Laëtitia Angot, 44 ans, c’est de nombreuses histoires à combiner et à raconter ensemble. Des histoires de rencontres, de gestes, d’insatiabilité à apprendre les rythmes et mouvances des autres et de les partager en actes de mémoire chorégraphiés. C’est la question de l’espace qui l’a poussée à rechercher, à innover et à développer des méthodes et des pratiques nouvelles. Chercheuse aux côtés de chercheurs en vie urbaine, elle est mue par le travail avec les personnes.
Née au bord de l’Océan, Laëtitia grandit entre activités extra-scolaires et exploration de la nature en solitaire. Ses grands-parents sont pâtissiers et quincailliers, sa professeure de danse classique vend à la haute saison des chichis sur la plage.
La danse, enjeu social
Arrivée à 18 ans à Paris, elle s’inscrit en cinéma à Paris 8. Après sa licence, elle étudie le théâtre, l’art du geste et le travail avec les masques, le clown, la danse et la chorégraphie. Elle collabore avec différents artistes reconnus. En parallèle, elle s’immerge dans la musique de rue et l’effervescence sociale et créative des squats. De nombreuses rencontres la marquent et sont déterminantes dans l’approche de son futur travail. Avec la danseuse et chorégraphe Yumi Fujitani, elle envisage une transposition « occidentalo-signifiante » du butō (art japonais mêlant danse et théâtre), tandis qu’avec des clowns et acrobates elle fonde, en 2011, l’association L’Intestine qui propose des pièces sans texte fondées sur la chorégraphie et le burlesque.
Elle se produit également en solo et rencontre à Marseille Zoé Hagel, enseignante-chercheuse en urbanisme et aménagement de l’espace. Au gré de leurs échanges, les deux filles se posent la même question, chacune dans leur domaine respectif : qu’est-ce qu’habiter ? Elles constatent une rigidité du maillage social dans l’utilisation de l’espace et l’accès à la création et cherchent comment codévelopper des actions portant la voix des habitants dans l’espace public construit.
En 2012, lors d’une collaboration avec des ateliers d’alphabétisation à Belfort, Laëtitia Angot mesure l’enjeu social que constitue la danse pour faire participer les couches sociales les plus en difficulté ou en butte à des discriminations à des activités auxquelles elles n’ont pas accès.
L’acte de faire société
Zoé Hagel rejoint Laëtitia à Paris. Ensemble, elles font des « arpentages communs », des temps pendant lesquels elles observent et ressentent leur environnement et qui alimentent leurs projets respectifs. Dans le champ de ces réflexions, Laëtitia répond à un appel à communication de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) qui débouche sur la création, en 2015, des Laboratoires d’action artistique et créations chorégraphiques (LAACC) d’où découle la Permanence chorégraphique de La Chapelle.
Initialement lancée au 93 Chapelle, cette dernière prend ensuite ses quartiers à la Maison Queneau et propose des exercices de danse où chacun est invité à faire à partir de ce qu’il est. Zoé dit de l’art de Laëtitia qu’il est « très émancipateur » et Marylène, une danseuse, précise : « Nous travaillons le geste, le mouvement, la lenteur, la rapidité. Laëtitia donne une indication, quelqu’un commence un mouvement, les autres suivent. Tout part de chacun. » Outre la dimension artistique, Laëtitia place au cœur de ces séances l’acte de faire société.
Mille danses en don
En 2018, Laëtitia est appelée, avec d’autres artistes, par Sébastien Thiéry (docteur en sciences politiques, co-fondateur du PEROU) à une réflexion autour du thème Embellir Paris : « Embellir des lieux dont la beauté n’est pas répertoriée et aussi créer, dévoiler, amplifier celle de ce qui est là. » C’est naturellement qu’elle se tourne vers les P’tits Dej’s solidaires, aux Jardins d’Éole. Elle y propose, comme le dit Sébastien, « de faire retentir la beauté de ce qui s’y passe et célébrer au milieu du désastre ce qui n’est pas du désastre : les Gestes pérennes ».
Animées par les volontaires de la Permanence chorégraphique et les personnes rassemblées sur place – les passants, toutes celles et ceux qui le souhaitent –, une danse, mille danses se créent, se forment et se défont dans la joie et le partage de nouveaux pas, « un don dont la beauté n’est pas recensée ». Un rituel, toujours recommencé, deux matins par mois depuis 2019.
Pour Sébastien, Laëtitia conjugue les verbes d’action comme « rencontrer, réjouir, bâtir », tandis que Marylène précise qu’elle « autorise les migrants des P’tits Déj’s à venir avec leurs danses traditionnelles, leur vécu » et que c’est « l’écrit qui est raconté, qui se traduit en mouvement ». Quant à Anna-Louise, une bénévole, elle dit ne plus se souvenir précisément de l’arrivée de Laëtitia aux P’tits Dej’s « tellement sa manière de faire, de nous convier dans la danse, dans l’échange, dans l’écoute de l’autre correspond et reprend ce qui fait la force de ce rendez-vous quotidien depuis peut-être six ans ».
Porter la danse aux réfugiés
À présent, c’est Chloé Kazemzadegan qui s’occupe de la Permanence à la Maison Queneau. Le collectif, groupe hétérogène fort de plus de 150 danseuses et danseurs, « se déploie tout le temps différemment, nous dit Chloé, adore danser à l’extérieur et se produit régulièrement » . Vous les avez certainement déjà croisés lors d’événements locaux au Village d’hiver à Chapelle International en février, chaque mois à la Bonne Tambouille, place Mac Orlan, et bien sûr aux P’tits Dej’s.
Malgré de multiples collaborations (Forum des dynamiques culturelles du territoire au 104 avec des rappeurs du collège Charles Hermite, carnaval Ô les masques à La Chapelle, librairie le Rideau rouge où il est possible de prendre rendez-vous et expérimenter avec elle son projet-recherche La Chambre flottante), malgré sa participation à des séminaires (sur le geste ordinaire à l’institut Acte avec Panthéon-Sorbonne ou sur les mouvements engagés avec le 104 dans le cadre du spectacle A.I.M.E.), malgré son rôle de directrice artistique… Laëtitia parvient à maintenir un réel lien humain avec toutes et tous. Elle rêve de porter la danse aux personnes réfugiées dans des camps sur les frontières, afin de rendre tangible le lien qui nous unit tous au-delà des limites créées par les structures physiques des sociétés occidentales.