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Le 18e du mois

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septembre 2023 / Les Gens

Un piéton curieux des quartiers et de son 18e

par Danielle Fournier

Portrait d’un amoureux du 18e qui y réside depuis cinquante ans : Henri Fabre-Luce, avocat spécialisé en droit de l’urbanisme et de l’environnement, personnalité engagée pour l’écologie.

Svelte et élégant, il nous reçoit dans sa bibliothèque où règne une ambiance de travail : tapis d’artiste au sol, cheminée dans un coin, fenêtre donnant sur un arbre dans un micro-jardin, piano, et des livres, des tableaux en nombre… ainsi que la collection complète du 18e du mois « depuis le premier numéro ». À propos de notre journal, il parle d’une « belle aventure », une surprise, voire un miracle : « On a de la chance d’avoir ce journal ! Quelle ambition de rendre compte d’un arrondissement aussi grand et aussi divers. C’est Le 18e du mois qui m’a donné une relation avec l’ensemble de l’arrondissement ». Évidemment, nous sommes d’accord avec lui et flattés du compliment. « On se sent curieux de ce qui existe un peu plus loin » dit celui qui « a été attiré par Montmartre, un endroit qui ne ressemble à nul autre, propice au mystère avec ses rues qui tournent. »

Au mur, un portrait de sa mère et un de son père enfant, avec des anglaises, « non genré avant l’heure » confie celui qui ne manque ni d’humour ni de sérieux. Il a grandi dans une famille bourgeoise, « des Irlandais immigrés à Cuba ». Son père, historien parfois contesté, journaliste, « intellectuel parisien », a écrit une centaine de livres en tous genres et cultivait la curiosité. Son fils, une fois adulte, a quitté sans regret le 16e arrondissement, un quartier finalement banal et depuis 1977 il réside dans sa maison de la villa Léandre.

Amoureux des quartiers de Paris

Il est devenu passionné de Paris : enfant et adolescent il n’en connaissait qu’un petit coin, mais ensuite, chaque dimanche, il est allé se balader dans un nouveau quartier pour découvrir sa ville. Ce qui l’intéresse justement c’est cette notion de quartier et la relation des habitants avec le leur. Selon lui, ce ne sont pas les transformations architecturales qui le modifient mais la sociologie : les commerces sont différents, les habitants aussi. Il note à regret qu’il y a beaucoup moins d’enfants dans les rues. « Je suis pour la biodiversité humaine, végétale, animale et ce qui manque maintenant c’est cette pluralité. Avant je ne voyais pas deux personnes semblables. Maintenant la variété s’est appauvrie et par exemple, si on sort vers midi, l’heure des bobos, tout le monde se ressemble. » Ce qui affecte celui qui aime se décrire comme un flâneur, car « il y a de la lenteur dans le flâneur », c’est l’apparition des digicodes : on ne peut plus découvrir des cours pittoresques. Si on lui demande de choisir un bel endroit ? Derrière le Sacré-Cœur la nuit, la rue prend des allures fantastiques. Devant, il y a le kitsch et derrière, ce mystère qui entraîne l’imagination. Un autre changement le frappe : avant, il y avait beaucoup de cafés et très différents, des « cafés-bois-charbon » et les artistes qui habitaient la Butte étaient un peu hors norme. Son intérêt pour le quartier ne s’est jamais émoussé et il a été longtemps membre de l’ADDM18, l’Association de défense de Montmartre, née d’une lutte contre un parking qui devait prendre place sous le fameux terrain de boules. Son actuelle présidente, Béatrice Dunner, le décrit comme « soucieux de l’intérêt collectif et en particulier des grands dossiers qui concernent Montmartre aujourd’hui : urbanisme, sur-tourisme, espace public ».

Au service du droit de l’environnement

Henri Fabre-Luce a été avocat pendant 45 ans. Au départ, il voulait faire du droit pénal puis son tempérament l’a poussé à choisir une autre voie : il s’est alors lancé sur ce créneau du droit environnemental à l’occasion de la défense des artistes qui habitaient la Cité fleurie, boulevard Arago, et qui ont attaqué le permis de construire. Un apprentissage « sur le tas », pour devenir spécialiste en droit de l’urbanisme et de l’environnement. C’est alors que ses goûts et sa pratique professionnelle ont été en symbiose. En 1976 a été votée la première loi sur la nature et il y avait beaucoup de jurisprudence à créer : il a participé à l’interprétation de la législation par les tribunaux. Des communes l’ont contacté et il souligne discrètement qu’on a essayé de le récupérer, notamment des grandes sociétés, à l’occasion des études d’impact. Il a aussi travaillé sur l’extension du port de Nantes Saint-Nazaire, un « aménagement portuaire aberrant » et s’est intéressé aux lignes à haute tension, notamment lorsqu’EDF a fait passer des lignes à 400 000 volts au-dessus des gens en prétendant que cela ne posait aucun problème. Un travail au plus près des habitants qui lui montraient ce qui leur tenait à cœur dans leur région, révélant ce qui leur semblait une atteinte à l’environnement. Il a plaidé un peu partout en s’appuyant sur l’attachement au terroir, le cœur de ses convictions et de sa pratique.

Un écolo historique

Rien d’étonnant à ce qu’il se déclare écolo depuis 1971 : il a participé à la déclinaison française des Amis de la Terre, a présidé SOS Paris, lorsque le débat était très virulent autour des questions environnementales. Il a ensuite franchi le pas de l’engagement public comme suppléant de Brice Lalonde puis, dans le 18e en 1977, il a fait partie de la liste écolo emmenée par Maximilienne Gautrat qui a fait un score honorable d’environ 8 %.

En 1983, il est devenu tête de liste des écolos… mais sans grand succès, avoue-t-il. Toujours présent dans les luttes environnementales locales, il était sur la liste des Verts en 2001 et en 2008. Il a participé aussi à SOS piéton devenu « 60 millions de piétons » et fut un temps adhérent du club de boules. Autant de jalons d’un engagement multiforme pour l’environnement.

En 2025/2026 on célèbrera le centenaire de la création de la Villa Léandre, alors rendez-vous est pris pour une belle fête dans cet endroit préservé et fabuleux.

Photo : Thierry Nectoux

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