Journal d’informations locales

Le 18e du mois

février 2020 / Montmartre

Restos du cœur

par Christine Legrand

Le pied de la butte Montmartre abrite le plus grand centre parisien de distribution alimentaire des Restos du cœur. Plus d’un millier de familles y viennent chaque semaine chercher de quoi se nourrir.

C’est au fond d’une cour, derrière un vaste portail métallique jouxtant le parking de la rue Coustou, à quelques mètres de la rue Lepic, que se niche le plus grand centre parisien des Restos du cœur – et l’un des plus grands de France. Après avoir été hébergée dans un hangar SNCF, puis un local prêté par la mairie à la porte de La Chapelle, l’association a trouvé refuge dans ces anciens bâtiments d’EDF, rachetés par des bailleurs sociaux qui les ont mis provisoirement à sa disposition. Mais elle s’attend à devoir déménager d’un moment à l’autre.

La plupart des habitants du quartier ne soupçonnent pas son existence. Le centre reste invisible depuis la rue. Aucun panneau n’indique sa présence. Seul un petit attroupement de femmes chargées de caddies, de poussettes et de gros sacs, parfois dès 7 heures du matin, attire la curiosité des riverains qui viennent récupérer leur voiture au parking.

Derrière la porte, un bénévole contrôle les cartes jaunes des bénéficiaires, qui doivent refaire la queue dans la cour avant d’accéder par une rampe de livraison à des bâtiments en béton, dont les murs s’égaient de nombreux portraits de Coluche. Après s’être fait enregistrer et donner un numéro, ils attendent à nouveau sous un hangar adjacent qu’un bénévole les accompagne pour remplir leur caddie. Chaque famille a droit à un quota précis de vivres dans chaque rayon : légumes frais, pâtes, couscous ou riz, viandes ou poissons surgelés, produits laitiers, desserts… De quoi se concocter environ six repas par semaine.

Essentiels pour beaucoup

C’est grâce aux Restos du cœur, où elle vient chaque semaine depuis 2013, que cette Arménienne de 37 ans, veuve et mère de deux enfants (16 et 18 ans), arrive à leur préparer un repas, le soir, dans la cuisine commune de l’hôtel du Samu social où elle est abritée. Depuis sept ans qu’elle est là, elle n’a toujours pas de titre de séjour, ni d’autorisation de travailler. Elle a entamé des démarches avec l’aide de la Cimade (association d’aide aux étrangers), « mais il faut une grande patience », dit-elle. Elle rêve de devenir un jour assistante sociale pour à son tour « aider les gens ». En attendant, elle ne touche que 200 € par mois d’aide financière de la Mairie. « Pour élever deux ados, c’est vraiment très juste. » Le midi, ils déjeunent à la cantine de leur lycée. Des fournitures scolaires ont été distribuées par les Restos du cœur à la rentrée. Mais elle doit payer des livres, la laverie...

Une jeune femme congolaise, mère d’un petit garçon de 2 ans, vient ici chaque jeudi. Elle est prise en charge par la Cafda (Coordination de l’accueil des familles de demandeurs d’asile) et vit dans une minuscule chambre d’hôtel, dotée d’un petit frigo et d’un four micro-onde. Elle ne peut pas vraiment cuisiner. Elle touche une allocation de demandeur d’asile (310 € par mois), mais l’utilise pour payer son avocat et la crèche. « Le médecin de la PMI a estimé qu’un enfant ne pouvait rester enfermé dans un si petit espace et lui a obtenu une place en crèche », explique-t-elle. Cela lui permet de chercher des petits boulots au noir : en ce moment, elle aide une personne âgée pour quelques euros.

Ils sont ainsi plus d’un millier à défiler chaque semaine rue Coustou et emporter de quoi se nourrir. Ce sont essentiellement des familles migrantes. « On accueille de plus en plus de demandeurs d’asile, dont beaucoup de femmes avec enfants », explique François Coadour, responsable du centre. « Presque toutes sont hébergées dans des hôtels du 115. »

Des Erythréens, Congolais, Somaliens, Roumains, Afghans, ou encore des Egyptiens coptes chrétiens pris en charge par l’Ordre de Malte. « Leur nationalité varie en fonction des événements politiques du monde », résume Christiane, bénévole. Pour pouvoir s’inscrire, il faut en effet à la fois être domicilié dans le secteur (les 17e et 18e arrondissements) et disposer de revenus ne dépassant pas un RSA. Or qui peut encore habiter Paris avec de tels revenus ? « Les familles les plus pauvres sont de plus en plus souvent relogées en banlieue, constate Sophie, bénévole aux Restos du cœur depuis une quinzaine d’années. Et les personnes âgées les plus démunies qui vivent encore dans le quartier sont souvent prises en charge par les Petits Frères des pauvres.  » Il reste les familles logées par le Samu social et adressées aux Restos du cœur, de plus en plus nombreuses.

Relais du cœur et Restos bébés

« En dépit de plafonds de revenus revus à la baisse, le nombre de bénéficiaires ne cesse d’augmenter, on n’arrête pas d’en inscrire de nouveaux, car on ne refuse personne, poursuit Sophie. Depuis l’hiver dernier, on a été obligé d’ouvrir une journée supplémentaire (le samedi) et de ne faire venir les familles de quatre personnes qu’une fois pas semaine, au lieu de deux auparavant. Mais on manque de bénévoles. » D’autant plus que le centre de la rue Coustou ne fournit pas qu’une aide alimentaire. Un Relais du cœur accueille quatre matinées par semaine les personnes à la rue. Elles peuvent s’y mettre au chaud autour d’un café, recharger leur téléphone ou y domicilier leur courrier. Les Restos bébés accueillent les mamans avec leur nourrisson le mercredi après-midi. Une aide juridique et administrative, des cours de français sont également proposés.

Si les activités de ce centre restent invisibles de l’extérieur, ceux qui les fréquentent aussi. « Ce qui m’a étonnée au début, raconte Sophie, c’est que je ne croisais jamais de bénéficiaires dans le quartier, alors que beaucoup logent dans des hôtels sociaux à proximité – peu visibles eux aussi. Comme on n’a pas d’argent, on n’ose pas se promener dans la rue, m’a dit un jour l’un d’entre eux. » Elle raconte l’histoire de cet Ukrainien, hébergé dans un hôtel social près de la place Pigalle, monté le soir du réveillon avec d’autres personnes de l’hôtel jusqu’au Sacré-Cœur. Depuis trois ans qu’il habitait ici, c’était la première fois qu’il y allait. •

Restos du cœur, 4bis rue Coustou, 01 53 24 98 00

Des cours de français sont également proposés dans ce centre des Restos du cœur.

800
familles inscrites
pour l’hiver (soit 2454 personnes)

416
nourrissons de moins de
18 mois pris en charge par les Restos bébé

60
bénévoles

Pour faire un don et/ou devenir bénévole :
www.restosducoeur.org

Photo : Thierry Nectoux

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n° 331

novembre 2024