Pour la cinquième édition, le centre musical FGO Barbara héberge un atelier de six semaines destiné à initier des femmes et minorités de genre à la production musicale. Plongée au cœur d’un solfège électronique qui a longtemps été le domaine privilégié des hommes.
Une impression de salle de classe où il ne se passe rien. Le cours va bientôt commencer et pourtant nous sommes presque seuls. Udu reste discrète, elle vient de s’installer en bout de table avec son ordinateur et son casque. Chacune se place autour de la table en U. Ce soir, elles ne seront que six sur dix à assister au cours : les autres sont tombées malades. Sarah Perez, DJ et productrice en charge de l’atelier, se présente avec sa malle aux trésors : une grande valise à roulettes remplie de matériel de son. On fait ses branchements rapidement. Le spectacle peut commencer.
« Aujourd’hui on va faire passer les clips audio en mode arrangement ». Personne ne semble tiquer à l’écoute du vocabulaire du jour. Pour Sarah, c’est un petit pas pour l’homme, mais déjà un grand pas pour les femmes : « Pour faire des sons, il y a pas mal de trucs sur lesquels il faut geeker, et souvent les femmes n’osent pas se lancer ». Résultat, si on analyse les 800 morceaux les plus écoutés entre 2012 et 2019 aux États-Unis, seuls 2 % ont été produits par des femmes. C’est pour ça que Sarah Perez et Lola Ajima ont créé la branche française de l’organisation Beats by Girlz il y a quatre ans, pour qu’il n’y ait pas « que des hommes dans les studios ». Depuis, elles dispensent leurs ateliers un peu partout en France.
« Entre filles c’est moins stressant »
Camille a tout de suite été sensible à ce projet. À 21 ans, elle sait déjà qu’elle veut vivre de la musique. En attendant, elle en écoute toute la journée pendant qu’elle travaille à l’archivage d’un cabinet d’huissiers. « Ça a commencé pendant le confinement, j’écrivais des textes de rap, mais je prenais des ‘instru’ qui existaient déjà ». Elle n’a jamais fait de musique avant, et s’est inscrite dans cet atelier pour comprendre le fonctionnement de ce logiciel qui lui paraissait compliqué lorsqu’elle était toute seule chez elle : « C’est mieux pour s’exprimer, entre filles c’est moins stressant ». Et même si elle se confie facilement, elle garde encore des secrets sous sa casquette Gucci : « Ma musique, je la garde un peu pour moi. C’est très intime les textes, je ne sais pas si ça me plairait la scène. »
Nawel veut au contraire mettre le secret au cœur de ses morceaux. Déjà autrice-compositrice, elle organise une résidence d’écriture au FGO Barbara pendant dix mois, depuis septembre et jusqu’en juin prochain. « Je n’invite que des autrices dans mes résidences, quand c’est possible. On est dans un monde où les hommes prennent assez de place ». Et même si la non-mixité choisie* n’était pas sa motivation première, « c’est bienveillant, c’est agréable ».
Des hésitations au morceau final
Une bienveillance qui se ressent quand il faut faire écouter sa musique aux autres. Aujourd’hui, chaque participante le fait pour la première fois. « C’est stressant » pour Zoé, qui passe en première. Et Chloé de se dévaloriser quand vient son tour : « C’est bancal ». Sarah n’est pas du tout de son avis : « On se croirait dans un film de Lynch, sur une autoroute de nuit ». Elles ne sont qu’à mi-parcours. Dans trois semaines, elles repartiront avec un morceau achevé grâce aux conseils de chacune. Peut-être auront-elles même le courage de le jouer : chaque année, Beats by Girlz organise une soirée-live pour que les participantes des ateliers puissent diffuser leur musique en public. Mais cette année n’est pas tout à fait comme les autres : aucune participante n’habite dans le 18e arrondissement. C’était pourtant le projet annoncé par FGO Barbara, qui souhaitait intégrer quatre personnes du quartier de la Goutte d’Or. Sarah Perez explique : « Les ateliers sont toujours complets, il y avait beaucoup de candidates en liste d’attente », et aucune d’entre elles n’habitaient le quartier. « On fera un appel à candidature pour la prochaine fois ». Car il y a toujours une prochaine fois au FGO Barbara : « C’est un lieu qui a mis l’accompagnement artistique des femmes dans son budget ». Le projet de donner la place aux femmes dans la production musicale est-il encore plus ambitieux lorsqu’on parle des femmes de la Goutte d’Or ? La suite au prochain épisode. •
Photo : Thierry Maubert