Transformer une autoroute urbaine en promenade verdoyante, pour des circulations douces et des activités calmes dans un quartier apaisé. L’enjeu est de taille et la réussite du projet exige des moyens et un accompagnement pérennes.
Forte affluence (environ 200 personnes) le 4 janvier à l’école Eva Kotchever (Chapelle International) pour une réunion publique de présentation des nouveaux aménagements de l’axe porte de La Chapelle/Marx Dormoy/place de La Chapelle. Les questions et commentaires n’ont pas manqué.
Après une présentation par Eric Lejoindre, maire du 18e, Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris chargé de l’urbanisme, de l’architecture, du Grand Paris, annonce ensuite que ce projet de réaménagement est « le plus important de la mandature avec un budget de plus de 400 millions d’euros, huit fois ce que nous mettons sur les Champs-Elysées » et « répond à des besoins très importants du quartier » dont il se dit également « très lucide sur les difficultés ». Eric Lejoindre, quant à lui souligne : « Nous entrons dans une année et demie compliquée mais le jeu en vaut la chandelle et il faut occuper positivement [l’espace] ».
Un beau projet…
Les services techniques de la Ville déroulent ensuite le projet de la porte à la place de La Chapelle, via la rue de La Chapelle nord et sud. Un diaporama prometteur est projeté qui propose notamment : « La vie dont on a envie, on va la faire ici. » Les maîtres-mots : plantation d’arbres (4 550 m2 arborés supplémentaires de la porte au rond-point rebaptisé « place ronde », dont 138 nouveaux prévus sur la place elle-même pour la « transformer en espace apaisé »), mobilités douces avec la création de pistes cyclables à sens unique ou bi-directionnelles et des trottoirs élargis (sauf rue Marx Dormoy où « l’espace restreint ne le permet pas »), surface de la chaussée rétrécie (à Chapelle nord on passe d’une largeur de 22 mètres à 13), espaces libérés pour de nouveaux usages, essentiellement de la porte à la « place ronde » : kiosques, marché de petits producteurs, jeux, culture.
Les travaux devraient s’échelonner de décembre 2023 (rues de La Chapelle sud/M. Dormoy avec fin du désamiantage de cette dernière en mars 2023) à janvier et mars 2024 (porte de La Chapelle/ rue de La Chapelle nord).
…mais des inquiétudes et de nombreux doutes
Un premier intervenant dans la salle s’inquiète de savoir comment protéger les strates basses de végétation et cite, comme mauvais exemple, les bandes plantées devant le métro La Chapelle, saccagées par le piétinement des passants et des vendeurs de cigarettes. Réponse d’un responsable des services techniques : « Tous les espaces végétalisés seront protégés par une lisse et on travaillera sur différentes strates. » Pas sûr que cela suffise !
Un autre s’inquiète de l’insécurité et du manque de visibilité potentiellement engendrés par la future canopée (avec tous ces arbres !). A quoi Eric Lejoindre répond que « l’arbre ne contribue pas à l’insécurité et que les aménagements prennent en compte les risques prévisionnels d’insécurité ».
Les « mésusages » suscitent également quelques inquiétudes et des rires dubitatifs de la salle lorsque Eric Lejoindre affirme que « plus de travées [entre la porte de La Chapelle et le rond-point], donc plus de taxis clandestins ».
Plusieurs questions sur les pistes cyclables et leur sécurité. Une habitante de La Plaine-Saint-Denis qui vient tous les jours à vélo trouve la porte de La Chapelle dangereuse car non éclairée (mais il est apparemment prévu qu’elle le soit pendant les travaux). Un autre habitant de Marx Dormoy rappelle qu’un enfant a été renversé, voici deux ans, sur la piste cyclable rue Marx Dormoy et demande quel dispositif est prévu pendant la phase transitoire pour prévenir les accidents.
Assurer un suivi durable
Alexandre de l’association Paris en selle souligne un « projet ambitieux », ajoute que « on fait du vélo quand on se sent en sécurité » et pose la question « du stationnement des vélos à l’Aréna et sur le campus Condorcet (où plusieurs milliers d’étudiants sont attendus à la rentrée de septembre 2024) ».
Tandis que Jean-Michel Métayer, de Vivre au 93 Chapelle, « ne peut que se réjouir » des aménagements projetés, Philippe Giraud, de Demain La Chapelle, note « très peu d’amélioration sur la rue Marx Dormoy » et demande pourquoi « la Mairie ne s’emploie pas à faire respecter la législation sur les commerces qui débordent sur le trottoir ».
A l’interrogation de Mohaman Haman, architecte urbaniste (voir son portrait dans notre n° 311), de savoir si des jeunes du quartier seront embauchés, Eric Lejoindre précise que dans le cadre des « enjeux du territoire zéro chômeur, une politique très active d’emploi sera menée pour les jeunes sur les chantiers », avec à plus long terme la création d’emplois plus pérennes à l’Arena.
Le décor est donc planté mais un ripolinage, aussi coûteux soit-il, ne suffira pas à modifier le vécu des habitants dans un quartier au contexte social difficile, s’il n’est pas accompagné des mesures et du suivi nécessaires pour transformer cet axe en un quartier apaisé. Il serait mal venu de répéter le gâchis de la promenade urbaine.•
Photo : Jean-Claude N’Diaye