Journal d’informations locales

Le 18e du mois

Abonnement

FacebookTwitter

juin 2023 / Les Gens

Claude Azoulay : le Magnifique de Montmartre

par Erwan Jourand

Photojournaliste de talent, ami des stars, confident de François Mitterrand, galeriste, la vie de Claude Azoulay, habitant de Montmartre depuis 1990, est riche en péripéties.

La mèche élégante du haut de ses 89 printemps, œil noir qui frise et accent méditerranéen typique, Claude Azoulay pourrait tourner dans une pub un peu datée pour le couscous, genre « C’est bon comme là-bas ». Après des études au lycée Turgot de Tunis, ce fils d’une famille de la petite bourgeoisie juive locale quitte l’Afrique du Nord à bord d’un paquebot. Destination : Marseille. Il n’a que quatorze ans mais parle français, anglais, espagnol, italien, arabe et hébreu.

Celui que tous ceux qui le connaissent appellent « Zouzou », se lance très tôt dans la vie professionnelle. Après avoir étudié au lycée Henri IV à Paris, il effectue un passage au mythique France Soir de Pierre Lazareff. Puis il rejoint le graal du photojournalisme de l’époque, Paris Match, en 1954. Copié sur le modèle du magazine américain Life, un illustré à succès, ce mastodonte de la presse populaire française a pour mot slogan : « Paris Match, le poids des mots, le choc des photos ». De son entrée à son départ de Match, « Zouzou » sera sur tous les évènements qui « comptent », des plus petits aux plus grands.

Une vie professionnelle planétaire

« Mon premier souvenir, c’est sa présence, massive, réduisant les couloirs de Match aux dimensions de corridors, son lourd sac photo en bandoulière et son fameux sourire en écharpe » », écrit à son propos Jean ­Michel Caradec’h, grand reporter à Match, écrivain, prix Albert Londres, décédé en novembre 2022. « « Et cette voix de baryton, où les accents des “fortifs” se pimentent d’une pointe méditerranéenne, qu’il interpelle l’auditoire avec autorité, ou le charme d’un simple plissement des yeux. »

Le photographe s’enorgueillit d’avoir ainsi couvert (comme on dit dans le métier) vingt-deux guerres et conflits, cinq cents voyages au Moyen-Orient, seize Festivals de Cannes, trois Tours de France et tiré le portrait de tous les présidents de la République, de Vincent Auriol à Emmanuel Macron ! Les personnalités qu’il a côtoyées vont de Jean-­Paul Belmondo à Brigitte Bardot, de Peter O’Toole à John Lennon, de John Wayne à Kirk Douglas et de Charles de Gaulle à Winston Churchill… Leurs portraits ont été exposés dans différentes galeries françaises, surtout depuis qu’il a quitté Match, en 1996.

Parmi ceux qui sont devenus ses amis, il cite volontiers François Mitterrand ; que ce soit à la bergerie de Latché dans les Landes, à Chateau Chinon, le fief de Mitterrand dans le Morvan, à l’Elysée, pendant les voyages présidentiels, on les voyait partout ensemble. « J’étais le photographe de Match, pas de l’Elysée » précise-t-il tout de même. « J’ai fait plusieurs tours du monde avec Mitterrand. Une relation s’est nouée. On parlait simplement, de la France et du monde. Ça l’intéressait, je pense. D’où la rumeur que j’étais son confident. » De ces rencontres, le photojournaliste a conservé une statuette réalisée par l’ex-dessinateur du Monde, Plantu, qui trône sur une étagère de son appartement.

La maison sur la Butte

Toute sa maison de la rue Lepic, deux niveaux sur jardin, avec un superbe magnolia, est un cocon empli de photos souvenirs de ses voyages, d’amis artistes ou d’hommes politiques et de ses quatre enfants issus de mariages conclus de par le monde. Après avoir habité Nanterre puis le 16e arrondissement, il arrive par hasard sur la Butte : « Un ami m’a parlé d’une maison à vendre. Utrillo y avait peint au premier étage. En 1990, c’était une ruine, endommagée par un incendie. J’ai été autorisé à la transformer en maison d’architecte, ce qui a pris trois ans ».

Montmartre, Claude Azoulay, qui le sillonne toujours sur son petit scooter, s’y sent bien : « J’aime beaucoup la rue et la place des Abbesses, surtout quand il y a des évènements comme la Fête de la Coquille ou des vide-greniers. J’aime aussi les brasseries comme le Nazir ou la Mascotte, le restaurant la Rughetta, les chinois du bas de la rue Lepic. J’adore l’esprit “village” des Abbesses ».

Dans sa maison, toute en lumière sous la verrière, il a exposé sa vie. Sur un mur, une photo en noir et blanc : on le reconnait aux côtés de la toute jeune reine d’Angleterre, Elizabeth II, au Louvre en 1957. Même ses toilettes sont tapissées de photos. On l’y voit en particulier avec son grand ami Jean-Paul Belmondo, alias Bebel : « Nous nous connaissions depuis ses vingt ans, quand il faisait le Conservatoire », dit-il. A l’instar de l’acteur dans Le Magnifique, de Philippe de Broca, Claude Azoulay a de l’abattage et de la tchatche.

L’homme d’action est un ami

Et les amis qu’il affiche chez lui ne tarissent pas d’éloges à son propos : « Claude est mon ami, et plus, un grand frère veillant avec toute la puissance bourrue de son affection et de sa bienveillance », disait de lui Jean-­Michel Caradec’h. « Les reportages que nous avons vécus côte à côte à Beyrouth en feu, où il se mouvait avec l’aisance d’un guerrier, m’ont plus appris sur le reportage et la vie que quiconque » ». Guy Sitbon, ex­signature de L’Express, Jeune Afrique, Le Monde ou encore du Nouvel Observateur, familier des mêmes QG montmartrois, considère « Zouzou » comme « un véritable artiste. Il a été de toutes les guerres mais c’est sa force de cœur et sa générosité qui ont fait de lui le grand artiste qu’il est »

Photo : Jeanne Frank

Dans le même numéro (juin 2023)

  • Le dossier du mois

    Services publics, hors du net, point de droits

    Annick Amar, Annie Katz
    Au Café social de l’association Ayyem Zamen, la permanence d’accès aux droits sociaux ne désemplit pas. Si différents problèmes peuvent y être dénoués, la demande la plus fréquente concerne l’ouverture des droits à la retraite.
  • La vie du 18e

    Veillées d’armes contre la fermeture des classes !

    Dominique Boutel
    Plus que jamais mobilisés pour la défense de l’éducation publique, parents et enseignants organisent des veillées en famille dans plusieurs écoles.
  • La vie du 18e

    Nature : toutes les vertus du pissenlit

    Jacky Libaud
    Avant de le manger par la racine, ne nous refusons pas de le consommer en délicieuses salades et de lui voler ses vitamines. Sans oublier ses vertus gommeuses qui pourraient bien relancer la production de pneus.
  • La vie du 18e

    Racines : la pépinière de seconde main [Article complet]

    Sylvie Chatelin
    Un balcon ou un jardin à verdir et pas beaucoup de moyens ? Ou marre d’acheter des plantes importées des quatre coins du monde, « poussées » sous serres chauffées et ayant parcouru des milliers de kilomètres avant d’arriver chez nos fleuristes ?
  • Goutte d’Or

    CAN 18. Et 1.. et 2.. et 3 à la Goutte d’Or

    Elise Coupas, Jean-Marie Petesch
    L’événement sportif et festif à ne pas rater ce printemps, c’est la Coupe d’Afrique des nations, version 18e ! Rendez-vous le 3 juin au square Léon pour le début de la 4e édition.
  • Histoire

    La révolution fatale aux Abbesses

    Béatrice Dunner
    Si Abbesses est désormais un quartier très prisé de Paris, celles qui lui ont donné son nom ont disparu corps et âmes après la Révolution. Retour sur les dernières années d’existence des Dames de Montmartre.

n° 230

octobre 2024