Depuis le mois de janvier, c’est une jeune femme, Manon Desseauve, qui dirige le cinéma le Louxor. Rencontre croisée entre elle et l’ancien directeur, Emmanuel Papillon. Un relais dans la confiance et l’enthousiasme.
Quel était le projet qui a animé l’équipe — Carole Scotta et Martin Bidou (de la société de production Haut et Court) vous, ainsi que la Ville de Paris (le cinéma est confié en délégation de service public) — au moment de l’ouverture ?
Emmanuel Papillon Depuis 1921, date de la construction du lieu, Le Louxor a toujours été un cinéma, sauf une courte parenthèse où il a été une boîte de nuit, avant de fermer en 1988. Le quartier, riche culturellement, n’avait plus de cinéma alors qu’on en comptait plus d’une vingtaine entre la place de Clichy et Barbès jusqu’au début des années 70. C’est un quartier où les gens habitent et ils ont besoin d’un cinéma à côté de chez eux. La réouverture du Louxor en 2013 a donc été une bonne chose. Le projet était d’en faire un cinéma d’art et d’essai d’exclusivités mais aussi de quartier, ce qui correspondait totalement à notre intention de programmer des films d’auteurs. Le cinéma, qui a toujours eu une qualité historique et architecturale majeure, a été plébiscité tout de suite par le public, d’abord par curiosité de découvrir un lieu qui avait été fermé pendant trente ans. Aujourd’hui, nous faisons en moyenne 5 000 entrées par semaine, ce qui est très bien pour un cinéma de trois salles.
On peut donc parler d’une réussite, tant sur le plan du public que celui du fonctionnement ?
Manon Desseauve Moi qui arrive, je suis hallucinée par le nombre d’entrées. Le lundi, quand je vois les chiffres du week-end, je trouve cela absolument formidable pour un trois salles, avec un public très divers ! On y rencontre tous les âges, beaucoup de jeunes, ce qui est un peu la cible des cinémas d’art et d’essai.
E.P. Le Louxor est souvent la meilleure salle de France sur les films indépendants et le premier cinéma de France pour les films d’art et d’essai sur trois écrans. Bien sûr, on est à Paris, dans un quartier très dense en termes de population, à cheval sur trois arrondissements et sans concurrence. Mais au-delà de ça, il y a une politique tarifaire assez volontariste, en particulier pour les moins de 26 ans, maintenant identifiée.
M.D. Surtout, le cinéma attire les jeunes parce qu’il est le fruit d’un travail de longue haleine effectué par l’équipe, en particulier Stéphanie Hanna, la directrice adjointe. Il est quasiment impossible d’avoir une matinée sans scolaires et on accueille les centres de loisirs tous les jours pendant les vacances. Il y a d’ailleurs un travail global en direction de la jeunesse dans le quartier, je m’en suis rendu compte au contact des associations, notamment les Enfants de la Goutte d’or et Accueil Goutte d’or. En parallèle, la programmation faite par Martin Bidou, directeur et associé de Haut et Court, est extraordinaire, avec à la fois du jeune public, du patrimoine, des séances accompagnées. La qualité est là et très diversifiée. Je suis trop heureuse d’être ici !
E.P. Oui, toutes les écoles de la Goutte d’or viennent au Louxor parce qu’elles sont inscrites au dispositif d’éducation à l’image, grâce aux équipes pédagogiques très costaudes dans le quartier. Et tout cela a bien fusionné.
Pourtant, tout le monde parle de la mort du cinéma face aux autres supports numériques, notamment les plateformes de streaming ou de VOD.
M.D. Le cinéma n’a jamais aussi bien marché. Les entrées sont formidables depuis la fin du Covid, les gens reviennent en salle. Dès qu’apparaît une nouveauté technique audiovisuelle, on annonce la mort du cinéma. Il fut un temps c’était la télé, aujourd’hui c’est la VOD et le streaming. C’est vrai que ce sont de nouveaux enjeux mais c’est ce qui fait que ce secteur est vital. Les gens sont de mieux en mieux équipés chez eux, mais ils n’auront jamais un écran aussi grand que celui d’une salle. C’est aussi l’un des rares endroits où l’on déconnecte, on ferme son portable, les lumières s’éteignent, on est juste devant le film et on peut en discuter après… c’est précieux pour les gens. Le cinéma est en pleine forme !
Est-ce rare pour une femme de diriger un cinéma ?
E.P. Il y a plus de femmes que d’hommes ! La Fédération nationale des cinémas français a fait des statistiques sur la représentativité et c’est ce qui en ressort. Les femmes à Paris, dans les salles d’art et d’essai, ont eu un rôle moteur après la Deuxième Guerre mondiale, souvent des femmes issues de la Résistance. C’est un métier qui n’est pas physiquement pénible et qui a trait à la culture, un domaine où les femmes étaient plus investies, comme Simone Lancelot [pionnière des cinémas d’art et d’essai et qui dirigeait le Montcalm dans le 18e] ou Mme Renavand pour les salles historiques du Quartier latin comme Le Champollion.
Comment s’est déroulée la passation entre vous deux ?
M.D. J’ai été accueillie de façon très bienveillante par l’équipe, pour la plupart présente depuis l’origine. Il règne ici un véritable amour du Louxor. C’est cette passion, mêlée à la compétence, qui crée le lien avec l’histoire du lieu. Je suis certaine que les gens du quartier qui fréquentent le cinéma connaissent toutes les personnes de l’accueil. Ce qui est drôle, c’est qu’en 2013, lorsque le cinéma a ouvert, j’étais à la faculté et j’ai rédigé mon mémoire sur le Louxor. C’était écrit ! •
Photo : Thierry Nectoux