Des professeures font classe dans la nature pour une approche nouvelle du travail scolaire, hors du quotidien.
Faire l’école dehors. Depuis plusieurs années, l’idée fait son chemin chez les enseignants et les expériences se multiplient un peu partout en France, même à Paris. Pourtant, les espaces verts – parcs ou jardins - pouvant accueillir régulièrement les élèves n’y sont pas si nombreux !
Au jardin partagé Le Bois Dormoy, l’idée est devenue réalité pour plusieurs enseignantes des écoles Pajol et Doudeauville. Elles y sont d’abord venues quelques fois, au fil des saisons et depuis l’année dernière s’y rendent toutes les semaines. Chaque jour, du lundi au vendredi, l’une des quatre classes de maternelle de l’école Pajol ou celle de CE2 à l’école Doudeauville vient « travailler » pendant une bonne heure au Bois Dormoy, situé à cinq minutes à pied de leurs établissements. Car il s’agit bien de profiter du jardin pour faire classe, mais de façon différente, et de permettre aux enfants citadins de (re)nouer des liens avec une nature qui, pour la plupart d’entre eux, n’appartient pas à leur paysage quotidien : une sensibilisation à l’écologie en douceur !
Un espace de liberté
« Au début, certains enfants ne voulaient pas venir, n’osaient ni bouger ni courir, et ne portaient pas toujours des vêtements adaptés, reconnaît Clara Plessier, initiatrice du projet à l’école Pajol. Aujourd’hui, ils attendent avec impatience le jour du Bois Dormoy. » Quel que soit le temps (sauf trombes d’eau ou froid glacial, évidemment), les enfants ouvrent la porte du jardin vers dix heures, l’enseignante et l’assistante éducative (ATSEM) tirant chacune un chariot débordant de matériel (livres, pinceaux et pots de peinture, papiers, stylos, jeux d’éveil, jeu de mölkky, cerceaux, etc., mais aussi loupes ou pinces à insectes).
Le plus souvent, le jardin résonne d’abord des cris joyeux des enfants, avant que le calme revienne, pour un temps d’observation de ce qui a changé depuis la dernière fois : les plantes ou les fleurs qui ont poussé, les feuilles qui commencent à tomber... Puis les enfants s’installent autour de l’enseignante ou autour de la grande table, pour les jeux de langage, de mathématiques, de reconnaissance des arbres à partir de photos, pour dessiner ou peindre tout ce qu’ils viennent d’observer, pour lire des albums... en somme, les mêmes activités qu’en classe, mais pas tout à fait. Elles sont rythmées par des temps de jeux libres pour courir, sauter, se cacher, s’attraper, tout en respectant les plantations et les parcelles. En effet, les enfants savent qu’il ne faut pas franchir les espaces délimités par les cordages ni arracher les feuilles des arbres, mais qu’il est possible de ramasser celles qui sont par terre.
Pour Clara Plessier et ses collègues (Lucie Lecouvreur, Véronique Moreau et Pauline Payen), ce jardin représente un formidable espace de liberté, à la superficie adaptée : vu à hauteur d’enfant, le Bois Dormoy ressemble à une véritable forêt. La porte du jardin, habituellement ouverte quand un adhérent s’y trouve, est fermée quand les classes sont là. « Cela nous rassure, les enfants peuvent circuler comme ils veulent, sans qu’on s’inquiète, ce qui est vraiment rare à Paris. »
Favoriser l’autonomie
Les enfants de CE2 de l’école Doudeauville ont beau être plus grands, pour eux aussi le Bois Dormoy, caché dans la cité de La Chapelle, est « un endroit qui fait magique », car on ne devine pas sa présence depuis la rue Marx Dormoy. Yassamin Jautée, leur enseignante, apprécie de les voir de plus en plus à l’aise dans le jardin (au début, certains d’entre eux avaient peur des bestioles) et heureux de retrouver « leur » coin à chaque fois.
Son projet est avant tout de favoriser le travail scolaire dans un environnement différent, propice à des apprentissages diversifiés ou en situation réelle. Par exemple, en mathématiques, les enfants ont établi le plan du bois, ou encore utilisé règle, mètre ruban et décamètre pour mesurer feuilles, arbres et jardin... Ces activités « déplacées » - telles « Silence on lit ! », le quart d’heure de lecture qui se déroule deux fois par semaine dans toutes les classes de l’école - motivent les enfants et les rendent davantage acteurs par leurs expériences, note Yassamin Jautée, même si pour certains, il est difficile de comprendre qu’au Bois Dormoy, on doit travailler tout autant qu’en classe. Mais bien sûr, elle réserve un temps à l’exploration libre du jardin, à l’identification des arbres ainsi qu’aux activités d’arts plastiques telles la création d’œuvres éphémères en land art avec ce qui se trouve au sol. « Les enfants apprennent beaucoup au Bois Dormoy et j’apprends avec eux : c’est l’essence même de mon métier », souligne-t-elle en souriant. Les enseignantes ne manquent pas d’idées pour développer de nouveaux projets au jardin : cultiver une parcelle, comme le fait déjà depuis plusieurs années une classe de l’école maternelle Marx Dormoy, mettre en place des ateliers avec des personnes ou associations expertes (telle la Ligue pour la protection des oiseaux), etc. Ces envies ravissent les adhérents de l’association du Bois Dormoy qui souhaitent ouvrir le jardin le plus largement possible aux habitants du quartier.
Illustration Stéphanie Clément