Depuis trente-cinq ans, Françoise Albin enseigne musique et chant aux élèves de la Butte. Elle a mis sur pied plusieurs projets inter-établissements et laissé une trace indélébile dans la mémoire de nombreux enfants.
Un peu difficile de repérer Françoise Albin dans la cour de récréation de l’école Houdon : elle n’est pas très grande, et surtout la juvénilité de sa personnalité et de ses traits la fondent harmonieusement parmi les enfants. Car s’il est un endroit où Françoise est bien à sa place, c’est en compagnie des élèves à qui elle dispense, au sein de cette école tout à fait singulière, l’amour de la musique et de sa pratique.
Françoise est arrivée dans le 18e arrondissement – dont on disait à l’époque que les classes étaient un peu difficiles – par hasard et y a mené toute sa vie professionnelle. En 1985, jeune musicienne fraîchement émoulue du concours de la Ville de Paris, elle obtient un premier poste dans les écoles Binet (maintenant appelée Dorléac) et Philippe de Girard. « J’habitais en banlieue parisienne, j’arrivais par le train à la gare Saint-Lazare et, franchement, c’était pas mal. »
L’année suivante, elle remplace le professeur de musique de l’école Houdon qui part à la retraite. Et trente-cinq ans plus tard, elle y enseigne toujours. « Cette école compte beaucoup pour moi car j’y ai joui d’une grande liberté. » L’établissement, de façon novatrice, avait aménagé le temps scolaire ; dix ans après, le projet a permis aux enfants d’aller à l’école cinq jours par semaine, comme c’est le cas maintenant partout, et depuis quinze ans, on y travaille tous les matins mais seulement deux demi-après-midi par semaine, ce qui a permis la mise en place d’activités sportives et culturelles. Jusqu’en 2013, l’école était classée ZEP, avec une population très mélangée, issue des hôtels sociaux, de foyers, de familles très défavorisées. « Et il y a toujours une hétérogénéité très riche », affirme cette militante de l’éducation publique.
La musique qui rassemble
Dés le début, Françoise sent que tous les projets sont possibles, surtout lorsqu’ils mobilisent de façon transversale les collègues : chanter Frère Jacques dans toutes les langues à l’occasion de la visite de professeurs européens, participer à l’album Somnambule du chanteur Raphael, faire découvrir l’opéra, faire participer les enfants à des ateliers de fabrication d’instruments…
La professeure organise très vite une vie musicale au sein de l’établissement et crée du lien entre tous les niveaux : concert de Noël devant les parents à 8 h 30, concert-expo au printemps associant le professeur d’art visuel, grand bal de fin d’année, projets avec d’autres établissements de l’arrondissement, résidence d’artistes, mais aussi participation des élèves aux grandes célébrations républicaines – commémoration de la déportation des enfants juifs, appel du 18 juin, etc. « C’est hyper sérieux, mais ils deviennent ainsi citoyens ! »
Françoise a profité de toutes ces années, et du temps que lui laisse son métier, pour élargir sa pratique : violoniste au départ, grâce à une série télévisée, elle joue également de l’accordéon, de la guitare, de la nickelharpa et, dans sa classe, sont rangés en bon ordre sur les étagères des instruments à vent et des percussions dont les enfants sont encouragés à jouer.
Depuis 2009, Françoise Albin participe puis dirige la chorale des Vendanges, lors de la fête du même nom. Au programme : quatre chants appris par cœur par plusieurs centaines d’enfants des écoles de l’arrondissement qui les présentent ensemble dans le square Louise Michel. "Pour eux, c’est l’évènement de la rentrée : ils vont voir le maire, le Sacré-Cœur, ils chantent tous ensemble avec des musiciens, ils adorent.
La musique qui construit
Au cœur de Montmartre, les familles qui le peuvent restent dans le quartier. Ainsi Françoise enseigne aussi parfois à la deuxième génération. C’est le cas d’Anne-Cécile Parent, fortement marquée par l’enseignement musical reçu de la maternelle au CM2, et dont bénéficie à présent sa fille. « J’étais à Houdon à une période où l’école donnait la part belle à la culture, aux sorties. Françoise proposait toutes sortes de projets et j’ai grandi dans une école où tout le monde travaillait ensemble, il y avait une cohérence. »
Grâce à sa professeure, Anne-Cécile a découvert l’opéra. Elle a vu à Bastille le Golden Vanity de Benjamin Britten. Et en CM2, Anne-Cécile a vécu le projet de sa vie, Aïda, l’opéra de Verdi : « On avait bossé comme des fous, on était allés au Louvre, on a travaillé sur l’Egypte. On avait un texte, des costumes, des solos, des textes, une générale… » Anne-Cécile y a acquis le « goût de l’effort, de la discipline, parce qu’au bout il y avait la récompense du spectacle ». Marquée par cette expérience, elle a ensuite au lycée « fait un exposé sur l’opéra » et a demandé qu’on lui offre le coffret pour Noël !
« Françoise a profondément contribué à notre éducation. »
Des élèves devenus célèbres
Cet enseignement a manifestement laissé des traces, comme en témoignent les courriers que reçoit encore Françoise d’anciens élèves, ou la réaction des collégiens qui la croisent dans la rue ; leur visage s’illumine au souvenir de ce qu’ils ont partagé grâce à elle. "Cette vie collective, lorsqu’on chante ensemble, laisse un souvenir indescriptible ; c’est pour cela que je fais de grands concerts avec toute l’école. Pour moi, le but, c’est qu’ils finissent leur école primaire avec un répertoire le plus varié possible : des chants traditionnels, du classique, de tous les styles …
et que cette musique soit associée à des moments de plaisir.« Des moments de plaisir, mais aussi une construction de soi ouverte sur le monde, comme en témoignent encore les souvenirs d’Anne-Cécile Parent : »Elle a des valeurs de partage, de tolérance fortes ; je me souviens d’un chant de Noël, dans un contexte de conflit israëlo-palestinien, qui célébrait la paix entre les peuples. C’était profond pour nous, elle a semé dans nos cœurs des valeurs fondamentales et je chante toujours ces chants à mes enfants à Noël. Elle a fait de la musique quelque chose d’essentiel, de fédérateur.« Pour la petite histoire, Françoise a contribué à l’éducation de plusieurs élèves devenus des artistes reconnus : Alexis Michalik, Céleste Brunnquell et Paul Kircher pour qui le spectacle a fini par faire partie de leur vie. Grâce à Françoise ? Tout cela est sans doute une question d’amour, d’amour de la musique et d’amour des autres. »Moi je les aime, mes gamins : j’aime être en face d’eux et c’est vraiment un échange. Il devrait y avoir un professeur de musique dans toutes les écoles. Il n’y a pas un enfant qui n’aime pas ça et tout le monde y trouve sa place."
Photo : Dominique Dugay