Journal d’informations locales

Le 18e du mois

décembre 2023 / Montmartre

Attribution du terrain du CLAP - une pluie de recours

par Danielle Fournier

Bientôt l’hiver et les mordu.e.s de la pétanque, membres du CLAP (Club Lepic Abbesses Pétanque) continuent leur entraînement : l’équipe féminine est même devenue récemment championne de Paris. Mais depuis plus d’un an, affiches et communiqués de presse ont alerté les riverains... et bien au-delà : le CLAP est en danger ! A la suite de l’attribution du terrain qu’il occupe, 17 avenue Junot, à un projet porté par Oscar Comtet, de L’Hôtel particulier Montmartre mitoyen (lire nos numéros 309, 310, 312 et 317), pas moins de quatre recours ont été déposés, des noms d’oiseaux se sont envolés, et une guerre de positions semble s’être installée sur la Butte. Alors, petit terrain mais gros enjeux ? Nous avons rencontré et interviewé huit des protagonistes de cette guerre picrocholine qui au-delà du microcosme montmartrois pointe les enjeux de la gestion de la ville.

L’objet du débat

Pénétrer dans l’allée 17 avenue Junot par le « passage du Rocher de la Sorcière », c’est entrer dans un autre monde ! Calme, verdure et sur la gauche, derrière une porte, le terrain de 787m2, unique vestige du maquis de Montmartre, sur l’emplacement de carrières abandonnées à la fin du XIXe siècle. La Ville l’avait acquis en 1966 pour y réaliser un espace vert, « dont les travaux n’ont pas pu être réalisés » résume pudiquement la délibération, sans qu’on sache ce qui a bien pu les entraver. Le vert y est rare, malgré les arbres, le terrain étant occupé par une buvette et des pistes de pétanque en gravillons sur du béton. Reste le charme d’un lieu « montmartrois ».

Le temps juridique

Après la bataille d’information, on assiste à la dénonciation des agissements d’une des autres parties en jeu dont chacun s’empresse de révéler les projets secrets, dévoiler les silences, en opposant la clarté de sa propre position à l’opacité des autres acteurs : levée de boucliers à Montmartre ! Pas moins de quatre recours ont été déposés contre la décision de la municipalité, certes en ordre dispersé et pour des motifs qui ne sont pas toujours les mêmes, mais quatre quand même !

Recours de deux élus du 18e

Emile Meunier (adjoint au maire du 18e en charge de l’économie sociale et solidaire, référent du conseil de quartier Montmartre) qui a déposé une requête en annulation de la convention, avec d’autres élus EELV et conseillers de Paris, s’étonne qu’en juillet dernier « une convention d’occupation du domaine public ait été conclue à la suite d’une délibération…dans laquelle ne figurait pas cette convention. C’est un problème de droit d’information des élus qui ont voté une sorte de chèque en blanc ». Pierre-Yves Bournazel, en tant que conseiller de Paris et co-président de groupe à l’Hôtel de Ville a fait de même de son côté : « J’ai déposé un recours en annulation près le tribunal administratif de Paris qui porte sur l’illégalité de la délibération autorisant la conclusion de la convention : d’une part du fait que depuis 2020, sur les 57 délibérations relatives à des conventions d’occupation du domaine public, à chaque fois les conventions étaient rattachées aux délibérations et d’autre part sur l’incompétence du signataire du contrat » ».

Les recours de ces deux élus contre la ville dénoncent l’absence de pluralisme de la commission qui a choisi le projet porté par Oscar Comtet, baptisé Maquis de la sourcière, ainsi que l’absence de contrôle pour une convention d’une durée de douze ans. L’élu écologiste ajoute que « le site est classé espace vert protégé, il ne doit donc pas abriter d’activité commerciale ; or la ville de Paris a prévu une redevance de 60 000 € par an ». Comment s’acquitter d’une telle somme sans activité commerciale ? Une opinion que ne partage pas Pierre-Yves Bournazel qui dénonce plutôt lui « l’insuffisance de la redevance annuelle et l’opacité de son mode de calcul. »

Et après ? Emile Meunier dit souhaiter « trouver la voie de la raison et des projets pour ce lieu, c’est-à-dire une gestion municipale, une ouverture au public dans un esprit non mercantile, un projet pensé, voire géré dans une logique de commun avec les associations ».

Reste une question : pourquoi un appel d’offre ? Pourquoi ce lieu, bien que classé espace vert protégé au PLU n’est-il pas géré par la direction des espaces verts mais par la direction de l’attractivité économique ? Direction la Mairie du 18e.

La mairie

Jean-Philippe Daviaud, conseiller de Paris (PS) suit ce dossier à la Mairie du 18e car sa délégation commerce, artisanat et Europe comprend « tout ce qui concerne les conventions d’occupation du domaine public ». Pour lui, on en arrive à une « situation ubuesque aujourd’hui qui puise ses racines dans les règles d’il y a 50 ans, lorsque la transparence dans les concessions n’existait pas ». Et il met en avant l’ordonnance Sapin (ministre de l’Economie) d’avril 2017 qui précise qu’aucune concession du domaine public ne peut être accordée sans mise en concurrence préalable, « ce qui est très contraignant ».

Cela explique dit-il « pourquoi les demandes répétées du CLAP et d’autres pour régulariser la situation n’ont pu être satisfaites » et il souligne que le CLAP « tient une buvette dans un espace vert protégé par le PLU sans que cela vaille reconnaissance de la validité de leur occupation du terrain ». Décidément, ça se complique !

Le feu aux poudres

On remonte un peu en arrière : Oscar Comtet a proposé un projet, « une manifestation spontanée auprès de la Mairie du 18e qui par ailleurs avait pris note des privatisations nombreuses dans le CLAP, des problèmes d’alcool et d’une gestion vraiment chaotique ». Cela a entraîné un appel à autre manifestation d’intérêt en septembre 2022. Quatre candidats ont déposé un dossier, étudiés selon trois critères par la fameuse commission : renaturation, ouverture du site et solidité de l’offre financière. C’est le projet d’Oscar Comtet qui a été plébiscité par un score écrasant et validé en Conseil de Paris en juillet dernier, sans la convention…Dès lors, les accusations de mensonges, de travestissement de la réalité, de manipulation se multiplient et le ton monte. La Mairie a fait jouer l’article 40 du Code de procédure pénale qui lui permet dans ce cas de saisir le procureur de la République « car il y a eu des inscriptions sur le mur de l’Hôtel particulier et des menaces physiques ». La Ville a aussi lancé un référé pour expulser le CLAP, mais le juge du tribunal administratif s’est déclaré incompétent et une nouvelle question a surgi : s’agit-il d’un terrain privé ou d’un terrain public ? Le Conseil d’État a été saisi, on en est là. Guerre de tranchées !

« Le Clap est là »

Maxime Liogier, responsable de la communication du CLAP, attend sereinement la décision du Conseil d’État pendant que les joueurs s’entraînent. La vie continue comme avant pour les 290 membres dont 97 femmes, une fierté. Il souligne que « le terrain n’a jamais été mis à disposition du public, il fait partie du domaine privé et il est d’ailleurs au sein d’une copropriété privée ». Le club ne se reconnaît pas comme un squatteur puisque « depuis 1972 le CLAP est là et la Mairie n’a jamais mis en œuvre quoi que ce soit pour aménager ce terrain comme un espace vert, donc on a des droits sur ce terrain ». Il annonce « le temps juridique de la contestation de la convention » et avance qu’il y a « une prescription trentenaire qui nous permet de rester ». Bref « un imbroglio qui va durer des années » et prévient qu’ils « se battront pour que ce ne soit pas un énième square ».

Les riverains entrent en scène

Laurent Ostrowsky, habitant de l’allée a déposé une requête sommaire au nom de seize signataires, des riverains soucieux de leur tranquillité et peu enclins à ouvrir le passage. Il affirme se battre pour le respect d’un site classé et s’élève contre le fait de concéder un espace public sans contrôle avec une exploitation commerciale possible. Les associations France nature environnement et ADDM 18 se sont associées à la requête et soulignent, malgré la diversité des motivations parmi les requérants, la nécessité de soulever la question démocratique : la privatisation des espaces publics.

Un projet verdoyant sur le papier...

Oscar Comtet s’appuie sur un dossier de 166 pages dont un résumé est en ligne sur le site Jardin Junot, le nouveau nom de son projet. Paysagiste de formation, il dirige l’Hôtel particulier Montmartre dont sa famille est propriétaire et énonce volontiers ses objectifs : « Re-ensauvager les villes à travers des appels d’offres et sensibiliser les plus jeunes à l’écologie. » Au-delà, il s’appuie sur le travail déjà entamé dans son jardin mitoyen – réintroduction d’espèces endémiques – et développe son projet : enlever le béton et
50 cm de terre polluée et les remplacer par de la terre vivante, « pour que la vie reprenne son cours ». La buvette serait détruite, laissant place à un salon de thé saisonnier de 18 m2 environ, démontable et le nombre de terrains de pétanque diminué pour laisser la possibilité d’autres activités. Le lieu serait ouvert à tous de 8 heures à 22 heures et un filtrage effectué à partir de 19 h, le passage ouvert et pour préserver le côté pittoresque du lieu, pas de lumière artificielle. Une serre, des toilettes sèches sont annoncées ainsi que, le dimanche, un marché bio et l’été un stand de glaces. Il coche toutes les cases dans son projet qui apparaît mirifique de « faire une oasis de biodiversité en plein Montmartre » et nécessitera un investissement de 400 000 ¤ avec un contrat de douze ans.

Illustration : Stéphanie Clément

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n° 331

novembre 2024