La végétalisation est au cœur du plan climat de la Ville de Paris et la question des arbres y est centrale. Arbres plantés, arbres coupés, qu’en est-il de leur vie dans l’arrondissement ?
Le projet de PLU bioclimatique, arrêté par le Conseil de Paris le 5 juin dernier, prévoit 10 m2 de végétal par habitant, un projet ambitieux, auquel il faudra quelques années, on le sait, pour devenir réalité... En effet, il représente en tout 300 hectares à créer, en priorité dans les quartiers populaires, selon les préconisations de l’OMS. Pour l’un des élus EELV de l’arrondissement qui ont porté le futur PLU, Emile Meunier, de vrais progrès ont été entérinés : on ne pourra plus construire sur les espaces verts bordant le périphérique ni dans les cœurs d’îlots. Mais il faut aller encore plus loin et changer d’échelle.
Verdissement en marche
Cette végétalisation de Paris a pourtant commencé et tout le monde s’en félicite : depuis 2020, quelque 63 700 arbres auraient été plantés (selon la Mairie de Paris) avec un record en 2022-2023 ; il est question de plus de 25 000 arbres, de novembre à fin mars, sur les talus du périphérique (11 500), dans les bois existants (4 600 à Vincennes, 2 700 dans le Bois de Boulogne) et 800 nouveaux arbres dans la ville intra-muros. Ils correspondent, selon Gilles Ménède, adjoint (PS) au maire du 18e, en charge des espaces verts, de la nature en ville et de la végétalisation de l’espace public, « à la mise en œuvre de notre reconquête de la nature à Paris, notre politique d’apaisement de l’espace public et de suppression de places de stationnements : 6 000 depuis 2020 qui ont été rendues à la nature, aux piétons ou aux vélos ».
Certains dispositifs ont déjà leurs lignes budgétaires propres : Rues aux écoles, Embellir votre quartier, Végétalisons les grands axes. Dans ce cadre, depuis 2020, 1 218 arbres ont été plantés dans le 18e, dont 316 pour la saison 2022-2023 : par exemple, dix rue Ferdinand Flocon (devenue rue aux écoles), quatre rue Saint Luc, trois rue Cavé, huit rue de Suez, quatre rue de Panama, sept dans le haut de la rue Poulet - le quartier de la Goutte d’Or ayant été le premier ciblé par la Mairie dans le cadre d’Embellir votre quartier.
D’autres espaces ont été équipés de plates-bandes végétalisées : rue Richomme, le haut de la rue Labat. Dans le cadre du programme Végétalisons les grands axes, un certain nombre de voies sont concernées, la rue de Clignancourt, la rue Marcadet et la rue Damrémont pour lesquelles des études de sous-sol sont en cours.
Enfin, dans le cadre de l’opération Embellir votre quartier, environ 108 arbres devraient être plantés à Montmartre, avec l’accord des services de voirie.
Mais pour Emile Meunier, la Ville s’est privée d’espaces libres qui ne sont pas faciles à trouver : « A Hébert, sur une friche de 4 ha, par exemple, c’était l’occasion de disposer de grands terrains, mais on a privilégié la rentabilité, en laissant faire la construction de bureaux sur plus de la moitié de la surface. Il faut arrêter. »
Des coupes sous contrôle
Mais alors, pourquoi coupe-t-on des arbres et qui le fait ? A Paris, toute l’année, la vie des arbres et du végétal en général, diagnostics, coupes, élagages, plantations, entretiens, dépend du travail des 250 employés du service des arbres et des bois. Les raisons qui justifient la coupe d’arbres parisiens sont d’ordre phytosanitaires, de sécurité, ou encore liées à des projets d’aménagement ; dans ce cas, chaque demande de coupe est étudiée par les services de la Mairie qui donnent ou non leur autorisation. Ce fut le cas pour le chantier porte de La Chapelle qui a obtenu des coupes sous prétexte de faciliter son organisation, mais passage du Gué, où des travaux avaient également lieu, la coupe a été refusée. La Mairie du 18e a été informée également de coupes sauvages : le Musée de Montmartre, par exemple, a ainsi pris l’initiative l’année dernière d’abattre un arbre. Alerté, Gilles Ménède a rappelé à la direction que le terrain est public : « Nous leur avons signifié notre mécontentement, leur avons rappelé qu’ils ont obligation de consulter les services de la DEVE et de l’urbanisme et nous leur avons demandé de nous fournir un plan de gestion horticole, ce qu’ils ont fait ».
Reconquérir la pleine terre
La règle veut que chaque arbre abattu soit remplacé, sachant bien sûr qu’il lui faudra plusieurs années pour arriver à maturité. « Parmi les plantations d’arbres comptabilisées par la ville, tempère cependant Sébastien Goelzer, urbaniste indépendant, fondateur du collectif Vergers urbains. Il y a parfois de jeunes plants forestiers dont seule une partie arrivera à maturité. Or, l’enjeu n’est pas seulement de miser sur l’arbre, les grands en particulier, ni de planter, mais de laisser pousser ».
Pour Emile Meunier, le combat est plus radical : il va falloir trouver de nouveaux espaces à transformer en espaces verts pour atteindre les objectifs du plan ’non seulement il faut privilégier la pleine terre, mais il faut en rajouter« . Le projet de PLU bioclimatique insiste sur l’inclusion possible d’espaces verts protégés, privés comme publics, sur l’augmentation du pourcentage de pleine terre à la parcelle et sur la sensibilisation des habitants ainsi que des pouvoirs publics aux questions urgentes. »Les interlocuteurs commencent à comprendre« , précise Sébastien Goelzer. »Il est encore difficile pour le public d’accepter ce qu’il prend pour de l’abandon, alors que privilégier des zones sauvages permet de redonner à la nature ses droits." Mais les conditions ne sont pas toujours réunies, les plantations d’arbres étant tributaires des réseaux qui courent sous les zones ciblées : réseaux électriques, d’eau, téléphonie… La plantation est aussi une question saisonnière : par exemple, les quatre arbres prévus par la municipalité sur la place Jean Marais, devant l’église Saint-Pierre ne remplaceront les bacs actuels qu’en hiver.
Une diversité adaptée
La plantation des nouveaux arbres tient elle compte également de l’évolution climatique ? Bien qu’il n’ait pas encore eu l’écho d’étude récente sur l’impact du réchauffement sur la longévité des arbres et leur santé, Gilles Ménède affirme « que les services sont déjà contraints de s’adapter et de repérer quelles essences d’arbres seront les plus résistantes. C’est la réflexion, entre autres, qu’a mené la mission « Paris à 50° ». « Multiplier les espaces verts, c’est le combat de la prochaine décennie », assène Emile Meunier. « Dès qu’un espace se libère, il doit devenir végétal, il faut agrandir les parcs, détruire des bâtiments obsolètes ou n’ayant plus d’activité, pour gagner du terrain. Il faut que la Ville rachète déjà les espaces sur lesquels il a été mis des réserves et occupe les sols. C’est la mère des batailles. Mais Paris ne réalise pas encore ce que cela représente en terme de coût et d’aménagement ».
Pour Sébastien Goelzer, parler de végétalisation uniquement en chiffres peut conduire à négliger la qualité, la diversité des formes et des situations. Il faut prendre un peu de recul : « L’arbre n’est pas un objet choisi sur un catalogue et que l’on pose comme du mobilier, avec différentes strates. On oublie parfois qu’il peut prendre différentes formes pour s’adapter aux contextes, aux objectifs et à l’exigüité de l’espace urbain : arbustes, arbres fruitiers qui peuvent en plus être nourriciers, arbres palissés le long des murs. S’il n’est pas planté de manière isolée, et en alignement, il peut recréer des écosystèmes suffisamment diversifiés, pérennes et autonomes. En se reconnectant au sol, il peut contribuer à le régénérer, à justifier le débitumage, favoriser la gestion de l’eau et participer d’autant plus à la lutte contre les îlots de chaleur urbains. » Le Paris vert est un combat qui, même s’il avance, doit mobiliser plus que jamais toutes les forces et les consciences.
Photo : Jean-Claude N’Diaye