A la porte de Clignancourt, une gardienne d’immeubles d’origine brésilienne, Silvia Dieguez, dispense jour après jour des trésors de bonne humeur et de gentillesse.
C’est une Brésilienne à Paris. Une carioca mais pas de celles qui, paillettes et clichés à la pelle, font le bonheur des magazines. Silvia Dieguez vient de Rio et incarne un Brésil plus populaire, plus « mixé » comme elle dit. Et puis, d’une certaine manière, le Brésil, elle ne le connaît plus vraiment. Voilà une bonne quarantaine d’années qu’elle l’a quitté. « Je n’ai jamais rêvé de partir de chez moi », précise-t-elle. Simplement, à 21 ans, elle a rejoint en France son mari espagnol.
Avec une famille maternelle d’origine portugaise et un père italien... Silvia Dieguez sait ce que le brassage humain veut dire. Elle ne s’est jamais sentie dépaysée dans le 18e, qu’elle habite depuis son arrivée. « Le quartier que j’habitais à Rio abritait toutes les nationalités. C’était un cocktail magnifique. Mon quartier parisien est un peu à cette image. »
Son quartier aujourd’hui, c’est la porte de Clignancourt. Mais en arrivant en France en 1975, elle s’est d’abord retrouvée au 71 rue Marcadet. « A l’époque, je ne travaillais pas. Mon mari était très macho », glisse-t-elle.
Les choses évoluent une vingtaine d’années plus tard quand, son mari étant malade, il lui faut travailler. Silvia commence par de petits boulots, des remplacements dans des loges. Jusqu’à ce qu’on lui propose – en 2004 – de prendre la responsabilité d’une grande copropriété rue Belliard, tout près du métro Porte de Clignancourt.
« Sa » copropriété
L’ensemble s’étend sur cinq immeubles, comptant en tout 118 logements et un parking sur trois niveaux. « C’était la première fois que le gardiennage de la copropriété était confié à une personne seule », se souvient Marie-Hélène Notis, membre du conseil syndical, habitante de l’immeuble depuis 1985. « Avant l’arrivée de Mme Dieguez, nous avions eu deux couples. Quand il a fallut recruter des remplaçants certains voulaient que ce soit un homme et qu’il habite sur place », poursuit cette habitante. Finalement ce sera une femme et elle n’habite pas la minuscule loge qu’elle occupe la journée. Silvia – tout le monde l’appelle par son prénom dans la copropriété – réside porte de Montmartre.
Depuis qu’elle est devenue gardienne, cette mère de famille a imprimé sa marque, son style. Très vivante, conservant un léger accent, elle a une vision précise de sa fonction. « Quand on est gardienne, explique-t-elle, on est assistante sociale, infirmière. On dépanne les gens, on rend service. » Sur le trottoir, on peut la voir discuter avec les conducteurs de bus, les agents de nettoyage ou les employés du supermarché voisin… Il faut dire qu’elle tient ses promesses : sa porte est toujours ouverte à ceux qui ont envie de parler ou de briser leur chape de solitude. Et bien sûr, grâce à elle, plus besoin de faire la queue à la Poste pour retirer un colis.
Le souci des autres
Sauf exception, les habitants expriment une réelle gratitude à son égard. « Silvia est particulièrement serviable », estime Nicole Rifflet, habitante depuis 1977. « Elle rend service même en dehors de ses heures de travail. » Sa discrétion par rapport à tous les secrets qu’on lui confie est également louée. Sans oublier son humeur égale. « Malgré ses soucis ».
Silvia ne se plaint jamais, même si sa vie n’a pas toujours été rose. Elle a perdu son mari assez jeune et l’un de ses deux fils est gravement handicapé. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle ne retourne pas au Brésil afin de ne pas le laisser seul trop longtemps. Avec les médecins, cela n’a pas toujours été simple... notamment pour que la maladie de son fils soit diagnostiquée. Non sans humour, elle dit : « J’ai dû divorcer d’un médecin qui croyait que j’étais dépressive. »
Au quotidien, elle veille à tout instant sur les habitants. Dès qu’elle ne voit plus quelqu’un pendant un long laps de temps, elle s’inquiète et prend des nouvelles. « Ce qui m’obsède, c’est de laisser de côté une personne et de ne pas être là au moment de son décès », explique-t-elle. Longuement, elle évoque cette habitante pour qui elle n’a pas trouvé de solution : une femme de 75 ans qui souffre du syndrome de Diogène* et refuse d’être aidée. « Je ne peux rien faire », regrette-t-elle.
Et une touche festive
Marie-Hélène Notis confirme la priorité aux autres qui anime Silvia. « Je me souviens d’un vieux monsieur dans la copropriété qui était bien seul. Elle a été la seule personne à aller lui rendre visite à l’hôpital jusqu’à sa mort. Mme Dieguez apporte un lien social dans la copropriété. D’ailleurs, cette notion est inscrite dans son contrat de travail. »
Mais la principale réussite de Sylvia, c’est d’avoir lancé la Fête des voisins en 2006. Ceci grâce à la complicité d’un habitant de la copropriété, Yves Pasco, un ancien fleuriste de 86 ans. « Un jour, raconte-t-il, elle me dit : on va faire la Fête des voisins. Le président du conseil syndical d’alors n’a pas voulu venir. Je crois que c’est parce que l’idée ne venait pas d’eux... » Yves Pasco emprunte chaises et tréteaux à la paroisse Sainte-Hélène voisine. « Au début, les gens étaient réticents, se souvient Silvia, mais ensuite cela a marché. » Depuis, chaque année, qu’il fasse beau ou qu’il pleuve, une bonne cinquantaine de personnes se retrouvent dans une ambiance festive au 53/55. Et la gardienne n’est pas la dernière à régaler avec ses plats.
Silvia ne minaude pas. Elle affiche ses 65 ans. « Je pense travailler encore deux ans. De toute façon, ma retraite sera assez maigre. » Que fera-t-elle justement après ? S’engager dans une association ? La Franco-brésilienne se déclare déçue par certaines d’entre elles. Mais comme il y a peu de chances qu’elle reste les deux pieds dans le même sabot, elle pense donner un coup de main aux Nez rouges (qui proposent des animations aux enfants hospitalisés) ou visiter des personnes âgées à l’hôpital. De toute façon, Silvia restera en contact avec les habitants de la copropriété qu’elle connaît bien. On n’efface pas d’un trait un si fructueux compagnonnage... •
* Le syndrome de Diogène est un trouble du comportement conduisant à des conditions de vie négligées, voire insalubres. Il comprend notamment une forme extrême d’accumulation compulsive, ou syllogomanie.
Photo : Thierry Nectoux