Journal d’informations locales

Le 18e du mois

mars 2024 / Goutte d’Or

Manon Desseauve. Au Louxor, une passation en confiance

par Dominique Boutel

Depuis le mois de janvier, c’est une jeune femme, Manon Desseauve, qui dirige le cinéma le Louxor. Rencontre croisée entre elle et l’ancien directeur, Emmanuel Papillon. Un relais dans la confiance et l’enthousiasme.

Quel était le projet qui a animé l’équipe — Carole Scotta et Martin Bidou (de la société de production Haut et Court) vous, ainsi que la Ville de Paris (le cinéma est confié en délégation de service public) — au moment de l’ouverture ?

Emmanuel Papillon Depuis 1921, date de la construction du lieu, Le Louxor a toujours été un cinéma, sauf une courte parenthèse où il a été une boîte de nuit, avant de fermer en 1988. Le quartier, riche culturellement, n’avait plus de cinéma alors qu’on en comptait plus d’une vingtaine entre la place de Clichy et Barbès jusqu’au début des années 70. C’est un quartier où les gens habitent et ils ont besoin d’un cinéma à côté de chez eux. La réouverture du Louxor en 2013 a donc été une bonne chose. Le projet était d’en faire un cinéma d’art et d’essai d’exclusivités mais aussi de quartier, ce qui correspondait totalement à notre intention de programmer des films d’auteurs. Le cinéma, qui a toujours eu une qualité historique et architecturale majeure, a été plébiscité tout de suite par le public, d’abord par curiosité de découvrir un lieu qui avait été fermé pendant trente ans. Aujourd’hui, nous faisons en moyenne 5 000 entrées par semaine, ce qui est très bien pour un cinéma de trois salles.

On peut donc parler d’une réussite, tant sur le plan du public que celui du fonctionnement ?

Manon Desseauve Moi qui arrive, je suis hallucinée par le nombre d’entrées. Le lundi, quand je vois les chiffres du week-end, je trouve cela absolument formidable pour un trois salles, avec un public très divers ! On y rencontre tous les âges, beaucoup de jeunes, ce qui est un peu la cible des cinémas d’art et d’essai.

E.P. Le Louxor est souvent la meilleure salle de France sur les films indépendants et le premier cinéma de France pour les films d’art et d’essai sur trois écrans. Bien sûr, on est à Paris, dans un quartier très dense en termes de population, à cheval sur trois arrondissements et sans concurrence. Mais au-delà de ça, il y a une politique tarifaire assez volontariste, en particulier pour les moins de 26 ans, maintenant identifiée.

M.D. Surtout, le cinéma attire les jeunes parce qu’il est le fruit d’un travail de longue haleine effectué par l’équipe, en particulier Stéphanie Hanna, la directrice adjointe. Il est quasiment impossible d’avoir une matinée sans scolaires et on accueille les centres de loisirs tous les jours pendant les vacances. Il y a d’ailleurs un travail global en direction de la jeunesse dans le quartier, je m’en suis rendu compte au contact des associations, notamment les Enfants de la Goutte d’or et Accueil Goutte d’or. En parallèle, la programmation faite par Martin Bidou, directeur et associé de Haut et Court, est extraordinaire, avec à la fois du jeune public, du patrimoine, des séances accompagnées. La qualité est là et très diversifiée. Je suis trop heureuse d’être ici !

E.P. Oui, toutes les écoles de la Goutte d’or viennent au Louxor parce qu’elles sont inscrites au dispositif d’éducation à l’image, grâce aux équipes pédagogiques très costaudes dans le quartier. Et tout cela a bien fusionné.

Pourtant, tout le monde parle de la mort du cinéma face aux autres supports numériques, notamment les plateformes de streaming ou de VOD.

M.D. Le cinéma n’a jamais aussi bien marché. Les entrées sont formidables depuis la fin du Covid, les gens reviennent en salle. Dès qu’apparaît une nouveauté technique audiovisuelle, on annonce la mort du cinéma. Il fut un temps c’était la télé, aujourd’hui c’est la VOD et le streaming. C’est vrai que ce sont de nouveaux enjeux mais c’est ce qui fait que ce secteur est vital. Les gens sont de mieux en mieux équipés chez eux, mais ils n’auront jamais un écran aussi grand que celui d’une salle. C’est aussi l’un des rares endroits où l’on déconnecte, on ferme son portable, les lumières s’éteignent, on est juste devant le film et on peut en discuter après… c’est précieux pour les gens. Le cinéma est en pleine forme !

Est-ce rare pour une femme de diriger un cinéma ?

E.P. Il y a plus de femmes que d’hommes ! La Fédération nationale des cinémas français a fait des statistiques sur la représentativité et c’est ce qui en ressort. Les femmes à Paris, dans les salles d’art et d’essai, ont eu un rôle moteur après la Deuxième Guerre mondiale, souvent des femmes issues de la Résistance. C’est un métier qui n’est pas physiquement pénible et qui a trait à la culture, un domaine où les femmes étaient plus investies, comme Simone Lancelot [pionnière des cinémas d’art et d’essai et qui dirigeait le Montcalm dans le 18e] ou Mme Renavand pour les salles historiques du Quartier latin comme Le Champollion.

Comment s’est déroulée la passation entre vous deux ?

M.D. J’ai été accueillie de façon très bienveillante par l’équipe, pour la plupart présente depuis l’origine. Il règne ici un véritable amour du Louxor. C’est cette passion, mêlée à la compétence, qui crée le lien avec l’histoire du lieu. Je suis certaine que les gens du quartier qui fréquentent le cinéma connaissent toutes les personnes de l’accueil. Ce qui est drôle, c’est qu’en 2013, lorsque le cinéma a ouvert, j’étais à la faculté et j’ai rédigé mon mémoire sur le Louxor. C’était écrit ! •

Photo : Thierry Nectoux

Dans le même numéro (mars 2024)

  • Le dossier du mois

    Journée du 8 mars, des femmes engagées dans la cité

    Maxime Renaudet, Sylvie Chatelin
    À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, à laquelle de nombreux acteurs de l’arrondissement participeront, Le 18e du mois a souhaité mettre à l’honneur les femmes et leur combat pour l’égalité des droits.
  • La vie du 18e

    Grand hôpital Paris-Nord, un projet toujours contesté

    Annie Katz, Dominique Gaucher
    La mobilisation s’amplifie contre la fermeture des hôpitaux Bichat et Beaujon et la construction du Grand hôpital Paris Nord à Saint-Ouen, à la suite de l’ouverture d’une nouvelle enquête publique.
  • La vie du 18e

    Anzoumane Sissoko. Militant dans l’âme [Article complet]

    Maxime Renaudet, Sylvie Chatelin
    On l’avait quitté en 2014 un peu avant les élections municipales. Depuis Anzoumane Sissoko, né au Mali il y a soixante ans, est devenu citoyen français et adjoint au maire du 18e chargé des solidarités internationales et des parcours d'accueil. Deux nouvelles étiquettes qui ne l’empêchent pas de continuer à défendre activement le sort des sans-papiers.
  • La vie du 18e

    Escalade, un sport qui grimpe

    Noël Bouttier
    La pratique de l’escalade a explosé depuis une dizaine d’années. Dans notre arrondissement, plusieurs salles proposent cette activité couplée avec de la restauration. Visite de deux d’entre elles.
  • Histoire

    Aux origines du rap français

    Maxime Renaudet, Mehdi Bouttier
    Né en France au début des années 1980 dans le sillage du mouvement hip-hop, le rap a toujours pu compter sur le 18e. Un arrondissement majeur dans l’éclosion de ce genre musical aujourd’hui plébiscité.
  • Culture

    Annie Ernaux à l’Atelier, des mots qui frappent fort

    Sandra Mignot
    Dans L’Evènement, Annie Ernaux a raconté, près de quarante ans plus tard, son vécu d’un avortement réalisé avant la dépénalisation de ce geste médical. Marianne Basler porte ce texte sur scène avec talent et sobriété.
  • Les Gens

    Fabienne Benveniste, de l’hôtel d’Augny à un parking souterrain

    Janine Mossuz-Lavau
    Artiste peintre de l’abstraction figurative lyrique et députée de la République de Montmartre, Fabienne Benveniste a choisi un endroit atypique pour exposer ses toiles : le parking Blanche-Pigalle.

n° 331

novembre 2024