Créer et s’opposer à la culture familiale ou bien suivre la prescription parentale et ignorer sa vocation ? Tel est le dilemme qui s’impose à Asher, peintre issu d’une famille juive orthodoxe.
Asher Lev est un jeune homme vivant dans le Brooklyn des années 1950, issu d’une lignée de juifs hassidiques. Son destin est tout tracé. Comme son père, il secondera le Rebbe, le chef spirituel de leur communauté. Mais Asher a reçu un don du ciel. Depuis qu’il sait tenir un crayon, il dessine. Ses parents sont d’abord admiratifs, puis inquiets. Car cette aptitude particulière le fera forcément sortir de leur petit monde clos et rassurant. Prendre des cours, visiter les musées, lire des ouvrages sur les grands peintres, tout cela l’éloignera de l’étude de la Torah.
Le garçon veut plaire à sa famille. Mais, comme le dit Jacob Kahn, son professeur, il ne doit pas 3devenir une putain3. Il doit demeurer honnête vis-à-vis de lui-même. Au risque de choquer. L’enfant prodige va grandir. Peintre renommé, il n’aura pas la satisfaction d’accueillir son père et sa mère dans ses expositions, à cause de quelques nus sur les murs. Leur pudeur sera plus tard mise à rude épreuve par des œuvres autrement dérangeantes.
S’affranchir de son milieu
Ce personnage est né en 1972 sous la plume de Chaïm Potok. De tous ceux qu’il a imaginés, c’est celui dont l’écrivain s’est senti le plus proche. Aaron Posner a adapté cette pièce du roman de Potok dès 2009. La version représentée au théâtre des Béliers a été jouée avec succès lors des deux derniers festivals d’Avignon. Avec la même distribution. Martin Karmann parvient brillamment à donner vie à Asher de ses sept ans à l’âge adulte. Un personnage déchiré entre la fidélité aux siens et son irrésistible attrait pour l’expression artistique.
Stéphanie Caillol assume le rôle de la mère aimante mais toujours consciente de son devoir, celui d’une galeriste snob en extase devant les dessins d’Asher et d’un modèle qui lui révèle les courbes du corps féminin. Guillaume Bouchède incarne tour à tour trois figures d’autorité : le père, perplexe devant le talent de son fils, le rabbin, directeur de l’école et Jacob Kahn, le mentor qui ouvre pour Asher l’univers des goyim, aussi fascinant que dangereux.
Le public assiste ici à l’éternelle histoire d’un être qui cherche à s’affranchir de son milieu. En étant conscient de la souffrance que cela provoquera. Asher refuse d’être la copie de son père. Encore moins un « petit Chagall ». Il veut être simplement lui-même. C’est le sens de la phrase qu’il répète avec force : « Je m’appelle Asher Lev. » »
Photo : Alejandro Guerrero