve la rue Tristan Tzara est nettement décentré. Pour le rejoindre il faut tout d’abord passer par le surprenant et plutôt paisible petit Chinatown qui s’est développé autour de la place de Torcy à proximité immédiate du marché de La Chapelle, puis de là se laisser glisser par la rue de l’Evangile, ou par celle – diable ! – de la Madone, et rejoindre la place Hébert et, de là, soit par la rue des Fillettes soit la rue Tchaïkovski, déboucher enfin sur la rue Tristan Tzara, qui ne serait que tristesse et banalité si elle ne longeait pas un jardin – le jardin Rachmaninov – qui se distingue des nombreux squares du quartier par une conception paysagère plus libre lui donnant somme toute l’allure d’un îlot de verdure un peu touffu.

On peut le noter au passage, Tzara n’est pas là davantage chez lui que ne le sont Francis Picabia à Belleville, Marcel Duchamp à la ZAC du Château des Rentiers dans le XIII arrondissement ou encore Francis Ponge à la Mouzaïa, et pas plus que ne le sont non plus les quelques musiciens russes dont le quartier honore les noms, tout se compliquant encore quand on voit que des rues y ont également été attribuées à Raymond Queneau, Pierre Mac Orlan ou Maurice Genevoix ! Mais il s’agit là en fait d’une constante de la toponymie quand elle s’appuie sur des noms propres et sans doute, hormis quelques cas particuliers, serait-il de toute façon difficile d’asseoir le choix de ces noms sur des fondements rationnels. On le sait, l’inclination politique des édiles, souvent crispée, parfois débonnaire, joue le plus grand rôle et c’est pourquoi, découvrant la place Hébert, je fus d’abord étonné par son nom, lequel bien sûr n’a en fait aucun rapport avec le rédacteur du Père Duchesne qu’il serait surprenant de voir ainsi honoré. Son nom, elle le doit tout bonnement à un ancien maire du secteur, mais ce qu’elle a en propre, et dont j’ignorais tout – n’y étant jamais passé et nul ne m’en ayant jamais parlé –, c’est un secret, ou une réserve, un apparentement complet entre sa forme et son caractère d’isolat et de place un peu villageoise et plutôt retirée.

Une envie de se poser

Parfaitement circulaire, plantée d’acacias dont le feuillage finement ciselé forme un filtre aérien, elle est desservie par six rues formant une étoile dont les branches sont séparées d’un côté par trois grands cafés ayant chacun une terrasse où l’on a envie de se poser et ouvre de l’autre sur des rues qui ont l’air de partir au loin, surtout la rue de l’Evangile, encore elle, qui le fait en effet, en longeant les voies de la gare de l’Est en direction de la porte d’Aubervilliers et de la rive gauche du secteur Rosa Parks, vers lequel nous nous rendrons plus tard. Le petit square Paul Robin, avec son kiosque à musique, qui la borde en direction du nord, forme un seuil entre elle et la piscine qui porte le même nom qu’elle et dont les abords immédiats, une petite cour arborée, pourraient faire croire qu’on est très loin de Paris. Le square est édifié à l’emplacement de l’un des trois puits artésiens anciens de Paris, dont on peut prendre l’eau à une fontaine installée tout près, au square de la Madone. (...) •

Extrait de Paris quand même, Jean-Christophe Bailly,
La fabrique éditions, 2022

Photo : Thierry Maubert

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n° 331

novembre 2024