Journal d’informations locales

Le 18e du mois

mai 2023 / Histoire

Les lumières de la ville

par Danielle Fournier

Personne ne peut s’imaginer aujourd’hui les rues parisiennes plongées totalement dans le noir. Pourtant, jusqu’au milieu du XVIIe siècle, le couvre-feu était instauré. Délicat et dangereux de sortir ! Seuls ceux qui faisaient partie du guet, passée une certaine heure, parcouraient les rues à la lueur des flambeaux. Ensuite, le gaz puis l’électricité ont révolutionné les nuits de Paris.

Au Moyen Age, avec la nuit, venait la peur des crimes, des vols, des mauvaises rencontres. Première initiative, en 1318, Philippe V le Long fait placer une chandelle dans une lanterne de bois garnie de vessie de porc à la porte du tribunal du Châtelet « afin de déjouer les entreprises des malfaiteurs ». On connaît l’expression prendre des vessies pour des lanternes ! Il existait deux autres éclairages à la tour de Nesle et au cimetière des Innocents. Mieux valait rester chez soi.

On demanda ensuite à chaque propriétaire de mettre, de neuf heures du soir à minuit, des « flambeaux ardents » – une lanterne allumée d’une chandelle – sur une des fenêtres du premier étage, « dans la crainte des mauvais garçons qui courent la nuit par cette ville ». Il est vrai qu’une quinzaine de personnes étaient assassinées chaque nuit. Et le 26 octobre 1558, le Parlement de Paris ordonna qu’entre dix heures du soir et quatre heures du matin on éclaire chacune des rues au moyen d’un falot. Rapidement, les lanterniers se lancèrent dans la confection du matériel nécessaire.
Mais qui allait payer pour l’entretien de ces lanternes ? Cette mesure, faute de financement, eut peu d’effet.

Le temps des chandelles, falots et lanternes

Paris est alors éclairé par les quelques falots qui brûlent devant des statues de madone placées au coin des rues ou quelques chandelles allumées aux fenêtres. De plus, les lumières n’étaient allumées que du 1er novembre à la fin février. En 1661, un arrêt du Parlement de Paris augmente la durée de l’ « illumination » du 20 octobre au 31 mars et en 1667, un ministre du roi Soleil se lance dans l’installation de lanternes dans tout Paris. Louis XIV confie au sieur abbé Laudati Caraffa la « concession » de proposer des « porte-flambeaux et porte-lanternes à louage ». La police faisant respecter la réglementation plus rigoureuse instituée par le lieutenant général de police, le nombre de lanternes atteint 2 736 pour éclairer 912 rues de Paris. Une entreprise de porte-flambeaux et de porte-lanternes éclairait la nuit les passants, « sans toutefois diminuer le nombre des lanternes placées au milieu et aux coins des rues de Paris ». On double donc le système fixe par un système à la demande. Chaque lanternier accompagnait le noctambule en l’éclairant avec un flambeau de cire divisé en dix tranches et portait à sa ceinture un sablier d’une demi-heure, marqué aux armes de la Ville. Les porte-lanternes étaient distribués par stations, éloignées chacune de cent toises. Des guetteurs, ou veilleurs de nuit, portaient des lanternes numérotées par la police et devaient crier bien fort : « Voilà le falot ». La peine de galères était réservée à ceux qui auraient brisé ces lanternes. Pour se faire éclairer en carrosse, il fallait payer au porte-lanterne cinq sous par quart d’heure ; à pied, on payait seulement trois sous pour le même temps.

Sous les règnes des successeurs de Louis XIV, on perfectionna le dispositif et il s’organisa. Le nombre des lanternes augmenta et de plus en plus de quartiers de la ville furent éclairés. En 1697 l’éclairage public passa à la charge de l’état, moyennant redevance, et en 1729 on comptait 5 772 lanternes. Celles-ci sont constituées de petits carreaux assemblés au plomb protégeant une chandelle dont il faut couper toutes les heures la mèche. On les suspend aux façades à l’aide d’une corde et d’une poulie.

En 1744 la lanterne à réverbère – lampe à huile et réflecteur argenté – est inventée mais il faut attendre 1766 pour que les lanternes de Chateaublanc soient retenues. Elles sont suspendues au dessus des rues ou accrochées à des potences tous les 50 mètres. C’est d’ailleurs ce qui reste dans le vocabulaire de la Révolution : on exécutait « à la lanterne », en pendant au support. Ces lanternes furent remplacées en 1763 par 2 400 réverbères à huile.

Lampadaires et réverbères

Réverbère vient du latin verbero qui signifie frapper. Les premiers lampadaires, avaient plusieurs miroirs « frappés » par la lumière qui la réfractaient autour. Le lampadaire, lui, fait référence aux lampades, des nymphes grecques, qui portaient des torches diffusant un halo de lumière. Hugo dans Les Misérables écrit qu’à la tombée de la nuit on allumait les réverbères placés de distance en distance qui montaient et descendaient au moyen d’une corde, traversant la rue de part en part et s’ajustant dans la rainure d’une potence. Les réverbères à huile (de tripes !) avaient remplacé chandelles et lanternes et se balançaient à 20 pieds en l’air au milieu de la rue, tous les vingt pas environ. L’allumeur de réverbère, ou falotier, faisait équipe avec le lanternier et les passants les évitaient à la fin de leur tournée : ils étaient imprégnés d’huile de la tête aux pieds ! Ce dispositif, à l’odeur très mauvaise, coûtait beaucoup moins cher que les chandelles. En 1788, l’huile de tripes est remplacée par de l’huile de colza. La flamme est plus blanche … et moins nauséabonde. Selon les fabricants, le modèle présente des variations avec des candélabres scellés dans le sol et des consoles fixées sur les façades des immeubles.

Le remplacement de l’éclairage à huile par le gaz se fera progressivement de 1831 à 1870. En 1855, Haussmann organise la fusion des six sociétés gazières en une concession unique : la Compagnie parisienne d’éclairage et de chauffage par le gaz. La Ville de Paris, désireuse que tout s’allume à peu près à la même heure, il y aura jusqu’à 1 500 allumeurs de lanternes, organisés par brigades. Ces allumeurs nettoient dans la journée les verres des lanternes qui s’encrassent vite à cause du gaz de houille. Les dernières lanternes à gaz de Paris ne seront déposées qu’en 1962 et la place de la Concorde par exemple sera éclairée au gaz jusqu’en 1946.

Le 18e n’est pas en reste

En 1844, on essaya d’utiliser la lumière électrique pour l’éclairage public. On fit quelques expériences place de la Concorde. Un unique foyer muni d’un réflecteur et situé à trois mètres au-dessus du sol était alimenté par une forte batterie de piles. Échec pour ce premier essai : il aveuglait mais n’éclairait pas. Malgré tout, les installations de distribution à courant continu commencèrent à concurrencer les sociétés gazières, vues comme dangereuses – asphyxies, intoxications et incendies – et d’autant que les réverbères à gaz laissaient les alentours dans le noir. Le 31 mai 1878, à neuf heures du soir, trente-deux globes de verre émaillé, placés entre les réverbères le long de l’avenue de l’Opéra, s’allumèrent instantanément et projetèrent autour d’eux une lumière blanche, douce et brillante. Dès lors, l’éclairage électrique se généralise et les innovations se développent : première mondiale pour les lampes à induction, place du Tertre en 1992, première utilisation de la fibre optique en éclairage public, rue Maurice Utrillo en 1994, le 18e n’est pas en reste !

Éclairages remarquables : ouvrez les yeux !

Les abris des stations de métro dessinés par Guimard en 1902 font partie du charme de Paris. Les boutons de fleurs éclairés en orange accueillent le passant et sont repris en miniature pour l’éclairage du plan de métro au dos de l’entrée dans plusieurs stations du 18e, Pigalle, Blanche, Abbesses...

Le candélabre à lyre était l’éclairage type des jardins sous Napoléon III. On le reconnaît à sa forme élégante en goutte d’eau. On le rencontre en nombre autour du square Louise Michel ou parfois isolé au détour d’une rue.

Le modèle de candélabre Montmartre date de 1830 : un fût tout simple avec un renflement à la base et une lanterne ronde ou carrée. Il donne son cachet à quantité de petites rues et parfois son chapeau sort de feuilles ou d’un château crénelé. Ce sont deux éclairages originaux, propres à notre arrondissement.

Copie d’anciens, les candélabres de la Villa des tulipes, près du boulevard des Maréchaux, reprennent un modèle qu’on ne trouvait plus que devant les casernes de pompiers : avec des vitres rouges, la lanterne est déportée pour éviter de buter contre le mur et, initialement, pour laisser passer les charrettes dans les rues étroites. Les candélabres sont implantés très régulièrement tous les 3,50 mètres, ce qui correspond à la largeur d’une parcelle dans ce terrain loti fin XIXe. Il semble que cette dimension était donnée par la portée des poutres utilisées. Ainsi l’éclairage souligne discrètement les limites des parcelles, met en valeur le rythme de l’architecture et garde une image de l’histoire de la construction du quartier. On trouve même un candélabre horloge, place Saint-Pierre juste devant les grilles, modèle très rare, qui date des années 1890.

La Ville de Paris a équipé la station de métro Barbès, lors de sa rénovation, de copies de lanternes créées en 1903 en bronze et cuivre.

Le Chemin de Lumière rue du Chevalier de la Barre, œuvre unique, a été créé en 1995 par Henri Alekan, directeur de l’image très connu dans le cinéma, et Patrick Rimoux. « sculpteur de la lumière ». Dans les larges bordures qui longent l’escalier en haut de la rue se dessinent dans le sol pavé deux cartes lumineuses du ciel de Paris tel qu’on peut le voir le 1er janvier et le 1er juillet. Elles intriguent et portent au rêve même si le passant n’a pas en tête la référence pensée par les créateurs.

Certains bâtiments construits au XIXe siècle ont gardé leur éclairage, par exemple au pied de l’escalier d’entrée de la Villa des Platanes, près du boulevard de Clichy ou dans l’escalier de la Villa des Arts, rue Hégésippe Moreau, où on est accueilli par des statues féminines photophores du plus bel effet. Et si les digicodes empêchent d’accéder à ces immeubles, reste à admirer les candélabres en fonte de la mairie, isolés ou en bouquet, ambiance rétro garantie. •

Photo : Thierry Nectoux

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n° 324

décembre 2024