Dans le virage de la rue Caulaincourt niche un pâtissier chocolatier qui vole de succès en succès. Meilleur ouvrier de France, courtisé à l’international, il porte sa spécialité toujours plus près de l’excellence.
« Un jour, un jeune homme est venu me commander son gâteau de mariage et m’a raconté que mes desserts avaient été de tous ses anniversaires et de sa communion », résume Arnaud Larher. Dans son petit bureau à l’entrée du laboratoire de la rue Achille Martinet, l’homme est à l’étroit entre les caissettes d’œufs de Pâques et les rayonnages de livres culinaires. Il vient tout juste d’achever un entretien avec un journaliste gastronomique reparti avec deux cartons de pâtisseries à déguster que l’on retrouvera sans doute bientôt en photo dans les pages glacées d’un magazine.
Montmartrois depuis vingt-cinq ans, le pâtissier chocolatier est à la tête de trois boutiques parisiennes, deux établissements tokyoïtes et d’une pâtisserie à Marrakech. Il fait également le bonheur des clients venus déguster ses desserts à l’hôtel Grande-Bretagne d’Athènes. Malgré ce prestige international, ce chef n’en conserve pas moins son solide ancrage local.
En bon breton, Arnaud Larher a d’abord habité Montparnasse, avant de remonter vers le 9e arrondissement. Débarqué dans la capitale après son apprentissage brestois, il fait ses armes chez Lucien Peltier (dans le 7e), Dalloyau puis Fauchon, auprès de Pierre Hermé. Mais, dès le départ, l’objectif est de créer sa propre entreprise. En cours du soir, il se forme à la gestion pour préparer le brevet de maîtrise qui complètera son CAP. « J’y ai rencontré mon épouse, Caroline, qui était alors esthéticienne… et gourmande, ce qui m’a permis de la conquérir avec mes gâteaux », s’amuse-t-il.
L’aventure d’un couple
Une rencontre essentielle pour le succès qui s’ensuivra, « parce que les pâtisseries Arnaud Larher, c’est vraiment une aventure à deux », tient-il à souligner. Madame gère aujourd’hui les trois boutiques parisiennes, la comptabilité de l’entreprise et la présence en ligne de l’enseigne, pendant que monsieur est à la création, la production, la formation et au développement international. « Dans un tel projet, si le couple n’est pas ensemble dans l’entreprise, c’est compliqué. Mon épouse, c’est mon meilleur atout. »
Leur première boutique est installée en 1997 rue du Ruisseau, juste à côté de l’école maternelle. L’un est au labo dès 6 heures (« 4 heures, le samedi »), l’autre en boutique un peu plus tard. Très vite, dans cette portion de rue peu commerçante, la file d’attente sur le trottoir attire l’œil. Des riverains s’en souviennent encore. « Mais la boutique était toute petite », justifie-t-il modestement.
Arnaud Larher crée ici ses trois classiques : le Monte Cristo, le Toulouse-Lautrec et l’Ivoire. « En vingt-cinq ans, ces gâteaux n’ont cessé d’évoluer car, dès que quelque chose est abouti, il décide de tout chambouler, refaire un biscuit, ajouter ci ou ça », explique Mickaël Bolaingue, son chef de production et le plus ancien salarié de l’équipe. « Je pars en vacances une semaine et, quand je reviens, déjà quelque chose a changé. C’est pour ça que je travaille ici depuis vingt-cinq ans, il n’y a aucune lassitude. »
Babas au spritz et tongs fruitées
Chez Lahrer, les créations sucrées se succèdent à un rythme effréné, au fil des inspirations du chef. On voit passer dans ses vitrines des tongs fruitées pour l’été ou une citrouille chocolatée pour novembre, aux côtés des plus traditionnels kouign-amanns et autres madeleines. Le saint-honoré, les babas infusés au spritz ou les glaces ravissent aussi les gourmands. « Et il ne faut pas croire que nous n’avons que des clients aisés, j’ai des habitués peu fortunés dont la pâtisserie du week-end est le seul luxe. » Des touristes aussi mais surtout des riverains.
Le créateur a longuement raconté son parcours lors d’une récente rencontre en librairie où il présentait un autre type de production : un beau pavé de plus de 400 pages paru chez Hachette et qui rassemble recettes, croquis et photos. « J’aime la technique, j’aime quand c’est carré », soulignait-il. Le plaisir de l’assistance, parmi laquelle quelques aficionados détaillant leurs pâtisseries favorites, était palpable. Celui du chef partageant son savoir aussi.
Depuis l’an 2000, la première adresse rapidement devenue trop exigüe, la boutique a emménagé dans les locaux d’une ancienne galerie d’art, rue Caulaincourt. Juste après que le guide Champérard l’a sacré « meilleur pâtissier de l’année ». Une évolution qui n’était qu’une étape. Arnaud Larher visait haut et convoitait le titre de Meilleur ouvrier de France en pâtisserie confiserie. « J’en rêvais depuis mes 20 ans. Mais pour cela il me fallait acquérir de l’expérience, beaucoup d’expérience. » Il présente l’examen avec succès en 2007, après un an et demi de préparation à travailler saveurs, textures et matières. « Tout mon temps libre passait à faire des recherches et des essais, affiner la technique… Je n’avais pour ainsi dire plus de vie. » Même si entre-temps deux filles sont venues agrandir la famille.
Toujours disponible
Il s’est ensuivi l’ouverture d’une deuxième enseigne rue Damrémont. « Je me plais énormément à Montmartre, on est à Paris sans être à Paris. Si j’ai besoin de m’aérer, je pars à pied faire un tour. Après toutes ces années que je n’ai pas vu passer, c’est toujours un plaisir. » Et bien sûr l’installation d’un laboratoire dans le même arrondissement. Pour finalement, à partir de 2016, voguer vers l’international.
La patron ne reste pourtant jamais absent longtemps. « Beaucoup de MOF (Meilleur ouvrier de France), une fois leur titre en poche, laissent leurs équipes se débrouiller, ce n’est pas le cas d’Arnaud Larher, observe Clara Eroutine, sa jeune cheffe chocolatière. Il est là, avec nous, toujours disponible quand on a besoin d’aide. » Présent aussi pour râler comme il se doit, si le labo n’est pas rutilant en fin de service. « Il déteste aussi le gâchis », souligne la jeune femme.
A l’avenir, il songe à ouvrir une quatrième boutique parisienne. « Ce sera la dernière » assure-t-il. Désormais reconnu, celui dont les parents n’avaient pas encouragé la vocation car ils trouvaient le métier trop dur, prend toujours autant de plaisir à se mettre à la tâche. Qu’il s’agisse de préparer un simple flan – son dessert préféré – ou de se lancer dans la confection d’une Formule 1 en chocolat pour un évènement médiatique. Peut-être parce que, entre nouvelles recettes, participation à différents jury ou préparation de commandes spéciales, aucune de ses journées ne ressemble à une autre ?
Photo : Jeanne Frank / Divergence