Dans une Goutte d’Or connue pour ses populations africaines et maghrébines vit un spécialiste de l’Amérique latine. Rencontre (presque) au sommet, rue de Panama.
Maurice Lemoine descend quatre étages à pied pour accueillir ses visiteurs car l’interphone ne fonctionne plus. « Je suis un peu négligent, j’aurais dû demander qu’on le répare, je crois qu’il n’y a que moi qui ai un problème avec cet appareil », confie-t-il. « C’est un peu gênant quand je reçois des amis. » Son appartement est tapissé de livres et de boîtes à archives. Le journaliste habite la Goutte d’Or depuis trente-cinq ans. « J’ai débarqué ici alors que j’étais pigiste, se souvient-il, c’était le seul endroit où l’on trouvait des appartements pas chers. »
L’appel du voyage
L’homme dit s’être tourné vers ce métier par hasard. Il a grandi entouré de livres – il suffit de franchir le seuil de son appartement pour constater qu’il l’est toujours – et est titulaire d’un CAP de typographe. Écrire ne lui est donc pas totalement tombé du ciel. « Je voulais voyager. L’Asie, en particulier le Vietnam et le Cambodge, m’intriguait. Mais mon premier séjour s’est fait en Laponie finlandaise. » À l’époque, en 1973, voyager n’était pas aussi facile qu’aujourd’hui. Le périple vaut bien un récit et Maurice, pas encore trentenaire, frappe à la porte de la revue Sciences et Voyages. « Le rédac’ chef a apprécié ce que j’avais écrit et m’a encouragé à continuer. Il m’a même proposé un billet d’avion pour un reportage au Mexique. » Mais la publication met la clé sous la porte quelques jours avant son départ. « Ça m’a mis la rage, se rappelle-t-il. Alors j’ai bossé pour me payer le voyage. Je suis parti sept mois en Amérique latine et en suis tombé amoureux. J’avais déjà vécu un an au Gabon, comme Volontaire du Progrès, mais je n’avais pas compris le pays. Alors que là-bas j’ai très vite trouvé mes repères. »
Le reportage, c’est la vie
Quarante-cinq ans de carrière plus tard, Maurice Lemoine compte parmi les plus grands connaisseurs de l’Amérique latine, notamment du Vénézuela et de la Colombie. Après une longue période de « galère à la pige », il passe trois années à la tête de La Chronique (le mensuel d’Amnesty International France) et six au Monde diplomatique, dont il devient rédacteur en chef en 2010, sans compter un détour par la radio comme producteur des Nuits magnétiques, sur France Culture. « Mais la condition, c’était que je puisse continuer à faire du terrain. Au Diplo, j’avais négocié trois reportages par an. On n’est pas journaliste si on ne met pas les mains dans le cambouis. » Pour lui, le reportage c’est la vraie vie, un désir qui l’anime toujours, à 75 ans. Maurice continue d’écrire, notamment pour le site web Mémoire des luttes, vient de sortir un roman aux caustiques accents « san antoniens » (Tout est bien qui finit mal, aux éditions Vérone) et produit des ouvrages sur l’actualité politique en Amérique latine. « Il va toujours chercher sur le terrain, vérifier, creuser », observe Anne-Cécile Robert, journaliste et chercheuse, qui a travaillé avec lui au Monde diplomatique. « Ce n’est plus si courant dans ce métier. »
Photo : Thierry Nectoux