Prévue et minutieusement organisée de longue date, l’occupation de l’unique chantier lié aux Jeux olympiques et paralympiques dans Paris a permis à quelque 150 travailleurs sans titre de séjour de retrouver l’espoir. Récits en deux temps de l’opération et des négociations.
D’abord entrer dans les lieux
Une petite pointe de sprint à l’aube pour traverser le boulevard Ney. Le portail d’accès au chantier de l’Arena est grand ouvert. Quelques cris et les bras ouverts des gardiens tentent de stopper l’afflux. Mais ils sont entrés. Mardi 17 octobre, une soixantaine de travailleurs sans-papiers, appuyés par la Confédération nationale des travailleurs – solidarité ouvrière (CNT-SO), les collectifs Gilets noirs, CSP75, CSP20, CSP Montreuil, ont entamé l’occupation de ce chantier symbolique pour revendiquer leur régularisation.
L’évènement avait été prévu de longue date. Des tractages discrets avaient été organisés, afin que distributeurs et lecteurs ne soient pas repérés et écartés des chantiers par leurs patrons. Le bouche-à-oreille avait également fait son office. Et chacun s’était préparé, laissant à la maison tous types de documents qui auraient pu les identifier en cas d’interpellation. Réunis à quelques stations de métro de la porte de La Chapelle, ils avaient ensuite voyagé dans plusieurs wagons différents. Mot d’ordre : ne pas se faire remarquer.
Sur le chantier, au début les contremaîtres se sont également agités : « Vous n’avez pas le droit d’être là et les photos c’est interdit », hurlait l’un d’eux. « Vous n’avez même pas de casque ! » Tandis que des soutiens affluaient encore, jusqu’à atteindre près de 150 personnes trois heures après le début de l’opération. « Mais putain, il sait pas fermer une porte celui-là » vociférait le responsable du chantier, courant vers l’entrée pour empêcher l’arrivée d’autres manifestants. Des militants de Droits devant et de la Marche des solidarités s’infiltraient malgré tout, profitant de la sortie d’un camion et d’une brèche dans l’enceinte chaotique cernant les lieux.
Impots payés, papiers négociés
« Les immigrés arrêtent le Grand Paris » ou encore « Halte à l’’exploitation, respect de la dignité » clamaient leur banderoles. Côté son, on se réchauffait en chantant à plein poumons malgré la fraîcheur du petit matin : « Qu’est-ce qu’on veut ? »Des papiers !« »Exploitation, y’en a marre !« Ceux qui sont là ont principalement travaillé sur les chantiers des Jeux olympiques et sur ceux du Grand Paris. Mais il y a aussi d’autres ouvriers. Aboubakar est en France depuis 2014, il travaille dans une usine de glace à Rungis. Il casse des blocs de 23 h à 6 h du matin. Sans titre de séjour, il n’a jamais pu rentrer au pays et revoir sa fille. Dans son entreprise, sur quinze salariés, un tiers sont sans-papiers. »Le patron a déjà fait régulariser des employés mais quand ils ont des papiers, ils s’en vont« , observe avec ironie Aboubakar. Hassan, lui, travaille depuis six ans sur l’un des chantiers du métro. »J’ai payé 2300 € d’impôts cette année, et je n’ai même pas la possibilité de partir en vacances revoir mes proches, j’habite encore chez mon cousin et je n’ai pas les mêmes droits que mes collègues !".
L’objectif de la journée est donc de faire pression sur Bouygues, pour qu’à son tour l’entreprise du bâtiment pousse ses sous-traitants à lancer des procédures de régularisation. Le projet de loi Darmanin, qui sera prochainement présenté au Sénat et son article concernant la régularisation des travailleurs sont aussi dans le viseur des grévistes.
Les militants ont sorti leurs thermos de café et quelques viennoiseries. Le piquet de grève est installé. Un léger cordon de police bloque l’accès au site. Les négociations peuvent commencer.
Photo : Thierry Nectoux