Dans L’Evènement, Annie Ernaux a raconté, près de quarante ans plus tard, son vécu d’un avortement réalisé avant la dépénalisation de ce geste médical. Marianne Basler porte ce texte sur scène avec talent et sobriété.
« Je suis enceinte, c’est l’horreur. » En 1963, en France l’avortement est interdit. Une étudiante rouennaise part cependant en quête de celui ou celle qui l’aidera à se débarrasser de cette grossesse non désirée. Au fil de son récit, elle livre ses sentiments par rapport à sa situation, vécue comme un échec social pour la jeune-fille censée s’extraire de son milieu populaire grâce à l’université. Mais aussi par rapport au regard des autres, ces soignants méprisants ou simplement impuissants, les faiseuses d’anges au geste exclusivement technique et les hommes, si peu impliqués si ce n’est pour profiter d’elle.
Témoignage intime
Seule en scène, vêtue de noir, dans un halo de lumière parfois si ténu que l’on distingue à peine les traits de son visage, Marianne Basler interprète et met en scène le texte d’Annie Ernaux. Dans une économie de mouvements comme de décor, tout semble conçu pour que le spectateur se concentre sur le récit. « Ces choses ne sont arrivées que pour que j’en rende compte », conclut la jeune femme alors qu’elle rapporte cet évènement avec des détails dont la crudité peut choquer. Pas de larmoiements, pas de panique, pas d’atermoiements : on plonge dans la réalité et l’expérience solitaire de quelques mois essentiels dans la vie d’une femme, celle de l’auteure dont l’esemble de l’œuvre a été couronné par un prix Nobel de littérature en 2022.
A l’heure où au Parlement l’on ratiocine pour amoindrir la portée de l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution, entendre Annie Ernaux par la voix de Marianne Basler est essentiel. Il faut se souvenir du calvaire des grossesses non désirées il y a encore cinquante ans pour mieux protéger l’acquis incontestable qu’est la loi de 1975. •
Photo : Pascal Gély