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mai 2024 / Le dossier du mois

Chapelle International, rester ou partir ?

par Sylvie Chatelin

À Chapelle International, Plateau urbain accueille une quarantaine de structures sur 1 300 m2 et 21 lots de SOHO*, mis à disposition par la Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP). Mais leurs occupants vont devoir choisir entre accepter des loyers augmentés ou partir lorsque la RIVP en reprendra la gestion en juillet. En attendant, on se mobilise.

Le 17 avril dernier, la réunion du comité de suivi de Chapelle International, organisée pour la première fois par la Mairie, n’a pas rassuré tout le monde. Et ce, malgré les bons chiffres affichés par Plateau urbain, coopérative immobilière qui propose des locaux vides à des porteurs de projet qui n’ont pas accès à la location classique. Toutefois, Alexandra Petrov, responsable du lot G, Chapelle nouvelle, rappelle que le contrat signé par les occupants actuels avec la coopérative spécifie bien que leur occupation est transitoire. Prévue de juillet 2022 à janvier 2024, puis renouvelée pour six mois elle expire donc le 3 juillet prochain. Une date butoir qui inquiète les locataires de ces SOHO.

10 euros de plus par m2 et par mois

Car, à Chapelle International plus qu’ailleurs, « le quartier prend du temps à s’activer, il faut arriver à un compromis » et continuer de soutenir les occupants actuels pour leur permettre de pérenniser leur modèle économique dans un quartier classé Politique de la Ville dont l’attractivité n’est pas le point fort. Pourtant, Plateau urbain affiche un taux d’occupation de 90 % des SOHO qu’il gère, à rapprocher des 54 % (incluant ces derniers) annoncé par Stéphanie Dubray, chargée de commercialisation à la RIVP, lors de cette réunion.

Malgré l’assurance de Mario Gonzalez, adjoint au maire du 18e chargé de l’urbanisme et du logement, présent également, que « la Mairie est particulièrement attachée à la place de Plateau urbain », les occupants sont inquiets. Et ils ont de bonnes raisons de l’être. Si aucun accord de prolongation de leur contrat avec Plateau urbain n’est conclu, ils verront leurs loyers augmenter de façon conséquente (de 20 €/m2/mois charges comprises à 30 €/m2/mois pendant les trois premières années, 33 € ensuite, charges non comprises) et l’obligation de signer un bail commercial 3-6-9. Alors ils se sont mobilisés et ont lancé une pétition adressée à Eric Lejoindre, maire du 18e. Elle réunit à ce jour 177 signatures en ligne sur les 200 attendues et plus d’une centaine en version papier.

Tous ceux que nous avons rencontrés le disent, dans de telles conditions, ils devront alors partir. Comme Clément du média Oldyssey (voir page 3), installé depuis 2022, qui « apprécie la présence de plusieurs entreprises de l’économie sociale et solidaire et d’être avec Plateau urbain qui a la capacité d’animer le quartier et créer du lien social » et qui ne restera que si la RIVP lui propose un local plus petit et donc moins cher pour son équipe de sept personnes. Ou comme les deux Charlotte, Font et Romani, artistes tisserandes (voir notre numéro d’octobre 2023) dont la renommé dépasse largement le quartier. Malgré leur désir « d’ancrer [leur] production au sein d’un atelier parisien », leur implication depuis leur installation en 2022 et leur volonté de partager leur savoir-faire, elles envisagent de déménager leur atelier où trône leur magnifique (et imposant) métier de haute lisse.

Un plateau bientôt vide

Bertrand Robuchon, architecte co-fondateur de l’agence d’architecture Brpr, partage un SOHO depuis deux ans avec ses collègues urbaniste et paysagiste. Ils avaient entendu parler de Plateau urbain, des conditions avantageuses et trouvaient « intéressant de venir dans ce quartier neuf, prometteur, certains architectes de leur connaissance ayant travaillé sur le projet ». Mais il trouve « dur de discuter avec la RIVP » et n’est pas certain non plus de rester si son contrat avec Plateau urbain devait s’arrêter.

Pas mieux avec la RIVP

Les commerçants installés dans les SOHO gérés directement par la RIVP ne sont pas mieux lotis. Tous racontent un quartier mort avec peu de passage et des ventes qui ne correspondent pas à celles attendues, faute de clientèle. L’artisan maroquinier Chic et singulier survit grâce aux salons auxquels il participe et une clientèle d’habitués mais déçu, envisage de quitter le quartier. « Au début on nous a dit qu’il y aurait des artisans mais au final ce sont des bureaux souvent vides [qui occupent les SOHO], ce n’est pas attirant pour le chaland », explique-t-il.

Même constat ou presque chez Adam, qui a ouvert son atelier de réparation, La Chapelle du vélo, en 2021. Son loyer de près de 3 000 € pour son local de 64 m2 et son logement de 30 m2 paraîtrait justifié pour un lieu où il y a du passage. « Mais il n’y a aucun passage à Chapelle International et donc pas de chiffre d’affaires », se désole-t-il, alors qu’il est dans un domaine d’activité très porteur. Il parle également d’augmentations de charges disproportionnées et non justifiées, précisant qu’il ne peut pas se rémunérer depuis trois ans. Rania, quant à elle, « première commerçante du quartier », a ouvert les portes d’Ardi (voir page 5) en 2020. Très motivée à faire vivre le quartier, elle déplore elle aussi des charges trop élevées et le manque d’accompagnement de la RIVP, se disant « prise à la gorge avec plus de 100 000 € dûs au bailleur » et un « loyer de 3 000 € pour un appartement qu’on m’a imposé ».

Mais tout n’est peut-être pas joué car les discussions sont toujours en cours entre la RIVP (société d’économie mixte dont l’actionnaire principal est la Ville de Paris), la SAS SOHO (structure créée conjointement avec la Caisse des dépôts et consignation pour la gestion des SOHO), la CDC elle-même et la Mairie.

Quelle vision du quartier l’emportera ? Celle d’un quartier à soutenir pour le faire décoller, le rendre attractif et animé comme le demandent ceux qui y vivent et y travaillent ? Ou au contraire privilégier la rentabilité immédiate au risque de le vider de ses activités commerciales, artisanales et artistiques et à terme, de ses habitants ?

Photo : Jean-Claude N’Diaye

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n° 230

octobre 2024