Photojournaliste de talent, ami des stars, confident de François Mitterrand, galeriste, la vie de Claude Azoulay, habitant de Montmartre depuis 1990, est riche en péripéties.
La mèche élégante du haut de ses 89 printemps, œil noir qui frise et accent méditerranéen typique, Claude Azoulay pourrait tourner dans une pub un peu datée pour le couscous, genre « C’est bon comme là-bas ». Après des études au lycée Turgot de Tunis, ce fils d’une famille de la petite bourgeoisie juive locale quitte l’Afrique du Nord à bord d’un paquebot. Destination : Marseille. Il n’a que quatorze ans mais parle français, anglais, espagnol, italien, arabe et hébreu.
Celui que tous ceux qui le connaissent appellent « Zouzou », se lance très tôt dans la vie professionnelle. Après avoir étudié au lycée Henri IV à Paris, il effectue un passage au mythique France Soir de Pierre Lazareff. Puis il rejoint le graal du photojournalisme de l’époque, Paris Match, en 1954. Copié sur le modèle du magazine américain Life, un illustré à succès, ce mastodonte de la presse populaire française a pour mot slogan : « Paris Match, le poids des mots, le choc des photos ». De son entrée à son départ de Match, « Zouzou » sera sur tous les évènements qui « comptent », des plus petits aux plus grands.
Une vie professionnelle planétaire
« Mon premier souvenir, c’est sa présence, massive, réduisant les couloirs de Match aux dimensions de corridors, son lourd sac photo en bandoulière et son fameux sourire en écharpe » », écrit à son propos Jean Michel Caradec’h, grand reporter à Match, écrivain, prix Albert Londres, décédé en novembre 2022. « « Et cette voix de baryton, où les accents des “fortifs” se pimentent d’une pointe méditerranéenne, qu’il interpelle l’auditoire avec autorité, ou le charme d’un simple plissement des yeux. »
Le photographe s’enorgueillit d’avoir ainsi couvert (comme on dit dans le métier) vingt-deux guerres et conflits, cinq cents voyages au Moyen-Orient, seize Festivals de Cannes, trois Tours de France et tiré le portrait de tous les présidents de la République, de Vincent Auriol à Emmanuel Macron ! Les personnalités qu’il a côtoyées vont de Jean-Paul Belmondo à Brigitte Bardot, de Peter O’Toole à John Lennon, de John Wayne à Kirk Douglas et de Charles de Gaulle à Winston Churchill… Leurs portraits ont été exposés dans différentes galeries françaises, surtout depuis qu’il a quitté Match, en 1996.
Parmi ceux qui sont devenus ses amis, il cite volontiers François Mitterrand ; que ce soit à la bergerie de Latché dans les Landes, à Chateau Chinon, le fief de Mitterrand dans le Morvan, à l’Elysée, pendant les voyages présidentiels, on les voyait partout ensemble. « J’étais le photographe de Match, pas de l’Elysée » précise-t-il tout de même. « J’ai fait plusieurs tours du monde avec Mitterrand. Une relation s’est nouée. On parlait simplement, de la France et du monde. Ça l’intéressait, je pense. D’où la rumeur que j’étais son confident. » De ces rencontres, le photojournaliste a conservé une statuette réalisée par l’ex-dessinateur du Monde, Plantu, qui trône sur une étagère de son appartement.
La maison sur la Butte
Toute sa maison de la rue Lepic, deux niveaux sur jardin, avec un superbe magnolia, est un cocon empli de photos souvenirs de ses voyages, d’amis artistes ou d’hommes politiques et de ses quatre enfants issus de mariages conclus de par le monde. Après avoir habité Nanterre puis le 16e arrondissement, il arrive par hasard sur la Butte : « Un ami m’a parlé d’une maison à vendre. Utrillo y avait peint au premier étage. En 1990, c’était une ruine, endommagée par un incendie. J’ai été autorisé à la transformer en maison d’architecte, ce qui a pris trois ans ».
Montmartre, Claude Azoulay, qui le sillonne toujours sur son petit scooter, s’y sent bien : « J’aime beaucoup la rue et la place des Abbesses, surtout quand il y a des évènements comme la Fête de la Coquille ou des vide-greniers. J’aime aussi les brasseries comme le Nazir ou la Mascotte, le restaurant la Rughetta, les chinois du bas de la rue Lepic. J’adore l’esprit “village” des Abbesses ».
Dans sa maison, toute en lumière sous la verrière, il a exposé sa vie. Sur un mur, une photo en noir et blanc : on le reconnait aux côtés de la toute jeune reine d’Angleterre, Elizabeth II, au Louvre en 1957. Même ses toilettes sont tapissées de photos. On l’y voit en particulier avec son grand ami Jean-Paul Belmondo, alias Bebel : « Nous nous connaissions depuis ses vingt ans, quand il faisait le Conservatoire », dit-il. A l’instar de l’acteur dans Le Magnifique, de Philippe de Broca, Claude Azoulay a de l’abattage et de la tchatche.
L’homme d’action est un ami
Et les amis qu’il affiche chez lui ne tarissent pas d’éloges à son propos : « Claude est mon ami, et plus, un grand frère veillant avec toute la puissance bourrue de son affection et de sa bienveillance », disait de lui Jean-Michel Caradec’h. « Les reportages que nous avons vécus côte à côte à Beyrouth en feu, où il se mouvait avec l’aisance d’un guerrier, m’ont plus appris sur le reportage et la vie que quiconque » ». Guy Sitbon, exsignature de L’Express, Jeune Afrique, Le Monde ou encore du Nouvel Observateur, familier des mêmes QG montmartrois, considère « Zouzou » comme « un véritable artiste. Il a été de toutes les guerres mais c’est sa force de cœur et sa générosité qui ont fait de lui le grand artiste qu’il est »
Photo : Jeanne Frank