Journal d’informations locales

Le 18e du mois

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septembre 2021 / Histoire

Depuis 1914, une presse locale foisonnante

par Danielle Fournier, Dominique Delpirou

De 1914 à nos jours, la presse continue de s’illustrer dans le 18e, un des rares arrondissements parisiens à développer une telle activité journalistique locale.

La Grande Guerre bouleverse les conditions d’exploitation de la presse. Les difficultés d’approvisionnement en papier (le papier ne cessera d’être rationné qu’en 1921), la mobilisation des journalistes provoquent la disparition de nombreux journaux. L’établissement de l’état de siège sur tout le territoire offre la possibilité aux autorités militaires de suspendre ou d’interdire toute publication périodique. L’installation de la censure préalable donne peu à peu naissance à une censure politique (il est interdit de parler des stratégies militaires, de donner le nombre de morts et de blessés, etc.) que la presse dans son ensemble accepte, il faut le dire, sans protester.

Montmartre La Chapelle et Le 18e continuent de paraître mais les informations locales se font de plus en plus rares et la plupart des pages sont occupées par de la propagande. On glorifie les héros de Verdun. Quand la victoire est sur le point d’être acquise, un chroniqueur règle ses comptes avec l’ennemi de l’extérieur et de l’intérieur : « Guerriers, saluez, c’est la France qui passe : la Race... Le Kayser se croyait le maître du monde et les Français se voyaient déjà envahis, à cause des politiciens gélatineux, socialos à la manque, imprégnés du virus marxiste... Mais la brute sera vaincue ! »" »

Montmartre en colonnes

Dans les années qui suivent la fin de la guerre, Montmartre La Chapelle disparaît et en 1922 ne subsiste plus que Le 18e, c’est-à-dire l’édition pour l’arrondissement d’un journal publié dans tout Paris. La vie chère, le prix du pain, de l’électricité, le développement des transports, la politique municipale, la dangerosité des « métèques » et leur impossible intégration (« La majorité de la racaille d’une grande ville est représentée par des étrangers. Il faut leur faire payer une taxe de séjour de deux francs... ») prennent toute la place. On trouve quelques rares références au 18e : le succès de la soupe populaire en décembre 1922 et, à partir de 1924, des informations régulières sur les services publics de l’arrondissement (adresse et téléphone).

Dix ans plus tard, la situation n’a guère évolué. Cependant, au 18e sont venus s’ajouter deux périodiques : un hebdomadaire, Montmartre Journal – qu’il n’a pas été possible de consulter –, et Notre Montmartre, qui fut un mensuel très éphémère. Voici ce qu’on pouvait lire dans le premier numéro : « La célèbre artiste Rahna en tenue de colonelle décore le comique Dandy, membre de la Commune libre de Montmartre, en tenue de pompier... La charmante muse de Montmartre, Mlle Bonnet, qui préside toutes les réunions de la Butte et qui est jolie, bonne et compatissante s’occupe spécialement de la soupe populaire. ». Le journal donne aussi des informations sur les films à l’affiche (Cœurs brûlés [titre original : Morocco] de Josef von Sternberg, avec Marlène Dietrich et Gary Cooper, La Tragédie de la mine de Pabst) et sur les pièces à voir au théâtre (Les Tricheurs de Steve Passeur à l’Atelier, Au-delà du baiser de Claude Dazil au théâtre des Arts).

Les pages centrales sont occupées par de la publicité pour les articles des grands magasins de la Maison dorée situés au 35 du boulevard Barbès. Les recettes de cuisine (le poulet de la Mère Marie), les conseils du docteur et des historiettes pour les enfants complètent le tableau. A ces deux périodiques, il faut ajouter Montmartre socialiste, organe de la 18e section de la SFIO (l’une des plus grosses fédérations de la Seine) paraissant le premier samedi de chaque mois. En janvier 1938, c’est le pacte de Maurice Thorez avec... le pape, pour le libre choix de l’école, publique ou privée, qui fait la une !

La guerre, onde de choc pour la presse

Avec le deuxième conflit mondial, après les slogans bellicistes habituels (« Des chars, des chars ! souscrivez aux bons d’armement !  »), c’est une nouvelle onde de choc pour la presse, plus forte que la précédente. Tous les journaux d’avant-guerre disparaissent. Il faut attendre 1954 pour que réapparaisse un journal d’arrondissement : L’Indépendant de Montmartre. René Thomas, conseiller municipal en est le directeur politique, le rédacteur en chef et le rédacteur tout court. Pendant les quelques années de son existence, il part en campagne, par de violentes diatribes, contre le complot communiste. Exemples choisis : « Il faut éliminer les communistes de la caisse des écoles du 18e (…), le parti le plus riche de France entre en campagne (…), les chefs communistes soutiennent les criminels en Algérie et la pègre nord-africaine dans l’arrondissement (…), les villas des chefs communistes sur la Côte d’Azur…  » Quand il reste de la place, le journal donne des informations plus locales : la coupe René Thomas des vieilles concierges, le jumelage de Montmartre avec son homonyme du Canada et avec Papeete, la cueillette symbolique du raisin de la rue des Saules et la fête des vendanges, la course de côte au ralenti de la rue Lepic.

D’autres publications seront plus éphémères, mais autrement plus intéressantes. Montmartre Panorama, créée en 1955, pour quatre numéros seulement, est l’une d’elles. Elle se veut la revue des amoureux de Montmartre, une revue qui refuse « l’épicerie » et « respire à l’air libre ». Claude Charles en est le rédacteur en chef, Paul Yaki, le conseiller historique. Parmi ses collaborateurs figurent les noms de Roland Dorgelès, Raymond Souplex, Jean Rigaux, Jean Marsac. Pierre Mac Orlan et Françis Carco font partie du comité d’honneur. Le Vieux Montmartre est le sujet de nombreux articles (Montmartre et son maquis, On cueille des fleurs à Montmartre, etc.), mais sans aigreur, ni sensiblerie. Le Montmartre actuel n’est pas négligé pour autant : c’est la grande époque des chansonniers, « les derniers meuniers des moulins de Montmartre ». Souplex, Rigaud, Marsac rivalisent d’humour et de fantaisie. Des rubriques sont dédiées aux vieux métiers de la Butte (la ferronnière de la rue Germain Pilon), aux théâtres et cabarets, où règne le French cancan. Montmartre Panorama, superbement illustrée, fait une petite place à la publicité.

Des lancements avec et sans lendemains

Le 2 mars 1977 paraît Le Petit Matin, un mensuel dont le fondateur est Bernard Ollivier. On est en pleine campagne municipale. Il y aura un maire à Paris et c’est une nouveauté. Il est vendu (en partie à la criée) 2 francs. On trouve à l’intérieur toutes les rubriques d’une feuille locale (politique, sport, faits divers, culture, petites annonces, encarts publicitaires des commerçants du coin…). Dès le 22 novembre le prix de vente passe à 2,50 F. C’est l’époque du lancement de l’édition du 17e qui ne s’imposera jamais vraiment. Au bout de cinq numéros les deux éditions fusionnent, en mai 1978. En février de la même année est créée l’association Les amis du Petit Matin. À partir du n° 26 Le Petit Matin devient bimensuel et couvre trois arrondissements (17-18-19) sur 32 pages. En septembre 1979 paraît le dernier numéro (34) qui titre à la une : « On ferme. » Fin 1980 parait un almanach du 18e de 100 pages. Il devait être le premier d’une série qui n’a jamais vu le jour. Et il y aura d’autres journaux, notamment quelques feuilles de partis politiques, le journal municipal… Il faudra attendre juin 1990 pour la parution de Paris Montmartre, magazine trimestriel plus durable édité par l’association du même nom créée à l’initiative du peintre Midani M’Barki. En janvier 2020, le magazine a fêté, par un numéro hors-série, le centenaire de la République de Montmartre née sous les auspices de Forain, Willette, Neumont et Poulbot pour « faire le bien dans la joie ». Un numéro très riche avec de nombreux articles portant sur des sujets tels que l’histoire des cabarets et lieux mythiques de la Butte, celle des chansonniers, les combats de la société le Vieux Montmartre.

Le 18e du mois, quant à lui, fait son apparition en novembre 1994. Depuis, sans faille, il publie 11 numéros par an et s’apprête à fêter son 300e numéro. Fondé par Noël Monier et Jean-Yves Rognant (lire p. 11), il réunit une équipe diversifiée et ouverte, qui a réussi à se renouveler et à renouveler ses sujets, avec toujours l’ambition d’une information indépendante et citoyenne. C’est la référence pour qui veut connaître le 18e ! Le journal s’est enrichi d’un site web, mais vous n’y trouverez pas tous les articles. Nous sommes encore résolument attachés à la presse papier, à la relation avec nos dépositaires, à la connaissance de nos lecteurs.

En 1994 paraissait aussi Le Petit Ney, à l’initiative de l’association du même nom installée désormais avenue de la porte Montmartre. Engagé pour l’action culturelle et citoyenne, et désireux de valoriser son « micro-quartier », enclavé entre les Maréchaux et le périphérique, il parut jusqu’en décembre 2011.

Le développement de l’information en ligne, gratuite, aurait pu porter un coup fatal à l’information locale. Pourtant, en mai 2018, un autre titre faisait sa réapparition. Le Chat Noir, quasi ressuscité, propose mensuellement en kiosque ses quatre pages grand format, à l’instigation de Romain Nouat. Collectionneur de presse satirique, et surtout amoureux de Montmartre, il veut rester fidèle à l’esprit « impertinent, caustique et libertaire » qui était la marque de son illustre prédécesseur publié entre 1882 et 1895. Le Chat Noir tirait à l’époque à 19 000 exemplaires, édité par le cabaret du même nom.

Dans le même numéro (septembre 2021)

  • Le dossier du mois

    Alternative au béton, le jardin se réinvente

    Danielle Fournier, Nadia Dehmous, Sandra Mignot, Sylvie Chatelin
    Alors que s’annonce la fête des jardins et de l'agriculture urbaine, qui aura lieu cette année les samedi 25 et dimanche 26 septembre, les initiatives fleurissent dans le 18e. Des initiatives bienvenues pour verdir un arrondissement dense et se poser comme alternatives au béton pour tous les habitants.
  • La vie du 18e

    Les ailes au dos, la poésie au coeur [Article complet]

    Noémie Courcoux Pégorier
    Un ange – non déchu – a fait son apparition entre la Butte et les jardins d’Eole. Rencontre avec un artiste de chaque instant.
  • Alternative au béton, le jardin se réinvente

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    Sylvie Chatelin
    Au pied levé, l’association Veni Verdi s’est installée sur le toit de l’école Eva Kotchever en plein cœur de Chapelle International. Le jardin prend forme et ses deux responsables fourmillent de projets.
  • Alternative au béton, le jardin se réinvente

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    Danielle Fournier
    Le jardin Frédéric Dard renaît après sa fermeture en février 2020 à la suite de dégradations. Il a accueilli cet été trois séances du projet du Maquis d’Emerveille, pour une reconnexion des tout-petits à la nature, une première à Paris.
  • Alternative au béton, le jardin se réinvente

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    La bibliothèque Václav Havel propose depuis quelques mois une bouturothèque. On peut y troquer les pousses de ses plantes favorites. Une amenée, une (...)
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    Une drôle de construction a poussé cet été, toute de terre, d’argile et de paille, à côté de la mini-ferme.
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    La Sierra Prod a animé tout l’été la friche Clignan’cool. Le site fermera bientôt mais l’association poursuit son engagement dans la mise en place d’un nouveau tiers-lieu dans le quartier.
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    Halaye, une association à l’aide des naufragés du numérique

    Stéphane Bardinet
    Pour lutter contre l’illectronisme, l’association Halaye propose des formations aux personnes les plus éloignées des nouvelles technologies. Une démarche de proximité soutenue par Pôle emploi et les bailleurs sociaux.
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    Hélène Tavera, les saveurs en partage

    Jean Cittone
    Membre du collectif 4C, Hélène Tavera est une amoureuse de la bonne nourriture et de la Goutte d’Or. Pour cette habitante du quartier, engagement et alimentation vont irrémédiablement de pair.