Au printemps et à l’automne, les vide-greniers sont de retour non pas sur les clochers des alentours mais sur nos places et dans nos rues. Dans le 18e, ils fleurissent aussi gaiement que les premières primevères.
Pour ceux et celles qui sont addicts à la déambulation devant les vestiges du monde d’avant, c’est à nouveau Byzance. Quel moteur nous tire donc du lit le samedi matin quand on pourrait goûter aux délices d’une grasse matinée ? Aux premières loges : l’attrait de l’inattendu. Contrairement aux brocantes, royaume des professionnels, les vide-greniers nous mettent face à des objets (au sens large) qui surprennent ou dont on avait oublié l’existence, des objets qui ont une histoire, volontiers contée par le propriétaire si nous la lui demandions. Ainsi, rue Caulaincourt, une poupée Bécassine en tissu, bien fatiguée, dont la vendeuse dit que c’est la sienne, qu’on la lui a offerte quand elle était enfant. « Elle a mon âge » souffle-t-elle, mais coquette, souriante, elle refuse de le révéler. Peut-être la soixantaine...
La Bécassine est d’époque. Pour cinq euros, elle fera le bonheur d’une
amie qui en cherche une depuis longtemps.
Etonnez-moi Benoît !
L’inattendu a parfois une suite, encore plus inattendue. Ainsi, rue Ordener, dans un tas de vêtements posés à même le sol, au milieu de jambes de pantalons et de chemises sans boutons, émerge une manche en peau blanche. C’est une veste, en vraie peau, doublée de fausse fourrure gris pâle. Pas une déchirure, pas une tache, impeccable. Cinq euros comme tout ce qui est dans ce « tas ». Pas trop ce qu’il faut pour aller au bureau mais parfait pour entrer avec les VIP à l’inauguration du Salon du livre... ceci est une autre histoire !
Il y a un an, rue Azaïs, où se tient habituellement le vide-greniers du Sacré-Cœur, « rencontre » avec une robe longue, fond violet rebrodé de dentelle, volant de satin noir froufroutant dans le bas. C’est une robe de scène proposée par un particulier qui vend aussi une lampe et quelques livres. Il a vécu avec une costumière de théâtre qui l’a quitté. Elle est partie en abandonnant cette robe dont on ne sait pas si elle a été oubliée ou laissée en souvenir. Très utile pour des soirées où des femmes fort élégantes, fréquentant plus souvent l’avenue Montaigne que les vide-greniers du 18e, viennent demander avec envie d’où vient cette merveille. Leurs regards noirs quand elles apprennent que c’est une pièce unique payée dix euros...
Du plus loin qu’il m’en souvienne
Une autre raison pousse à engager ces périples dans des quartiers dont on ignorait tout avant : le parfum du passé. Comment résister à ces objets dont la patine vous sifflote un air de « Ne m’oubliez pas » ? Ainsi rue Ramey, un miroir Che Guevara, photo sur le verre du leader, pas maximo celui-là, et en-dessous « Hasta la victoria siempre ». Il était posé dans le caniveau, proposé à deux euros, d’après le vendeur qui semblait prêt à payer pour s’en débarrasser. Goût pour les temps anciens qui fait collectionner les assiettes illustrées de photos de personnages historiques ou politiques célèbres. Une assiette François Mitterrand, une autre représentant De Gaulle, une encore consacrée à Victor Hugo, etc. Pour un dîner entre amis, on pourra réserver par exemple, au plus anticlérical l’assiette Notre-Dame de Fatima et au plus grand pécheur (ou à la plus grande pécheresse), celle de Félix Faure, dénichée boulevard de Rochechouart.
Impasse des Fillettes, trouvée récemment, signée Depardon, une photo de Georges Marchais conversant avec Georges Séguy : qu’elle était jolie non pas la guerre mais la politique d’autrefois, avec ses vrais personnages au verbe haut, la politique pas encore réduite à la com’ et à ses « éléments de langage ». Parfois c’est la réplique d’objets familiers, comme celle de la machine à coudre maternelle, avec sa pédale, ses pieds en fonte tarabiscotés, et dont, la mort dans l’âme, on s’interdit l’acquisition.
Les mains vides ? Moi, jamais !
Il est vrai qu’un argument récurrent pousse à l’achat quand un objet ou une fringue qui parle est proposé à des trois francs-six sous, soit entre trois et cinq euros. L’emporte alors le « Je ne peux pas laisser ça », en concurrence avec « Où vais-je caser cette petite étagère ? » ou « Je n’en ai aucun besoin » ou encore, dans le cas des vêtements, « Je n’arrive déjà pas à porter ceux qui remplissent ma penderie ». Devant un document exceptionnel, la retenue parfois s’impose, comme place des Abbesses, pour ce coffret de six CD réunissant les moments forts ou historiques de la radio depuis 1940. Mais comment trouver le temps d’écouter tout ça... ?
Cela étant, il est difficile de quitter un vide-greniers sans rien. C’est ainsi qu’on rapporte une de ces poupées dont, Barbie étant passée par là, les enfants ne veulent plus : une poupée revêtue d’habits magnifiques accompagnés de chapeaux, aumônières, gants, le tout pour huit euros.Toujours en marchandant, c’est la règle dans les vide-greniers où, comme les acheteurs, les vendeurs mentent. Ce qui fait dire à ceux qui affichent des tarifs au-dessus de l’acceptable : « Cher Monsieur, ce n’est pas un prix de vide-greniers ». A quoi certains rétorquent avec un grand sourire : « Je le sais. Mais vous ne pouvez pas m’en vouloir d’essayer quand même ». Tous les moyens sont bons pour ne pas rentrer bredouille.
Que celui ou celle que n’a jamais effleuré le « C’est d’autant plus beau que c’est inutile » me jette la première pierre. •
Illustration : Jean Martin