Le spectacle, conçu pour une quarantaine d’entre eux, débute par un petit discours sur l’attention à porter aux autres, une pratique systématique dans cet établissement un peu particulier.
La salle devient parfaitement attentive et quelle n’est pas la surprise du spectateur de découvrir une pièce de théâtre enlevée, apprise parfaitement, jouée avec un brio et une maîtrise que l’on trouve peu chez des enfants de niveau CE1-CE2-CM1. Nous sommes loin de ce que l’on nomme souvent avec trop de mépris, un spectacle de « patronage » ! Il faut dire que les enfants-acteurs sont des pros du théâtre : leurs enseignantes les ont emmenés dix fois cette année au spectacle, pour qu’ils se frottent à la scène professionnelle. Du théâtre au cirque, ils ont pu poser des questions, découvrir les coulisses et pratiquer eux-mêmes. C’est tout l’esprit de la pédagogie de cette école, pas tout à fait comme les autres, puisque sur 170 enfants inscrits, elle compte entre 35 et 40 enfants en situation de handicap, de toute nature et revendique cette spécificité. « Neuf d’entre eux étaient sur scène, vous ne les avez même pas repérés, n’est-ce pas ? C’est notre grand jeu », s’amuse l’une des enseignantes, convaincue du bien-fondé de cette intégration mûrement réfléchie et assumée par tous, adultes comme enfants.
La force du mélange
Un peu d’histoire : dans les années 80, l’école était alors un collège qui n’accueillait que des enfants en situation de handicap. Il a ensuite été transformé en école spécialisée où ont été installées à l’époque quatre anciennes classes pour l’intégration scolaire (CLIS) et une classe pour les non-francophones (CLIN, actuellement UPEAA), qui se mélangeaient assez bien. Jean-Pierre Germain, directeur historique, avait beaucoup œuvré avant tout le monde pour créer une école que l’on appelle actuellement inclusive.
À présent, elle compte 34 enfants inscrits en unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) répartis dans trois dispositifs. Deux pour des troubles spécifiques du langage et des apprentissages (ULIS TSLA) et une pour des troubles des fonctions cognitives ou du spectre autistique (ULIS TFC-TSA), celui-ci devenant peu à peu spécifiquement dédié aux enfants autistes, dont le nombre augmente. Ils sont gérés par trois coordinatrices, des professeures spécialisées. Tous les enfants sont inscrits dans leur classe d’âge, non en fonction de leur niveau. Après une semaine de rentrée en immersion totale, leur emploi du temps est aménagé en fonction des besoins de chacun, dans le cadre des projets personnalisés d’inclusion (PPI), très fréquents qui déterminent le temps de présence de l’enfant handicapé dans sa classe et sa participation aux différents projets.
Pour les professeurs, le nombre élevé d’enfants en situation de handicap est un atout : « Quand on se présente comme une école spécialisée, les gens de l’extérieur cherchent les enfants porteurs de handicap et ne trouvent jamais les bons », s’amusent-elles en riant. Le principe, un des points forts de cette philosophie, c’est que dès l’arrivée dans l’école, quels que soient les enfants inscrits, on parle du handicap, on le nomme et on évoque la notion de différence et de bienveillance à l’égard de l’autre. « Toute l’école en bénéficie, poursuivent-elles. Et ce sont les enfants eux-mêmes qui sont moteurs de l’inclusion. »
La grande force de l’école, c’est ce mélange. Même lors des journées à thème, où les enfants sont tous ensemble quel que soit leur âge, personne ne se reconnaît vraiment comme handicapé : « Quand on leur demande, ce sont ceux qui ne le sont pas qui lèvent la main ! Ils se trouvent tous un handicap, parce qu’ils trouvent cela formidable. »
Partager l’expérience
Outre l’engagement et la foi des adultes, le secret, selon une enseignante présente au sein de l’école depuis dix-huit ans, ce sont les moyens : il y a des effectifs réduits dus au classement maintenu en REP (bien que tout le monde souhaite un classement en REP +) et des accompagnants d’enfants en situation de handicap (AESH). « On a une école plutôt calme, et les autres enfants nous aident à gérer ceux qui sont parfois en crise. Dans la cour, tout le monde joue ensemble. » Grâce à ce savoir-faire face au handicap, véritable atout, les enfants concernés vivent mieux leur scolarité. « Maintenant, on se bat pour conserver nos trois ULIS, au grand étonnement de nos collègues d’autres écoles ou de l’administration, soupire l’enseignante. On est toujours un peu vus comme des extra-terrestres. »
Forts de leur expérience, les enseignants souhaiteraient la partager davantage, la voir reconnue, obtenir les moyens d’y réfléchir encore et d’y travailler ensemble. Évidemment, ce type d’école ne rentre pas dans les clous d’une administration toujours soumise à la politique du chiffre, plus qu’à celle du résultat humain, plus difficilement quantifiable.
Bonne nouvelle, après un an de direction non spécialisée, une directrice titulaire du certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive (CAPEI) a été nommée depuis un an. Elle vient de la Maison du handicap et d’une certaine façon, atteste de la spécificité de cet établissement, où, qui que l’on soit, il fait bon grandir. •