Journal d’informations locales

Le 18e du mois

septembre 2024 / La vie du 18e

Handicap à l’école, des projets inclusifs

par Dominique Boutel

Fin d’année emblématique de l’esprit qui règne à l’école Guadeloupe, classée REP : début juillet, dans le préau aménagé en salle de spectacle, les enfants qui forment le public viennent s’installer dans un brouhaha joyeux mais contenu.

Le spectacle, conçu pour une quarantaine d’entre eux, débute par un petit discours sur l’attention à porter aux autres, une pratique systématique dans cet établissement un peu particulier.

La salle devient parfaitement attentive et quelle n’est pas la surprise du spectateur de découvrir une pièce de théâtre enlevée, apprise parfaitement, jouée avec un brio et une maîtrise que l’on trouve peu chez des enfants de niveau CE1-CE2-CM1. Nous sommes loin de ce que l’on nomme souvent avec trop de mépris, un spectacle de « patronage » ! Il faut dire que les enfants-acteurs sont des pros du théâtre : leurs enseignantes les ont emmenés dix fois cette année au spectacle, pour qu’ils se frottent à la scène professionnelle. Du théâtre au cirque, ils ont pu poser des questions, découvrir les coulisses et pratiquer eux-mêmes. C’est tout l’esprit de la pédagogie de cette école, pas tout à fait comme les autres, puisque sur 170 enfants inscrits, elle compte entre 35 et 40 enfants en situation de handicap, de toute nature et revendique cette spécificité. « Neuf d’entre eux étaient sur scène, vous ne les avez même pas repérés, n’est-ce pas ? C’est notre grand jeu », s’amuse l’une des enseignantes, convaincue du bien-fondé de cette intégration mûrement réfléchie et assumée par tous, adultes comme enfants.

La force du mélange

Un peu d’histoire : dans les années 80, l’école était alors un collège qui n’accueillait que des enfants en situation de handicap. Il a ensuite été transformé en école spécialisée où ont été installées à l’époque quatre anciennes classes pour l’intégration scolaire (CLIS) et une classe pour les non-francophones (CLIN, actuellement UPEAA), qui se mélangeaient assez bien. Jean-Pierre Germain, directeur historique, avait beaucoup œuvré avant tout le monde pour créer une école que l’on appelle actuellement inclusive.

À présent, elle compte 34 enfants inscrits en unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) répartis dans trois dispositifs. Deux pour des troubles spécifiques du langage et des apprentissages (ULIS TSLA) et une pour des troubles des fonctions cognitives ou du spectre autistique (ULIS TFC-TSA), celui-ci devenant peu à peu spécifiquement dédié aux enfants autistes, dont le nombre augmente. Ils sont gérés par trois coordinatrices, des professeures spécialisées. Tous les enfants sont inscrits dans leur classe d’âge, non en fonction de leur niveau. Après une semaine de rentrée en immersion totale, leur emploi du temps est aménagé en fonction des besoins de chacun, dans le cadre des projets personnalisés d’inclusion (PPI), très fréquents qui déterminent le temps de présence de l’enfant handicapé dans sa classe et sa participation aux différents projets.

Pour les professeurs, le nombre élevé d’enfants en situation de handicap est un atout : « Quand on se présente comme une école spécialisée, les gens de l’extérieur cherchent les enfants porteurs de handicap et ne trouvent jamais les bons », s’amusent-elles en riant. Le principe, un des points forts de cette philosophie, c’est que dès l’arrivée dans l’école, quels que soient les enfants inscrits, on parle du handicap, on le nomme et on évoque la notion de différence et de bienveillance à l’égard de l’autre. « Toute l’école en bénéficie, poursuivent-elles. Et ce sont les enfants eux-mêmes qui sont moteurs de l’inclusion. »

La grande force de l’école, c’est ce mélange. Même lors des journées à thème, où les enfants sont tous ensemble quel que soit leur âge, personne ne se reconnaît vraiment comme handicapé : « Quand on leur demande, ce sont ceux qui ne le sont pas qui lèvent la main ! Ils se trouvent tous un handicap, parce qu’ils trouvent cela formidable. »

Partager l’expérience

Outre l’engagement et la foi des adultes, le secret, selon une enseignante présente au sein de l’école depuis dix-huit ans, ce sont les moyens : il y a des effectifs réduits dus au classement maintenu en REP (bien que tout le monde souhaite un classement en REP +) et des accompagnants d’enfants en situation de handicap (AESH). « On a une école plutôt calme, et les autres enfants nous aident à gérer ceux qui sont parfois en crise. Dans la cour, tout le monde joue ensemble. » Grâce à ce savoir-faire face au handicap, véritable atout, les enfants concernés vivent mieux leur scolarité. « Maintenant, on se bat pour conserver nos trois ULIS, au grand étonnement de nos collègues d’autres écoles ou de l’administration, soupire l’enseignante. On est toujours un peu vus comme des extra-terrestres. »

Forts de leur expérience, les enseignants souhaiteraient la partager davantage, la voir reconnue, obtenir les moyens d’y réfléchir encore et d’y travailler ensemble. Évidemment, ce type d’école ne rentre pas dans les clous d’une administration toujours soumise à la politique du chiffre, plus qu’à celle du résultat humain, plus difficilement quantifiable.

Bonne nouvelle, après un an de direction non spécialisée, une directrice titulaire du certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive (CAPEI) a été nommée depuis un an. Elle vient de la Maison du handicap et d’une certaine façon, atteste de la spécificité de cet établissement, où, qui que l’on soit, il fait bon grandir. •

Photo : Jean-Claude N’Diaye

Dans le même numéro (septembre 2024)

  • Au sommaire

    Le 18e du mois fait sa rentrée [Article complet]

    Halle Saint-Pierre : soutenir un joyau culturel. Cabarets disparus, voyage dans l'au-delà. Guillaume Huart recompose le passé de son immeuble. Handicap à l'école : des projets inclusifs. Léa Balage, premiers pas à l'Assemblée.
  • La vie du 18e

    Léa Balage, premiers pas à l’Assemblée

    Danielle Fournier
    Adjointe au maire du 18e (1), Léa Balage El Mariky a été élue députée de la 3e circonscription lors des législatives anticipées de juillet sous la bannière du Nouveau Front Populaire. Elle a fait ses premiers pas à l'Assemblée nationale.
  • Clignancourt - Jules Joffrin

    Guillaume Huart recompose le passé de son immeuble

    Sandra Mignot
    À la recherche du passé, Guillaume Huart plonge depuis quatre ans dans l’histoire de sa résidence de la rue Ramey. Il dresse les portraits plus ou moins fournis des habitants qui s’y sont succédé dans une minutieuse enquête.
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    Alors qu’elle rayonne sur la région, le pays, et même l’étranger, la Halle Saint-Pierre connaît depuis cinq ans quelques remous, notamment d’ordre financier. Heureusement, elle se cramponne encore farouchement aux pentes de la Butte.
  • Histoire

    Cabarets disparus, voyages dans l’au-delà

    Béatrice Dunner
    Le quartier Montmartre a connu une période complètement folle, entre la fin du XIXe siècle et le milieu du XXe. Témoins de la fantaisie, de l’imagination et de la liberté de l’époque, trois cabarets invitaient les clients à pousser les portes de l’au-delà. Une provocation réprouvée qui attirera pourtant beaucoup de monde pendant plus de cinquante ans.
  • Les Gens

    Jammeur local

    Gibert Kallenborn
    Arrivé en France il y a une dizaine d’années, Ameth Sissokho fait vivre dans la Goutte d’Or les traditions musicales de sa famille et de son pays d’origine, le Sénégal. Fils de griots, il attache aussi une importance particulière à la médiation sociale.

n° 333

janvier 2025