Sauvé grâce à une mobilisation populaire de douze années, le Louxor ouvrait de nouveau au public le 18 avril 2013. Et la veille, ce sont les habitants qui ont été invités les premiers à inaugurer le cinéma restauré, en particulier la salle Youssef Chahine et ses somptueux décors égyptiens. Pour célébrer ce dixième anniversaire, nous partageons l’article consacré par l’association Les Amis du Louxor à l’artisan d’origine de ce merveilleux travail : Amédée Tiberti.
Le 6 octobre 1921, le Figaro annonce la soirée de gala offerte par Henry Silberberg pour l’inauguration de la « somptueuse salle Louxor ». La splendeur de la salle est alors unanimement saluée. Cependant, le décor d’origine a été plusieurs fois modifié, lors des rénovations de la salle, en 1930 puis en 1954 notamment. Lorsque la Ville de Paris a racheté le lieu, en juillet 2003, sous l’impulsion des habitants et des associations de quartier, elle confie la réhabilitation à l’architecte Philippe Pumain et son équipe.
Et le 17 avril 2013, le Louxor est re-inauguré. L’identité du lieu est respectée, son architecture égyptisante Art déco mise en valeur. C’est une réussite. Mais qui avait réalisé ce fabuleux décor ? Les Amis du Louxor ont sans relâche lancé des recherches dont nous vous faisons part, en écho aux dix ans de la réouverture du Louxor-Palais du cinéma.
Une trouvaille inespérée
Paul Marchio, collectionneur de cartes postales anciennes, a signalé aux Amis du Louxor qu’il avait trouvé dans une brocante à Antibes une carte-photo montrant trois hommes et un enfant devant la porte cochère de l’atelier d’Amédée Tiberti, le peintre qui réalisa en 1921 les décors au pochoir du porche et de la salle du Louxor.
La photo a été prise devant le 16 rue Lally Tollendal, dans le 19e arrondissement, rue de petits immeubles de quatre étages d’habitations ouvrières avec des cours occupées par des ateliers […]. Dans les années 1900, la carte-photo, une vraie photo, prend véritablement son essor. Des opérateurs ambulants proposent aux commerçants et artisans de les photographier devant leur local professionnel, avec autour d’eux leurs collaborateurs. La carte, qui sera conservée comme souvenir ou utilisée comme publicité, montre souvent la famille entière qui pose devant la boutique. Dans le cas présent, ce sont trois ouvriers, un enfant et un chien, qui posent sous la pancarte annonçant le nom et les spécialités de Tiberti. Les vêtements correspondent tout à fait au début des années 20, et si l’on considère que Tiberti, à l’époque, est âgé de 38 ans, il ne peut donc s’agir que du personnage de gauche, le plus âgé des trois. La pancarte, au-dessus de la porte cochère, est également intéressante. Tout à fait dans le style de l’époque, elle confirme les spécialités du peintre. L’annuaire du commerce Didot-Bottin de 1923 indique la grande variété des savoir-faire de la société : « Décoration, lettres, dorure, filages, tentures, maquettes, projets, devis, dessins, exécution, patinage genre ancien, décoration sous verre ». Le panneau du n° 16, avec quelques variantes, indique d’une manière moins détaillée : « Peinture – Décoration » qui montre bien que la société ne faisait pas que de la peinture en bâtiment, et « Filage, attributs [c’est-à-dire les plaques professionnelles, par exemple pour les notaires, médecins ou autres], dorures [très utilisées alors pour le lettrage sous verre des boutiques, boulangeries et autres], ornements ».
On conçoit tout l’intérêt, pour le chantier du Louxor, d’avoir bénéficié d’artisans capables de répondre à un peu tous les types de décors à réaliser, et qui plus est avec les compétences italiennes, reconnues pour être les meilleures dans le domaine, notamment pour la réalisation de faux marbres et d’imitation de l’antique. Et lorsque l’on sait ce qu’était la richesse architecturale de sa ville natale, L’Aquila, ses rues bordées de palais, ses églises, on peut se dire qu’Amédée Tiberti avait été à bonne école !
Tiberti, et non Tibéri
Nous pouvons donc enfin, avec une quasi-certitude, mettre un visage sur le nom d’un personnage que nous avions eu tant de mal à retrouver ! Si le nom de l’architecte Henry Zipcy fut longtemps déformé en Ripey, celui d’Amédée Tiberti, cité à l’origine dans la presse en tant que Tiberti (Le Rappel, 6 octobre 1921) ou Tibérty (Bonsoir, vendredi 7 octobre 1921, nom rectifié en Tiberti le dimanche 9 octobre…), a été transformé en Tibéri dans des articles parus après 1945. Pour une raison restée mystérieuse, c’est ce dernier nom qui a survécu, jetant les historiens contemporains sur une fausse piste, dont on retrouve la trace même sur la base Mérimée (base de données du patrimoine monumental et architectural français), censée faire autorité.
D’où de longues et vaines recherches que nous avons à notre tour menées à la poursuite de ce mystérieux M. Tibéri. Pour clarifier ce point, Marie-France Auzépy, historienne de l’association, partit donc à la recherche d’un Amédée Tiberty ou Tiberti décorateur et c’est aux Archives de la Seine qu’elle finit par le découvrir.
Le registre analytique du tribunal de commerce de 1921 nous apprend qu’Amédée Tiberti est né le 16 juillet 1883 à L’Aquila, en Italie, et a fondé son entreprise le 11 mars 1921, quelques mois avant l’ouverture du Louxor. On peut supposer qu’un chantier d’une telle ampleur était une aubaine et un beau défi artistique pour cette jeune entreprise à l’activité diversifiée qui allait ainsi pouvoir réaliser aussi bien les peintures au pochoir sur les murs que celles des hiéroglyphes sur les poutres du plafond ou encore les inscriptions LOUXOR figurant au-dessus des entrées principales. Amédée Tiberti était marié à Jeanne Monaco. La date de leur arrivée en France nous est inconnue. Il a été naturalisé en juin 1928.
Un décorateur très demandé
Il s’avère que son entreprise a eu une activité très soutenue, au moins jusqu’à la fin des années 1950. Selon le Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, entre 1935 et jusqu’à la fin de l’année 1958, le nom de Tiberti apparaît régulièrement dans les résultats d’adjudication. Tiberti est notamment chargé de nombreux chantiers : écoles parisiennes, travaux de « peinture, tenture et vitrerie » lors de la construction d’un pavillon du personnel à la maison maternelle de Châtillon-sous-Bagneux. Après la guerre, il est de nouveau délégataire pour de nombreuses interventions qui vont de l’hôpital psychiatrique de Villejuif en 1950 aux bains-douches du stade nautique des Tourelles ou au Laboratoire d’hygiène. Nous perdons la trace de ses activités à partir de décembre 1958. Mais il a alors 75 ans ! L’entreprise n’est cependant définitivement radiée pour cessation d’activité que le 29 septembre 1967. Amédée Tiberti décède le 27 avril 1978 à l’âge de 95 ans.
A l’occasion de la réhabilitation du Louxor, les décors peints par Amédée Tiberti ont été restaurés ou restitués en appliquant la technique du pochoir initialement employée. •
Photo : Thierry Nectoux