Une figure de la Goutte d’Or est disparue début octobre. Retour sur ses engagements.
Le 47 rue Polonceau est orphelin. La belle dame à la chevelure rousse, au regard clair si intense, à la voix profonde, qui y habitait depuis 1980, n’est plus. Elle n’arpentera plus sa Goutte d’Or tant aimée, à la rencontre des habitants, de ses voisins, de ses amis. « Elle était très attachée à son quartier, très engagée sur toutes les questions touchant la Goutte d’Or, se souvient Michel Neyreneuf, ancien directeur de la Salle St Bruno et ancien adjoint au maire du 18e. Elle savait ce qu’elle voulait, mais restait toujours en recherche du lien avec les autres. C’était une belle personne. »
Claudie Carayon, née le 29 juillet 1944, est décédée subitement le 3 octobre dans sa maison d’Albi. La prof d’allemand, saluée par ses anciens élèves lors de ses obsèques, pour son humour fin et son écoute, a su aussi être à l’écoute de son quartier.
Un grand respect de chacun
En 1983, elle participe à la création de Paris Goutte d’Or (PGO), dont elle deviendra présidente de 2001 à 2013. Au-delà des questions d’habitat, de rénovation urbaine, elle s’implique sur les questions de prévention et de santé, d’exclusion, sur le droit à l’apprentissage de la langue pour tous. « Elle était très discrète, ne se mettant jamais en avant, mais très présente par son regard, son sens de l’observation, rapporte Lydie Quentin, directrice de l’association Les Enfants de la Goutte d’Or (EDGO). « Lors des premières réunions sur le problème des rixes entre ados des 18e et 19e, ne voyant que des mères présentes, elle a demandé : »Ils sont où les papas ?« Cette simple phrase a déclenché tout un engrenage : j’ai appelé des pères de famille ; ils sont venus, ont pris part aux débats et ça a abouti à un film “Ça suffit, prenez soin de vous ! »
Claudie plaidait aussi pour l’ouverture d’une mosquée digne de ce nom. « La France d’en bas ne doit pas devenir la France d’en-dessous », tel est le slogan qu’elle avait proposé lors d’un « hé contestataire » offert dans le square Léon. « Claudie savait intervenir avec un grand respect de chacun, raconte Bernard Massera, membre de PGO. Lors de la rédaction d’articles ou de manifestes, elle reprenait l’un ou l’autre, sans jamais créer de gêne. »
« Avec elle, on pouvait parler de tout »
En 2006 et 2007, elle accompagne des collégiens dans leur travail scolaire, en s’engageant auprès de l’association Les Enfants de la Goutte d’Or. Elle y participe à l’atelier d’écriture ainsi qu’au groupe de parole parents, où elle souhaite partager son expérience de mère célibataire. « Elle parlait bien et on aimait parler avec elle, raconte Echata Hamidou, habitante de la Goutte d’Or et membre du groupe de paroles. On pouvait parler de tout, de ce qui se passe dans le quartier, dans la famille, avec les enfants, dans le mariage... Elle va manquer à tout le monde. » Claudie fut un élément moteur de la réalisation du livre Paroles de parents-le pouvoir d’agir ensemble, publié lors des 20 ans du groupe (lire notre numéro 286).
En 2008, elle avait acheté le local du bas de son immeuble pour en faire un lieu de découvertes conviviales, Les 26 chaises. « Ça comptait beaucoup pour elle : faire découvrir aux habitants du quartier, une culture autre, un peu décalée ; offrir une ouverture ! », observe Patrick Gosset, président de PGO. L’amoureuse des belles lettres, de la chanson, du cinéma, y a accueilli des expositions de photos et peinture, des créations. Le 15 mars, avant-veille du confinement, eut lieu un spectacle mêlant musique, art floral japonais et danse buto. Antonin, voisin et ami, a témoigné lors de ses obsèques : « J’ai senti que tu voulais vivre cette soirée comme si c’était la dernière. Elle s’intitulait “Un grand monstre apparaît sur Paris”, ce qui te faisait beaucoup rire. Cela a été notre dernière fête : intense, belle et urgente. Comme tu le savais, la vie ne cesse de nous surprendre par les éternelles bifurcations qu’elle prend ».
Un hommage sera rendu à Claudie Carayon, quand les conditions sanitaires le permettront.
Photo : Joji Okamoto