Journal d’informations locales

Le 18e du mois

avril 2025 / La vie du 18e

Le centre des impôts aux abonnés absents

par Dominique Andreani

Entre la réduction des horaires d’ouverture, des effectifs en baisse et une augmentation des burn-outs, le dernier centre des impôts de l’arrondissement peine à bien recevoir ses usagers.

Si vous passez le matin près du Service des impôts des particuliers (SIP), rue Eugène-Carrière, vous serez frappé par la longue file d’usagers à l’extérieur. Rien de comparable aux pics attendus pendant la campagne de déclaration des revenus de 2024 qui débute le 10 avril. « Je suis là depuis 7 h 30 et il y avait déjà deux personnes avant moi » s’impatiente, en ce matin de décembre, une sexagénaire fataliste. Car il ne s’agit pas de « rater le coche » depuis que la Direction régionale des finances publiques (DRFIP) a restreint drastiquement les horaires d’ouverture du centre de la rue Eugène-Carrière, lequel n’est désormais ouvert que trois jours par semaine, de 8 h 45 à 12 h 45. « Jusqu’en 2022, il y avait deux centres dans le 18e avec celui de la rue de Boucry, explique un élu CGT du personnel qui souhaite conserver son anonymat. Et puis il y a eu la NRP, autrement dit le Nouveau Réseau de proximité, avec à la clé… la fermeture du centre Boucry. » Comme on le sait, la novlangue est une vraie perversion du langage, car voilà les habitants de La Chapelle et de Marx Dormoy beaucoup plus éloignés de leur service. Il s’agit en fait, selon la politique officielle de l’État de « rationaliser l’immobilier » et « supprimer des emplois »*.

C’est donc la loterie

Le centre Boucry n’a pas été choisi au hasard. Drainant la population globalement plus « populaire », la DRFIP comptait sur un moindre engagement des usagers. Les syndicalistes ont été obligés de constater que la plupart des agents de Boucry étaient peu enracinés dans le quartier et de ce fait plus difficiles à mobiliser pour lutter contre la fermeture de ce centre.

Malgré l’opposition syndicale (CGT, Solidaires, etc.) et l’intervention du maire du 18e, le centre Boucry a fermé il y a deux ans. D’ailleurs, cinq autres centres parisiens (11e, 16e, 12e, 13e et 19e) vont subir le même sort d’ici 2028.

Engorgé par un afflux d’usagers, le centre des Grandes-Carrières peine donc à bien recevoir, d’autant qu’un seul accueil est prévu pour les deux services des impôts des particuliers (SIP). Si bien que, lorsque vous vous présentez, vous ne savez pas si vous avez affaire à un agent de votre service (Boucry ou Grandes-Carrières) et si votre dossier pourra être bien suivi. C’est donc la loterie !

Pour le représentant du personnel, la stratégie menée par la Direction générale viserait à « décourager de venir, en rendant l’expérience la plus pénible possible ». Il évoque une note interne qui enjoindrait « les agents à ne pas passer plus de cinq minutes avec un contribuable ». Ainsi, les « accueils multicanaux » (téléphone, mails, télédéclaration…) sont largement priorisés. Ceux-ci sont en fait beaucoup plus chronophages car ils nécessitent de nombreux allers et retours. Alors qu’au guichet, on essaye de régler le problème en une fois.

C’est faire peu de cas de la fracture numérique et des 30 % de la population qui sont touchés par l’illectronisme. S’approprier les nouvelles technologies, maîtriser le français, le langage administratif et la législation fiscale mouvante est compliqué. D’ailleurs, peu d’usagers vont sur la dizaine de bornes installées dans le centre rue Eugène-Carrière. Ceux qui pâtissent le plus de cet état sont les plus vulnérables, les précaires, les personnes âgées, les immigrés.

Un management de plus en plus autoritaire

Les conséquences sont nombreuses. Pour les usagers, d’abord, dont les besoins ne sont pas satisfaits et qui, découragés, peuvent remettre en cause l’utilité des services publics ou devenir agressifs. Mais aussi pour le personnel, en sous-effectif, qui peut être las des incivilités, de l’augmentation de la charge de travail. L’élu CGT, dont le mandat s’exerce sur les conditions de travail, note que « les chefs sont aussi contraints par des objectifs irréalisables. Ils sont sous pression et redescendent cette tension sur les agents. » D’où un management de plus en plus autoritaire. Et donc des risques psychosociaux et une augmentation des burn-outs. Enfin pour l’Etat lui-même qui abandonne ses missions et, par exemple, affaiblit la lutte contre la fraude fiscale. Cette déshumanisation des services publics est un échec pour toute la société.

Photo : Maxime Renaudet

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  • La vie du 18e

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