Un studio d’enregistrement sur fond vert dans lequel la journaliste Golalai Karimi et son invitée du jour attendent patiemment que Tawfiq Sediqi, le technicien, soit prêt pour débuter l’enregistrement du talk-show. Dans la pièce voisine, Wahija Wahidi prépare sa prochaine émission pour laquelle elle collecte en ligne des reportages produits par l’AFP. Quant à Diba Akbari, elle se maquille consciencieusement face au miroir. Dans quelques instants, elle enregistrera un appel à témoins pour préparer Tabassum, son programme consacré au bien-être et à la santé mentale, diffusé en direct une fois par semaine.
La scène se déroule rue Ordener, dans les studios de Begum TV, deux appartements mis à disposition par la Mairie de Paris. Cette télévision satellitaire, portée par l’ONG Begum Organization for Women, a été conçue pour les femmes d’Afghanistan au printemps 2024. Ses émissions, enregistrées en pachto et en dari, les deux langues officielles du pays, sont destinées à l’éducation (six heures de cours sont diffusées chaque jour, issues des programmes scolaires officiels afghans), à l’information et au divertissement des Afghanes désormais interdites de collège, de lycée et d’université. « Ici, il n’est pas question de censure, poursuit Hamida Aman, la fondatrice de Begum TV. Nos journalistes peuvent s’exprimer comme elles le souhaitent. Et le gouvernement afghan n’est pas en mesure d’interrompre la diffusion par satellite. Près de la moitié des foyers là-bas peuvent nous recevoir. »
À l’origine, une radio
Lorsqu’elle parle de censure, cette journaliste suisse-afghane sait de quoi elle parle. En février, la radio qu’elle a fondée en Afghanistan en 2021 – pour diffuser les programmes scolaires du pays à l’intention des femmes – a été suspendue durant plus d’un mois et deux employés ont été arrêtés. Des ordinateurs, des smartphones et du matériel d’enregistrement ont été saisis. « On a accusé la radio de diffuser des programmes subversifs, ce qui est faux, précise Hamida. Nous nous efforçons de respecter la loi malgré toutes les restrictions imposées (interdiction de la poésie, pan important de la culture afghane, et de la musique, impossibilité de parler d’amour ou de critiquer la politique du gouvernement, NDLR) car le service que nous apportons à la population prime. »
Après avoir grandi et étudié en Suisse, où sa famille avait fui l’occupation soviétique, Hamida est repartie vivre quinze ans en Afghanistan. D’abord comme reporter, en 2002. « Mais je ne pouvais pas me contenter de cela, se souvient-elle. Je voulais m’impliquer dans le développement local, créer des emplois. Il y avait alors beaucoup d’espoir pour que les choses changent dans le pays. » Elle se lance dans la formation de journalistes puis crée une agence de communication audiovisuelle. Naîtra ensuite en 2012 une radio pour les jeunes. « Puis je suis revenue en Europe pour élever mes enfants près de ma famille », explique Hamida, qui poursuit néanmoins les allers-retours et ses activités au pays.
À Paris, les cinq animatrices et journalistes de la télévision sont réfugiées, ainsi que les deux techniciens qui accompagnent la diffusion des programmes. « J’étais actrice de cinéma », explique Marina Golbahari, 33 ans, qui anime désormais un talk-show et une émission consacrée à la musique sur Begum TV. Inimaginable désormais au pays. « Je suis arrivée en France dès 2015, rembobine Marina. Car déjà à l’époque je subissais la pression des Talibans. » Golalai, 24 ans, est elle arrivée en 2021. Elle travaillait dans les médias kaboulis. « J’ai même interviewé le chef des Talibans juste après son arrivée au pouvoir, j’étais la première femme à le faire, se souvient-elle. À l’époque, il disait qu’il réfléchissait à ce que le régime allait faire au sujet des femmes. »
Un vivier d’intellectuelles réfugiées
Après avoir trouvé refuge en France, toutes deux ont travaillé dans la restauration. Marina a aussi tourné dans trois courts-métrages. Puis le projet de Begum TV est venu leur ouvrir d’autres perspectives. « Quand on a décidé de lancer une chaîne de télévision, nous avons mis des petites annonces pour recruter nos animatrices, résume Hamida. Je savais qu’il y avait un vivier d’artistes et de journalistes installées dans l’Hexagone. »
Les recrues viennent de différentes villes, en fonction des centres d’accueil des demandeurs d’asile, dans lesquels elles ont d’abord été logées. Trouver un logement pour se rapprocher de Paris n’a pas été facile et beaucoup habitent encore en lointaine banlieue. « C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous voulions des locaux dans le nord de Paris, observe Hamida. Pas trop loin des gares du Nord et de Saint-Lazare. »
Malgré les difficultés de l’exil et la difficulté à vivre seules, pour les jeunes femmes, retrouver une telle situation, alors que beaucoup parlent encore peu français, est un vrai soulagement. « C’est vraiment super de travailler ici, pour nos sœurs, explique Marina. En Afghanistan, elles doivent rester à la maison. Je veux faire en sorte qu’elles se sentent mieux. » S’émanciper ici pour mieux aider là-bas, un beau projet que Golalai, elle, travaille à compléter par un livre. « Dedans, je me demande pourquoi les hommes afghans ne veulent pas que les femmes soient libres. » Une vraie question et un problème de taille que Begum TV s’attache à compenser.

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