Et si la vieillesse n’était pas un naufrage ? Et si ce moment plus ou moins long de la fin de la vie pouvait allier le plaisir de s’exprimer à celui de transmettre aux générations plus jeunes ? C’est sur la base de ces intuitions que deux jeunes trentenaires ont réalisé un tour du monde d’un an entre 2017 et 2018. « Julia Mourri et moi-même, explique Clément Boxebeld, voulions aller voir la place des vieux dans les autres sociétés. »
D’où vient cette idée curieuse, surtout quand on peut croquer la vie à pleines dents ? « Nous avons tous les deux eu des liens très positifs et durables avec des vieux. Julia avec sa grand-mère confidente ; moi avec mes grands-parents d’origine néerlandaise. Avec ma grand-mère malade Alzheimer, je me souviens d’une relation très douce, voire poétique. »
Alors, après trois ou quatre années de pratiques professionnelles, tous deux décident de faire un break pour partir sur les routes du monde. Ils réunissent un budget conséquent de 80 000 € auprès d’acteurs du vieillissement (des mutuelles notamment). « Nos études en école de commerce nous ont bien servi », glisse Clément. A raison d’un pays par mois, ils ont rendu visite à une quarantaine d’initiatives qui valorisent les personnes âgées et les enfermer dans un statut d’assistés passifs.
Coup de coeur africain
Au Sénégal, ils ont ainsi découvert comment des grand-mères agissent pour éviter les mariages et les grossesses précoces. « Elles ont compris progressivement pourquoi l’excision n’était la bonne pratique pour les femmes alors que c’était souvent elles qui pratiquaient auparavant », explique Clément. Au Brésil, ils ont été frappés par des projets de mise en relations entre personnes âgées et jeunes étudiants. Mais leur coup de cœur, c’est sans doute en Afrique du Sud avec cette aventure folle de grand-mères joueuses de foot qui organisent des tournois dans tout le pays.
Cette expédition donne lieu à un livre (Oldyssey, un tour du monde de la vieillesse, éd. du Seuil) et inaugure une nouvelle aventure avec le média Oldyssey qui, sous différents formats (vidéos, articles), propose un nouveau regard sur la vieillesse. Dès 2022, ces voyageurs s’installent dans le nouveau quartier de Chapelle International, dans des locaux gérés par Plateau urbain (voir page 2).
En marge de la coupe du monde féminine de 2019 en France, un événement inattendu va avoir lieu : un tournoi de foot de vieilles femmes. « Ce sont les équipes de grands-mères sud-africaines qui voulaient venir en France, se souvient Clément. Les Sénioriales, le groupe de résidences services seniors (RSS), a accepté de financer le voyage et fait des appels à candidature parmi les résidentes pour monter une équipe française. » L’aventure n’en est pas restée là, puisque se sont constituées de façon plus durable trois équipes de footeuses âgées en Bretagne, à Lyon et en Dordogne. Avec un large sourire, Clément ajoute que leurs mères respectives, celle de Julia et la sienne, s’entraînent désormais chaque semaine.
Partage de savoirs et conversation
Leur aventure a eu également des suites avec le projet « L’Outil en main » où des artisans retraités transmettent partout en France leur savoir-faire. Et puis, en 2020 est lancé le programme Share Ami. « Le point de départ, c’est le confinement, raconte Clément. Julia et moi nous sommes demandé ce que nous pouvions faire face au risque d’isolement. Nous nous sommes inspirés d’expériences étrangères pour concevoir un duo entre un vieux et un jeune qui, par voie numérique, converse au moins une fois par semaine pour que le jeune apprenne le français. »
Quelques années plus tard, le succès est au rendez-vous pour Share Ami avec plus de 1 500 duos permanents, 40 facilitateurs bénévoles (pour aider à la mise en relation) et trois salariés en CDI (sans compter stagiaire et service civique). A Paris, des duos en présentiel ont été développés pour des jeunes réfugiés : les rencontres ont lieu dans des maisons de retraite, des RSS ou des tiers-lieux. Le 18e est aux premières loges des suites d’un voyage décidément très fructueux qui voulait changer notre regard sur la vieillesse. •
Photo : Frédéric Chambert/agence Paoramique