Au Café social de l’association Ayyem Zamen, la permanence d’accès aux droits sociaux ne désemplit pas. Si différents problèmes peuvent y être dénoués, la demande la plus fréquente concerne l’ouverture des droits à la retraite.
La mission du Café social installé rue Dejean depuis 2008 est double : entretenir le lien social en proposant à toute personne âgée isolée un espace d’accueil chaleureux, de rencontre et d’écoute et, d’autre part, assurer l’accès aux droits et à la santé via des permanences administratives quotidiennes. Entre 400 et 500 adhérents y sont inscrits chaque année. 80 % d’hommes et 20 % de femmes. Mais l’accompagnement de l’accès à la retraite est en train de prendre le dessus de cette activité.
« Avant, le café orientait les gens en difficulté administrative vers le service social de la Mairie, note Maia Lecoin, directrice du Café social depuis 2019. Actuellement, c’est la Mairie qui les dirige massivement vers nous. Or nous n’avons ni les moyens humains ni financiers pour répondre à cette forte demande. Lors de nos permanences, on est obligé de refuser des gens ! Le principe de l’égalité d’accès aux droits, aux services publics est très sérieusement remis en question par cette dématérialisation à marche forcée ! »
« La CNAV, c’est toujours fermé. »
Mustafa, 64 ans, confirme : « Nous, on n’a pas d’ordinateur, on est étrangers, on sait pas manipuler tout ça », explique-t-il attablé devant un café dans le local de la rue Dejean, attendant la travailleuse sociale avec laquelle il a rendez-vous. Ce jeune retraité qui entretenait des machines à coudre utilisées dans le secteur de la haute couture, avant qu’une maladie le contraigne à l’invalidité, a appris il y a quelques mois qu’il ne relevait plus de l’allocation adulte handicapé (AAH), mais de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). Pire, un courrier l’a informé qu’il aurait dû enclencher les démarches pour toucher sa pension deux ans plus tôt et qu’il devait donc rembourser deux ans d’allocation à la Caisse d’allocations familiales (CAF). « Je me suis tourné vers le Défenseur des droits, rue de Suez, qui m’a conseillé de venir au Café social. »
A côté de lui, Mohamed 65 ans, commence tout juste à toucher sa pension et il vient compléter son dossier pour la retraite complémentaire. « Je suis allé à la CNAV avenue de Flandre, c’est toujours fermé. Et au téléphone ça ne répond jamais, on peut attendre des heures », explique cet ancien employé d’une entreprise de nettoyage de cabines téléphoniques.
Le Café social a donc pris l’initiative, en juillet 2022, de constituer un collectif avec d’autres associations d’Ile-de-France accompagnant des personnes âgées issues de l’immigration. Toutes font le même constat alarmant : « Avec la dématérialisation accélérée des démarches administratives, les usagers ne sont plus reçus physiquement. Or, notre public ne sait souvent ni lire ni écrire, ne possède ni ordinateur ni smartphone », s’insurge Maia Lecoin.
Ces associations ont décidé de coordonner leurs méthodes de travail puis ont publié une tribune collective, dans Médiapart, en octobre 2022. En février 2023, le Collectif a été reçu par la direction Ile-de-France de la CNAV et lui a demandé la réouverture des guichets physiques, la diminution des délais de traitement, la mise en place d’outils pour assouplir l’accompagnement des usagers.
A la suite de cette rencontre, finalement insatisfaisante, le Collectif a lancé une pétition en ligne qui a reçu près de 10 000 signatures et a rencontré plusieurs élus. Notre modèle social est souvent cité en exemple, malheureusement nous sommes en train de le fragiliser, se désole Maia Lecoin. Nos adhérents sont victimes d’une véritable maltraitance administrative. Alors qu’ils sont très fiers d’avoir participé à la construction du métro ou du Stade de France, ils ne comprennent pas pourquoi, aujourd’hui, ils ont autant de difficultés à percevoir leurs pensions de retraite alors qu’ils ont travaillé toute leur vie.« Un vrai scandale, comme le dit Mohamed. »Désormais, ils n’ont plus confiance en l’administration", conclut la directrice, à la fois inquiète et pleine d’espoir car le Collectif est bien déterminé à mener le combat de l’égal accès aux droits.
Photo : Tamara Escoriza