Coordinatrice des trois centres d’animation du 18e, Christine Le Gall est amoureuse de son quartier, et surtout des gens qui y vivent avec lesquels elle partage sans relâche sa conviction que la culture est vitale pour exister.
A l’époque de sa rencontre avec celui qui allait devenir son mari, il y a plus de trente ans, Christine habite porte de Clichy. Elle prend plaisir à venir se balader à Montmartre et rêve de s’en rapprocher. Sur la Butte, elle aime la multiplicité des échoppes, des artisans, les petits cafés pas encore transformés en grandes brasseries à touristes : « Je revenais en bus du travail et j’avais l’impression de rentrer au village. » Au virage Lepic, restaurant convivial à l’époque, tenu par Denise, avec Bertrand en cuisine, et toujours ouvert sous ce nom, Christine rencontre celui qui va accélérer son installation dans le quartier.
La culture dans le cœur et dans les jambes
Maintenant, le 18e, c’est chez elle et pas seulement parce qu’elle y habite : sa silhouette menue arpente en long et en large l’arrondissement, le plus souvent à pied. Les bras chargés de sacs remplis de livres, de cahiers, d’un ordinateur, de tissus, d’objets divers destinés à l’on ne sait quel projet, elle rallie les trois centres d’animation dont elle a maintenant la responsabilité : Binet à la porte Montmartre, Rachid Taha à La Chapelle et Hébert.
Elle profite d’un passage dans l’édition jeunesse pour reprendre des études à la fac en sociologie urbaine et rédiger un mémoire sur le musée de Montmartre. Celui-ci est alors dirigé par l’architecte Claude Charpentier qui lui ouvre sa porte et ses archives. En 2000 elle candidate au poste de directrice adjointe du centre d’animation Binet en 2000.
« A l’époque, c’était le vieux Binet, un bâtiment assez désuet d’aspect, dans un quartier qui était très périphérique, ouvert sur le mail Binet ; à l’intérieur pourtant c’était du solide. » » Elle en voit tout de suite les aspects très positifs, c’est dans sa nature. Car Christine a l’art de s’emparer du lieu le plus banal pour le transformer en séjour coloré, convivial et multiple « pour que les gens s’y sentent comme à la maison ». Ici elle pose des tapis, là une vaisselle de couleur, là encore des affiches, des dessins ou des expositions de photos, glanés au fil de sa curiosité insatiable. D’un geste, les lieux souvent impersonnels qu’elle investit prennent vie et deviennent chaleureux.
Sa formation en médiation culturelle aux Arts et Métiers lui fait comprendre l’importance du rapport entre un lieu et les publics. « Dès mon arrivée, j’ai pris contact avec toutes les structures qui existaient déjà sur le quartier, non seulement culturelles mais sociales. Je me suis dit qu’on ne pouvait pas travailler chacun de son côté. Il fallait donner une visibilité à cet endroit en travaillant ensemble. Et donc partir sur des thématiques que l’on pouvait co-construire. » Elle se souvient par exemple d’un festival des épouvantails où elle avait mobilisé les écoles, les jardins d’enfants, les habitants. Tout le monde était descendu avec sa réalisation individuelle, devenue collective, sous le chapiteau d’Adrienne installé là à l’époque. Un autre grand souvenir : l’exposition du petit Paulo, judoka de cinq ans qui faisait de la photographie et à qui elle a offert les murs du centre pour exposer. Sans parler de son engouement pour le Japon, qu’elle a partagé plusieurs années de suite en organisant une résidence artistique qui a permis aux habitants de voir circuler dans le quartier des artistes, danseurs, plasticiens, musiciens en kimono … « C’était surréaliste ! Mais il y avait quelque chose de très respectueux qui circulait », s’amuse-t-elle.
Le fond de son projet, c’est d’enrichir, de compléter les pratiques offertes par les centres, langues, soutien scolaire, ateliers artistiques, en favorisant la rencontre avec des artistes professionnels. De l’absence de grands lieux culturels à proximité, elle a fait une force en favorisant le lien avec les institutions à l’échelle de l’arrondissement, le théâtre de la Ville, l’Etoile du Nord, le Grand Parquet de l’époque : « J’avais envie de proposer aux habitants de la culture de haut niveau, qui ne soit pas au rabais. On a le droit, dans ces quartiers, d’avoir accès à ces pratiques. Et je me souviens des artistes, du théâtre des Abbesses en particulier, qui venaient rencontrer ces publics pour les sensibiliser à leur venue au théâtre : une femme était montée sur le plateau pour embrasser la metteuse en scène tellement elle était émue de ce qu’elle avait vécu. On emmenait le pique-nique et on partait pour la journée rencontrer les artistes. Je trouve que cette proximité avec les acteurs, les gens de scène, de musique est importante parce qu’elle désacralise complètement l’accès à la culture. Et que l’art nous construit. »
Puis le quartier s’est totalement transformé et Christine a accompagné les nouveaux projets de pratique culturelle. Elle fera pareil au centre Paris Anim’ Chapelle dont elle supervise l’ouverture et le lancement. Elle sait créer l’évènement, mener des projets ambitieux en mettant à profit la diversité et la richesse de l’environnement. C’est d’ailleurs ce dont témoigne Alexandre M, qui depuis sept ans est le technicien son du centre Binet : « Elle sait reconnaître les qualités de chacun dans les équipes et en dehors, pour créer des liens. »
La confiance comme credo
Eveiller la culture, croire qu’elle est capable de changer le destin des hommes en les élevant, surtout les jeunes, c’est certainement l’un des mantras de Christine Le Gall. Alexandre le confirme : « Elle aime travailler dans les quartiers dits sensibles, pour lesquels elle veut le meilleur ; elle fait confiance, elle a à cœur de nourrir et elle met les mains dans le cambouis. » De fait, Christine accompagne régulièrement les familles aux spectacles et concerts pour lesquels elle obtient des tarifs préférentiels, sacrifie de nombreux dimanches au salon du livre de la porte Binet, au prix Felipe, aux expositions qu’elle initie, aux restitutions d’ateliers, aux sorties en famille, son dada… Mais toujours avec le sourire et le sentiment que l’enrichissement est partagé.
Modeste, croyant au pouvoir des équipes soudées, elle ne se met jamais en avant. Pourtant, elle en a impulsé, des projets ! « C’est un capitaine de navire, contre vents et marées, en mode « force tranquille », s’amuse Alexandre. « Elle explique tout, elle est très pédagogue avec son équipe, elle comprend les gens, leurs envies, leurs attentes. » Une excellente cheffe d’orchestre, le sourire en plus.
Photo : Thierry Nectoux