On l’avait quitté en 2014 un peu avant les élections municipales. Depuis Anzoumane Sissoko, né au Mali il y a soixante ans, est devenu citoyen français et adjoint au maire du 18e chargé des solidarités internationales et des parcours d’accueil. Deux nouvelles étiquettes qui ne l’empêchent pas de continuer à défendre activement le sort des sans-papiers.
En avril 2014, nous vous consacrions un portrait car vous meniez une liste des sans-voix, soutenue par le NPA mais invalidée par la préfecture. Quelles ont été les étapes clés de cette dernière décennie ?
A.S. L’année charnière, c’est 2015, celle des attentats en France. Depuis, tout a basculé. Les personnes sur qui on pouvait compter pour certaines actions fortes en faveur des migrants, à gauche par exemple, ont disparu ou… changé de discours.
2015, c’est aussi l’année où vous avez obtenu la nationalité française ?
A.S. C’est vrai, je l’ai obtenue en 2015. Mais au regard de la lutte que je mène depuis vingt-deux ans, ce n’était pas une surprise. Pour moi, c’est important de l’avoir. Pas pour travailler ou être reconnu en tant que Français, mais pour la fracture administrative qui s’estompe. Ceci dit, ça ne signifie pas que tout est blanc.
C’est aussi une forme de reconnaissance ?
A.S. C’est surtout une reconnaissance de ma part pour les gens qui étaient là dans les moments difficiles, car je suis resté quand même treize ans et demi sans papiers. Si je dois remercier quelqu’un, ce sont les Français et les camarades sans-papiers qui m’ont aidé dans cette lutte. Ce ne sont ni les associations, ni les syndicats, ni les partis politiques.
Entre-temps, vous avez été élu à la Mairie du 18e. Comment y êtes vous venu ?
A.S. En septembre 2019, la tête de liste des écolos dans le 18e est venue au marché des Enfants-Rouges [dans le 3e], où je travaille depuis plus de vingt ans, pour me proposer de faire partie de leur liste. J’ai d’abord hésité, car j’étais militant sans-papiers, très occupé et je n’avais pas envie de gâcher des années de lutte pour des questions politiques. Je savais aussi que mes idées n’allaient pas passer. J’ai réfléchi et j’en ai parlé aux camarades de la CSP*, qui étaient à mes côtés depuis le début. Ils m’ont dit « Vas-y, ce sera peut-être l’occasion de comprendre beaucoup de choses qui pourront aider les sans-papiers. » Je me suis retrouvé huitième sur la liste, on a gagné et placé 13 élus écolos (EELV) aux côtés du PS et de ses alliés. Comme les communistes, on est un complément de la majorité du PS. Parfois, quand ça les arrange, ils nous écoutent… et parfois ils ne nous écoutent pas. Si le fait de m’être engagé en politique est important, je suis loin d’abandonner la lutte. Tous les vendredis, je suis place de la République avec mes camarades sans-papiers.
Avez-vous l’impression que votre rôle d’élu vous a permis de faire avancer vos idées et d’être entendu réellement ?
A.S. Pas beaucoup. Mais quand même quelques avancées. En 2020, après le Covid, on a réussi à convaincre les élus écolos du 18e de porter un vœu à la Mairie de Paris pour soutenir la Marche des solidarités, qui a convergé de toute la France pour arriver à Paris le 17 octobre. Un soutien de la Mairie qui n’était jamais arrivé dans la lutte des sans-papiers. Fin 2021, aussi avec l’aide de la Mairie de Paris, on a réussi à organiser des manifestations sportives aux côtés des Dégommeuses [association, fondée en 2012, ayant pour but de faire connaître le foot féminin et lutter contre les discriminations], du collectif des sans-papiers et de certains syndicats pour dénoncer les morts sur les chantiers de préparation de la Coupe du monde 2022 au Qatar. Bon, ce sont des petites victoires mais tant qu’EELV n’aura pas seul la majorité dans le 18e, nos idées auront du mal à passer.
C’est plus difficile que vous l’imaginiez ?
A.S. Non, je ne suis pas surpris, j’ai toujours eu à faire à eux ou à l’UMP et au RPR quand ils étaient au pouvoir. Par moments, le discours de certains politiques de droite est très dur, mais, en discussion, il est souvent plus ouvert qu’avec le PS. Avec Sarkozy, on avait un interlocuteur au ministère de l’Intérieur et on était reçus tous les mois à la Préfecture de Paris. Sous la gauche de Hollande, on n’était reçu par personne. Avec Macron, vous imaginez, c’est encore pire.
A propos de Macron, quelle analyse faites-vous de la promulgation de la loi immigra-tion, ou plus récemment du souhait de supprimer le droit du sol à Mayotte ?
A.S. Comme on l’avait dit en tant que collectif de sans-papiers avant son adoption par l’Assemblée, il n’y a rien de bon dans cette loi asile. C’est une loi raciste qui divise.
Pour Mayotte, si on adopte aujourd’hui la fin du droit du sol, je vous donne rendez-vous dans un an et vous verrez que le problème aura empiré. Aujourd’hui, les gens s’en foutent d’être Français, d’avoir des papiers, ils veulent juste vivre normalement. Pour inciter les gens à rester chez eux, il faut tenter d’aider les autres pays à être au même niveau de vie. La génération d’aujourd’hui ne veut plus, comme celle des sans-papiers d’avant, souffrir. Elle veut soit mourir, soit vivre dans les mêmes conditions que les jeunes Occidentaux.
Lors de l’inauguration de l’Arena porte de La Chapelle, le 11 février, les sans-papiers du chantier ont de nouveau manifesté. Êtes-vous en contact avec eux ?
A.S. Je suis en permanence avec les sans-papiers de l’Arena, on a des réunions tous les lundis à la Bourse du travail. Quand j’ai su que l’inauguration de l’Arena avait lieu, j’étais encore en vacances au Mali. J’ai appelé Anne-Claire Boux, qui est la tête de liste écolo et lui ai dit : « Si vous proposez des billets d’entrée aux jeunes du quartier, il faut penser aux mineurs non accompagnés et aussi aux grévistes de l’Arena. » Elle m’a demandé de lui donner une liste de noms dans le cas où ce serait accepté au niveau de la Mairie, mais je n’ai pas eu de retour. Pourtant ces sans-papiers ont travaillé dur pour livrer à temps l’enceinte.
Dans dix ans, qu’est-ce qui aura changé dans votre vie ? Où serez-vous ?
A.S. Je serai toujours là mais à la retraite parce que j’aurai 60 ans en décembre, 62 ans à la fin de ce mandat. Je vais donc demander la retraite pour avoir beaucoup plus de temps pour militer. Pas en politique, parce que c’est trop de responsabilités, mais en restant un militant libre. •
Photo : Jean-Claude N’Diaye