Après avoir grandi à Lamarck-Caulaincourt, Jean-Charles Skarbowsky s’est fait un nom en Thaïlande en mettant au tapis les meilleurs nak muays de sa catégorie. Mais aussi dans le 18e, où il est revenu pour enseigner son art. Portrait d’un champion qui a soif de rencontres.
Le hasard fait parfois bien les choses. En 2019, alors qu’il cherche un lieu pour créer un camp d’entraînement
de muay-thaï à Paris, Jean-Charles Skarbowsky tombe sur un local au 135 rue Lamarck, à quelques pas d’où il a grandi. « Mon père y a vécu presque toute sa vie, mes parents se sont rencontrés là et se sont mariés dans le 18e, explique-t-il d’emblée. Je me suis aussi marié dans le 18e et j’y mourrai. » Avant ça, Jean-Charles Skarbowsky a encore bien des choses à transmettre, lui qui a désormais deux salles à son nom dans la capitale. Une rue Lamarck, donc, puis une seconde dans le 20e, où il nous a donné rendez-vous quelques heures avant l’entraînement. Casquette d’un groupe de rap montreuillois sur la tête, blouson en cuir couleur camel sur le dos et sneakers blanches aux pieds : l’homme sait vivre avec son temps. Actif sur les réseaux sociaux, il n’est pas rare non plus de le voir sur la plateforme de vidéos Youtube. Tantôt pour raconter son parcours, tantôt pour mettre une raclée au créateur de contenu qui l’a invité. Car il a beau avoir pris quelques kilos depuis la fin de sa carrière, l’homme de 49 ans est loin d’être rouillé et ses coups sont toujours aussi millimétrés.
Génération Bruce Lee
Pourtant, c’est sur le tard que Jean-Charles a appris cet art martial. Né d’une mère qui a quitté la Roumanie à 20 ans et d’un père décédé trop tôt, le gosse de Lamarck, fils unique, est biberonné aux films d’arts martiaux. « J’aimais bien imiter ce que je voyais dedans, se souvient-il. Comme Bruce Lee, je me disais qu’en devenant fort tu devenais beau. Pour moi être le plus fort était quelque chose d’important. » Après avoir essayé l’aïkido et le kung-fu, qui lui apprennent la science du placement et du déplacement, Jean-Charles le bagarreur se rend dans une salle du 12e pour tester le muay-thaï, un art martial complet qui met l’accent sur le mental et qui donne le droit d’utiliser les poings, les coudes, les tibias et les genoux. Mais une fois encore, au bout de trois mois, il abandonne.
Il y retournera l’année suivante et cette fois-ci ce sera la bonne, malgré le scepticisme de sa mère. « Pour continuer ce type de sport, il faut que tu aies un lien avec quelqu’un à l’intérieur de la salle, précise-t-il. Quelqu’un que tu as envie de revoir, qui t’apporte quelque chose et avec qui tu peux entretenir un lien amical ou paternel. » Ce quelqu’un, ce sera André Zeitoun, un maître en la matière qui va l’aider à devenir un vrai nak muay*.
Un aller simple pour Bangkok
Fruit du hasard, déjà, cette rencontre avec son futur mentor va changer son adolescence et une partie de sa vie. Après quelques mois sous sa houlette, le jeune Skarbowsky participe à son premier combat. « J’ai dit oui parce que sinon j’étais un lâche. Je voulais qu’on sache que je n’avais pas peur d’en faire un », dit-il. La peur ne l’empêchera pas de gagner et d’enchaîner treize victoires d’affilée. Puis à 18 ans, comme Zeitoun avant lui, Jean-Charles s’envole pour la Thaïlande afin d’apprendre aux côtés des meilleurs. Problème, l’adaptation ne se passe pas tout à fait comme prévu. « Ce que je ne savais pas, c’est que pour s’entraîner dans un camp il faut y être invité. En plus de ça, je m’étais blessé à la plante du pied comme beaucoup, explique-t-il. Mais une fois remis, j’ai décidé de faire un combat dans un bar, tout seul, sans coach. J’ai gagné par KO au premier round, puis j’ai enchaîné les victoires. Du jour au lendemain, je suis devenu quelqu’un. » Ce quelqu’un, il le deviendra aussi dans l’Hexagone quand il y retourne au milieu des années 90, devenant champion de France puis champion d’Europe des - 63,5 kg, à seulement 20 ans.
Alors que les jeunes de son âge étudient et sortent en boîte de nuit, lui s’entraîne sans relâche et enchaîne les combats. Le travail paie, puisqu’il est sacré champion du monde dans la catégorie des - 65 kg à l’an 2000. Puis il retourne en Thaïlande pour continuer son ascension. Celle-ci sera fulgurante, puisqu’il devient en 2003 le premier étranger à être classé numéro un au Radja, un des stades mythiques de Bangkok, avant de remettre ça trois ans plus tard, devenant une légende au Pays du sourire.
La méthode Skarbowsky
À la fin de sa carrière, en 2006, Jean-Charles comptabilise 97 combats pour 75 victoires, dont 50 par KO. Ses victimes s’en souviennent mais ne lui en tiennent pas rigueur. Comme la légende du muay-thaï, Robert Kaennorasing, mis KO par Skarbowsky en 2000 lors d’un gala à Las Vegas, avant de devenir son ami. « J’avais compris le truc : je frappais les gens pour me rapprocher d’eux, pour la reconnaissance, reconnaît-il aujourd’hui. Car quelqu’un qui est fort, tu es attiré par lui. » Si c’est grâce à sa force physique et mentale qu’il a écrit sa légende en Thaïlande, ce titi parisien le doit aussi à son tempérament. Ouvert et avenant, il a adopté les us et coutumes locales. Au point de se faire tatouer un énorme sak yant** dans le dos, résultat d’une amitié nouée avec un maître tatoueur thaïlandais réputé.
De retour en France après sa retraite sportive, il a eu à cœur de transmettre son art. « Quand j’ai pris mon premier cours avec lui, je l’ai trouvé drôle, il était capable de faire des blagues en pleine séance. Je me suis dit qu’il avait forcément quelque chose à donner », confie un de ses élèves, Christian, la cinquantaine. Ce dernier n’est pas le seul à apprécier la méthode Skarbowsky. Enseignée en Thaïlande, aux Etats-Unis et au Canada, elle fait aussi le bonheur des amateurs franciliens de muay-thaï. Si vous voulez l’essayer à votre tour, vous aurez peut-être la chance de croiser l’ancienne légende Robert Kaennorasing, reconverti entraîneur, la star du MMA Baki et même des rappeurs ou des reggaeman. Mais ça, c’est une autre histoire… encore faite de rencontres.
Photo : Thierry Nectoux