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novembre 2022 / Le dossier du mois

Camaïeu : le magasin de la rue Ordener entraîné dans le naufrage

par Dominique Andreani

Stupeur et inquiétude après le sabordage d’une grande marque de prêt-à-porter toujours à la recherche de profits plus importants, au mépris des salariés et de leurs familles.

La responsable du magasin Camaïeu, rue Ordener, est sortie les yeux rougis par les larmes. La boutique a fermé ses portes définitivement samedi 1er octobre. Le même sentiment de tristesse animait les autres employées, doublé d’une certaine sidération. Sidération, parce que cette chaîne de magasins de proximité est leader sur son marché. « Ça marchait bien, au moins 150 personnes par jour », explique Bahija*, conseillère diplômée en prêt-à-porter.

Incompréhension aussi parce qu’on « ne s’attendait pas à ce qu’elle ferme. On croyait que le PDG allait mettre des fonds », ajoute-t-elle. Et surtout, pas si vite : « Il y a deux semaines on a appris que la boîte passait en justice et comme tout le monde, il y a trois jours, que notre boutique fermait. Même pas le temps de se retourner. On part du jour au lendemain. On ne sait pas où on va aller. On nous a juste envoyé une liste d’autres magasins de prêt-à-porter. » Comme les 2 600 autres employés (5 000 avec les emplois induits), Bahija se retrouve au chômage. « Je vais me réveiller lundi et… », elle ne peut finir sa phrase. Pas sûr qu’elle puisse percevoir une indemnité car elle n’a été embauchée qu’il y a six mois en CDI. Sa collègue, elle en CDD, ne touchera rien.

Coup de poker

Les raisons d’une telle catastrophe sont multiples. La direction, dont le siège est à Roubaix, pointe l’impact de différentes crises (sanitaire, cyber­attaque...) et un changement de mode de consommation (vente en ligne et achats de seconde main).

Mais tous les syndicats (CFDT, CGT, FO) soulignent la responsabilité de la direction dans cette grande saignée. L’homme d’affaires bordelais, Michel Ohayon, à la tête aussi de 800 magasins dont Gap, Go sport, La Grande Récré et des franchises Lafayette, vient tout de même d’acquérir le café Legal en mars 2022. Pour la CFDT, il aurait sciemment creusé la dette de Camaïeu par « un coup de poker » en décidant par exemple de ne pas payer les loyers en raison du Covid. N’ayant « aucun plan de financement » à la hauteur des enjeux, en septembre il ne pouvait plus payer les salaires.

Il existe également un soupçon de transfert de fonds entre Camaïeu et les autres sociétés du groupe, avec peut-être une faillite organisée. « Une boîte de cette ampleur ne peut pas fermer comme ça » affirme Elodie Ferrier, secrétaire fédérale de la CGT commerce. « En deux ans, il a coulé la boîte. »

Exiger formations et reclassements

Cette situation sent le réchauffé. En 2020 déjà, après un précédent redressement judiciaire, le rachat de Camaïeu par Michel Ohayon s’était fait au prix de 120 fermetures et 500 licenciements. Comme les autres magasins, celui de la rue Ordener s’est retrouvé en sous-effectif, deux salariées faisant le travail de quatre. Animée d’une grande conscience professionnelle, Bahija aime beaucoup son travail. « Parfois je ne prenais même pas de pause. Je ne pouvais pas laisser les clientes. Pour moi, Camaïeu nous a tuées. »

Rue Ordener, elle et sa collègue ont terminé tard dans la soirée, après une journée éreintante. Les trois derniers jours de vente devaient abonder le budget des indemnités supplémentaires à verser aux salariés licenciés. Elodie Ferrier, doute que « le personnel touche l’intégralité des sommes gagnées ce jour-là ». De fait, les mandataires judiciaires ont décidé de ne verser que la moitié de cette recette, 2,2 millions, le reste devant être utilisé pour le plan social, dont les mesures d’accompagnement. « Un chèque n’assure pas un emploi ensuite », ajoute Elodie Ferrier. Il s’agit que « tous les moyens soient mis pour assurer une formation et reclasser l’ensemble des employés dans d’autres magasins du groupe ». Et redonner le sourire à Bahija et ses collègues.

Photo : Sandra Mignot

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