Journal d’informations locales

Le 18e du mois

mai 2025 / Histoire

TROIS CIMETIÈRES SUR LA BUTTE

par Béatrice Dunner

Lieux de promenade et de souvenir, les cimetières Saint-Vincent, du Calvaire et Montmartre ont des étendues, des origines et des histoires bien différentes. Allons-y voir de plus près.

Parmi bien d’autres records, la Butte détient celui d’abriter sur son territoire le plus grand nombre de cimetières de toute la capitale. Pas moins de trois pour ce quartier du 18e arrondissement, alors que les dix-neuf autres n’en comptent qu’un ou deux au maximum, la seule exception étant le 20e qui en abrite trois : Père-Lachaise, Picpus et Charonne. Entre tombes de personnages célèbres ou populaires, monuments sculptés et allées arborées, les trois cimetières montmartrois (Saint-Vincent, le Calvaire et Montmartre, appelé officiellement cimetière du Nord) sont la preuve vivante que le quartier de Montmartre possède une âme et une histoire.

Discrétion et mystère

Commençons tout en-haut, par celui qui à son tour détient trois records. Celui de l’ancienneté (le plus vieux cimetière subsistant de Paris, créé en 1688), de l’altitude (on y trouve le point culminant de la ville, à 130,53 m) et de la plus petite surface (600 m2 à peine).

Le cimetière du Calvaire est ainsi nommé parce qu’il voisine le monument du même nom : trois croix grandeur nature juchées sur un monticule de pierres recouvrant une grotte artificielle, bref, un calvaire, créé en 1833 par un ecclésiastique ambitieux, l’abbé Ottin, curé de Saint-Pierre de Montmartre, que ce projet démesuré ruina. Le calvaire et son chemin de croix, qui devaient attirer des foules de pèlerins, ont failli à la tâche et l’éclosion du Sacré-Cœur, à partir des années 1880, leur a donné le coup de grâce. Le cimetière qui en porte le nom ne s’entrouvre qu’une fois l’an, à la Toussaint, mais Pascal Cassandro, conservateur des cimetières de Montmartre, nous en a ouvert les portes pour une petite visite spéciale.

Cette discrétion, ce mystère, scellés par de hauts murs et une imposante porte de bronze ne font qu’ajouter au charme de l’endroit. Ce petit enclos fut offert par Marie-Anne de Lorraine-Harcourt, quarante-et-unième abbesse de Montmartre, aux villageois pour en faire le cimetière paroissial (le lieu s’y prêtait tout naturellement, car mille ans auparavant on y trouvait déjà une nécropole mérovingienne). Il a accueilli les morts de Montmartre dès la fin du XVIIe siècle et, après la parenthèse révolutionnaire (entre 1792 et 1801), jusqu’en 1831, date à laquelle, pour cause de surpopulation funéraire, le tout nouveau cimetière communal de Saint-Vincent prend la relève.

Aujourd’hui, le Calvaire ne compte plus que quatre-vingt-six tombes, dont aucune ne remonte au-delà des débuts du XIXe siècle, les tombes pré-révolutionnaires ayant toutes disparu. On y rencontre cependant bien des personnalités aussi attachantes que contrastées : les Bougainville (le navigateur, sa femme et sa petite-fille), les Fitz-James, la princesse Galitzine, les Laborde ou les Montesquiou-Fezensac. Tout ce beau monde y côtoie en toute simplicité (nous sommes à Montmartre !) les carriers, les vignerons et les meuniers du cru. Sans oublier les curés de la paroisse et le premier maire de Montmartre, Félix Desportes.

Le Calvaire est un cimetière de campagne, ensauvagé, dont les pensionnaires dorment leur dernier sommeil parmi les herbes folles et à l’ombre de deux érables sycomores centenaires, dans une bienheureuse ignorance de ce qui les cerne aujourd’hui : la masse écrasante, tonitruante du Sacré-Cœur ou celle, mouvante, bruyante, entêtante, des touristes de la place du Tertre voisine. Aujourd’hui, seules les familles dont un ancêtre repose dans ce cimetière peuvent s’y faire inhumer.

Cénacle montmartrois

Sortant du Calvaire, nous n’avons que quelques pas à faire pour descendre vers le cimetière Saint-Vincent, chanté par Bruant à la Belle Époque.

Là encore, c’est un clos, comme pour la vigne de Montmartre, sa proche voisine mais dont les murs sont moins hauts et le paysage bien plus minéral que celui du Calvaire. Son terrain est dix fois plus vaste et il accueille dix fois plus de tombes. Ce cimetière a été aménagé en 1831, dans un Montmartre où les constructions étaient encore rares, sur une vaste friche en pente avec beaucoup d’escaliers pour relier les divers niveaux : 17 m de dénivelé entre les rues Caulaincourt et Saint-Vincent. Ce qui donne une belle vue en contre-plongée sur le haut de la Butte.

Depuis quelques années, le lieu a été très joliment végétalisé en jardin méridional : oliviers, figuiers, cyprès, cytises, arbres fruitiers, lilas et beaucoup de fleurs partout, ce qui en fait un lieu de trêve et de rêve, au demeurant peu fréquenté, où l’on aura plaisir à flâner, explorer et s’asseoir au soleil, en bonne compagnie, car les morts qui vous y entourent ont souvent été de grands vivants. À la différence du Calvaire, c’est un cimetière essentiellement montmartrois, ici pas de mixité entre Montmartre et les grandes familles aristocratiques de la Chaussée-d’Antin et du faubourg Montmartre. Classes populaires ou personnalités célèbres, tous ont vécu et/ou créé sur la Butte, acteurs, peintres, sculpteurs, musiciens, écrivains, poètes, journalistes : Marcel Carné, Maurice Utrillo, Eugène Boudin, Émile Goudeau, Roland Dorgelès, Anouk Aimée, Théophile Alexandre Steinlen, Harry Baur. Les vieilles familles montmartroises comme les Lécuyer (également présents au Calvaire), Tourlaque, Labat, Muller sont là aussi. Et les figures du quartier, comme Michou, ou un poète oublié du siècle avant-dernier, qui hantait tous les cafés, un certain Gazi le Tatar...

Les généraux Lecomte et Clément-Thomas, fusillés (probablement par leurs propres soldats) le 18 mars 1871 pour avoir tenté d’emporter les canons stationnés au sommet de la Butte Montmartre, y ont été inhumés temporairement. Ce sont les premiers morts de la Commune.

Patrimoine historique et paysage pittoresque

L’exploration se poursuit en descendant encore, par la rue Caulaincourt et le pont du même nom qui mène vers la place de Clichy. Juste avant d’y déboucher, on emprunte à gauche un raide escalier qui dégringole vers l’entrée du troisième et dernier cimetière de notre circuit. Il existe deux autres entrées pour cette nécropole de quelque onze hectares, l’une à son extrémité nord, ouverte seulement le Jour des morts, le 2 novembre, l’autre à l’ouest, rue Ganneron, créée en 2022.

Le cimetière Montmartre a ouvert sous le nom officiel de cimetière du Nord le 1er janvier 1825, mais on avait (très sommairement, dans des fosses communes) enseveli là bien avant, pendant la Révolution, les corps des victimes des émeutes parisiennes (et notamment des 300 gardes suisses tués en défendant le palais des Tuileries, le 10 août 1792). Le lieu s’appelait alors le Champ du repos et n’était guère attirant. Il faut imaginer de grandes carrières de plâtre désaffectées, un vaste terrain vague en forme de cuvette encadré des raides pentes de la Butte. C’est une configuration que l’on peut lire encore dans le cimetière bien peigné que l’on visite aujourd’hui.

Dès son ouverture, il a accueilli le surplus des morts que le cimetière du Calvaire ne pouvait plus absorber et ce jusqu’à l’ouverture de celui de Saint-Vincent en 1831. On y a également aménagé un carré dit « israélite » pour les tombes juives, à une époque où chaque culte devait avoir son lieu d’inhumation particulier. Cette pratique a été abolie en 1882 et désormais, tous les morts reposent ensemble.

Le cimetière existait depuis plus de cinquante ans lorsque les édiles parisiens décidèrent de prolonger la rue Caulaincourt (jusque-là, elle s’arrêtait net au bord du cimetière en contrebas) jusqu’à la place de Clichy. Pour ce faire, il fallait construire un viaduc permettant de franchir la profonde cuvette du cimetière, bref, faire passer un pont au-dessus des tombes. On cria au sacrilège, à l’aberration, les protestations se multiplièrent mais rien n’y fit, le pont Caulaincourt fut construit. Inauguré fin 1888, il est aujourd’hui emprunté tous les jours par des milliers d’automobilistes, ainsi que par d’innombrables piétons qui se suivent à la queue-leu-leu sur les étroits trottoirs qui flanquent la chaussée. C’est un bel ouvrage de génie civil, tout en croisillons et pilastres cannelés de fonte et le temps passant, il s’est bien intégré au paysage funéraire. Il offre un coup d’œil imprenable sur les floraisons et frondaisons de ce magnifique jardin, planté de 750 arbres, érables, marronniers, tilleuls et thuyas.

Enfin classé dans son ensemble depuis presqu’un an (voir notre numéro 332)*, le cimetière Montmartre est un lieu de promenade et de souvenir qui compte plus de 20 000 concessions. C’est aussi un véritable musée de la statuaire avec des œuvres de Bartholdi, David d’Angers, Rodin, Rude, etc.. Là encore, les personnalités enterrées sont bien souvent des célébrités. Pêle-mêle : François Truffaut, la Dame aux camélias (Alphonsine Plessis de son vrai nom), Claire Bretécher, Hector Berlioz, Sacha Guitry, Heinrich Heine, Jacques Offenbach, Dalida, Alfred de Vigny, Stendhal, Jeanne Moreau, Louis Jouvet...

Sans oublier une dame plus discrète qu’il ne faut pas manquer d’aller saluer lors d’un passage : Irène Hillel-Erlanger, l’autrice du merveilleux Voyage en kaléidoscope.

Photo : Éric Durand

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