Comment Sophie et Yann ont réussi à créer leur théâtre pour y faire vivre la création contemporaine
En 2004, Sophie et Yann, deux jeunes artistes à la recherche d’un lieu pour monter des spectacles, sont tombés amoureux de l’endroit. Ils l’ont transformé en un espace vivant et chaleureux, tourné principalement vers la création théâtrale contemporaine, qui a réussi en peu de temps à fidéliser un public et à se faire reconnaître par la profession.
La salle, de belles proportions, peut accueillir 120 spectateurs installés dans de larges fauteuils de velours rouge. Dans le vestibule on peut prendre un verre et quelques douceurs avant et après le spectacle. Le pari, pourtant, n’était pas sans risques. La concurrence est rude. Sur les pentes de la Butte, on ne compte pas moins d’une dizaine de théâtres, dont deux institutions prestigieuses, l’Atelier et le Théâtre des Abbesses (Théâtre de la Ville) qui ne sont qu’à quelques enjambées.
Ouvert en novembre 2006
L’aboutissement du projet doit beaucoup aux talents et à la détermination de ses deux instigateurs. Sophie Vonlanthen est comédienne. C’est à New York que sa vocation s’est affirmée lorsqu’elle a suivi les cours de l’institut Lee Strasberg, un ancien de l’Actor’s Studio, et qu’elle a lu et rencontré des auteurs américains, John Patrick Shanley et Jordan Beswick, qui l’ont durablement marquée. Yann Reuzeau, lui, a commencé par l’écriture. À partir de 1996, il monte sur les planches, abordant aussi bien les auteurs classiques que le répertoire contemporain, et tourne dans plusieurs courts-et longs-métrages. En 2001, il met en scène sa première pièce, La Secte. Sophie en est l’une des interprètes. Tous deux partagent le même désir de faire vivre les auteurs d’aujourd’hui. Ils s’associent au sein de la compagnie Sylsyl avec laquelle ils créent à Avignon Quatre chiens sur un os de John Patrick Shanley. Ce spectacle sera repris à Paris pendant sept mois.
Questions d’aujourd’hui
En novembre 2006, une nouvelle aventure commence. La Manufacture des Abbesses ouvre ses portes après deux ans de travaux, pour lesquels Sophie et Yann n’ont bénéficié d’aucune aide publique. C’est avec la seconde pièce de Yann, Les Débutantes, une comédie dramatique sur les nouvelles formes de prostitution, que démarre la saison. Le succès est au rendez-vous. Une dynamique est lancée, fragile certes, mais prometteuse.
Les clés de la réussite ? Une programmation cohérente et exigeante, dont l’ambition est de faire découvrir des auteurs, des textes qui se font l’écho de problèmes et questionnements actuels : la précarité qui peut mener à la prostitution, la difficulté à assumer ses désirs, à communiquer avec l’autre, à vivre une histoire simple, le poids de la mémoire, la place de la famille, l’écologie. On est dans l’air du temps sans jamais tomber dans l’anecdotique. Un ancrage dans l’arrondissement. « Nous commençons à être vraiment suivis par les habitants du quartier », assure Sophie Vonlanthen. Il faut dire que le prix des entrées reste raisonnable et qu’à La Manufacture on joue plus la complémentarité que la concurrence avec les autres théâtres de l’arrondissement. Il s’agit, poursuit Sophie, de « rendre l’expérience théâtrale plus stimulante et accessible ».
Photo : Christian Adnin
Article initialement paru en avril 2008