Les mots de la pandémie nous touchent autant qu’ils bouleversent la société. Suite des réflexions engagées dans notre numéro 282.
Afrique : toujours promise à la catastrophe. Jamais créditée de sa propre légitimité sanitaire (HIV, Ebola). Devait être submergée sinon emportée par la vague covidienne. Ne l’a pas été. Inspire respect et modestie.
ARS (Agences régionales de santé) : chaussures de plomb, là où il aurait fallu des paires de baskets ou des espadrilles.
Beau geste : l’œuvre en noir et blanc offerte par le street artiste anglais Banksy à l’hôpital de Southampton et représentant un enfant à genou agitant d’une main triomphale une poupée-nurse masquée tandis que son Batman et son Spiderman gisent dans une poubelle. L’œuvre s’appelle Game changer (Changer la donne).
Biens communs : le vaccin ouvrira-t-il la voie ?
BoJo alias Boris Johnson : politicien habile et paresseux. Covido-sceptique notoire. Nonobstant rescapé in extremis du Covid–19. La bonne volonté des Britanniques à l’égard de sa gestion erratique de la pandémie force l’admiration de la presse anglo-saxonne. N’est pas Churchill qui veut.
Brutalité : syndrome autoritaire polymorphe récurrent (SAPR) associé à la gestion politique du coronavirus. S’est épanouie un peu partout à la surface du globe à coups d’états d’urgence à durée variable, de restrictions en tout genre, de violences policières, de surveillance numérique, d’expulsions massives, etc. Fait craindre pour la suite. Difficilement curable.
Cabane (complexe de la) : on est si bien chez soi. Sonne plus joliment en anglais : cabin fever. Ne concerne ni les enfants maltraités ni les femmes battues ni les familles nombreuses ni les mal-logés ni les adolescents de Bobigny ou de Saint-Denis ni les travailleurs de l’économie informelle ni la très grande majorité des invisibles (liste à compléter).
Chloroquine : élixir de jouvence pour chefs d’État mégalomaniaques et leurs imitateurs. Fait partie du package populiste.
Colèravirus : collage harmonieux de lettres de couleurs sur un mur de la rue d’Aubervilliers.
Compassion : n’a pas été aimée autant qu’elle aurait dû l’être. Comme un trou de mémoire dans les discours politiques internationaux.
Déconfinement : moins pire qu’attendu. Ne pas s’en plaindre.
Dégâts collatéraux : dans son livre L’Etrange défaite (1946) consacré à la bataille de France de 1940, l’historien français Marc Bloch écrit notamment : « Beaucoup d’erreurs diverses, dont les effets s’accumulèrent, ont mené nos armées au désastre. Une grande carence, cependant, les domine toutes. Nos chefs ou ceux qui agissaient en leur nom n’ont pas su penser cette guerre. En d’autres termes, le triomphe des Allemands fut, essentiellement, une victoire intellectuelle et c’est peut-être là ce qu’il y a eu en lui de plus grave. » A méditer pour la suite.
Deuil de masse : la mort covidienne ne se chante pas ni ne se pleure. Elle n’a pas de corps. Elle n’est qu’un nombre qui ne sent rien. Restera comme un des impensés de la pandémie.
Essentiels : on connaissait l’essentiel de Saint Exupéry, présumé invisible pour les yeux. Se dit maintenant de certains métiers peu qualifiés, mal payés et jugés jusque-là d’intérêt mineur. S’oppose aux métiers non essentiels tenus auparavant par les premiers de cordée et autres startupers. Ne pas en tirer de conclusions hâtivement optimistes.
Eté apprenant : vient après le confinement cultivé des populations adultes, indissociable des pratiques sportives intensives en appartement. Vise à étancher l’appétit culturel insatiable des enfants et des adolescents. Permet d’occuper les artistes en été et de prévenir la peur du vide chez les plus fragiles d’entre eux. Compulsion technocratique.
Famine : pour faire savoir qu’ils ont faim, les Colombiens accrochent un chiffon rouge à leur porte ou à leur fenêtre.
Femmes : n’ont pas été moins battues durant le confinement.
Hécatombe : sacrifice d’un grand nombre de bœufs chez les Grecs. Destruction par accident ou par décision d’un grand nombre de personnes. S’applique à la surmortalité des personnes âgées du fait du Covid-19. Etait-il fatal ou nécessaire d’en arriver là ? Du travail à venir pour les écrivains et les philosophes.
Jour d’après : nous voilà désormais dans un monde dont nous ne savons à peu près rien. Ça nous fait quoi ?
Mort civile : procédure d’exception mise en place au Pérou et s’appliquant aux personnes ne respectant pas le confinement.
Peuples : rarement aimés par les gouvernants. Ont pourtant fait et continuent de faire leur part du travail. Devront sans doute attendre d’autres printemps pour être payés en retour.
Philippe (Edouard) : Premier ministre français. A fait des progrès notoires.
Piccoli (Michel) : ou Le Mépris de Jean-Luc Godard. Remember. 1963, île de Capri, villa Malaparte, Brigitte Bardot, « Et mes fesses, tu les aimes mes fesses ? » Un couple se sépare.
Ploutocratie : entre le 18 mars et le 19 mai, selon une étude présentée par le magazine Forbes (21 mai), la fortune des 600 plus riches américains a augmenté de 15 %, soit de 434 milliards de dollars, celle de Jeff Bezos (Amazon), de 30 %, celle de Mark Zuckerberg (Facebook), de 46 %.
Printemps des bad boys : ou comment nombre de chefs d’Etat mâles, voyous cravatés, tyranneaux apprentis ou confirmés, monstres froids ou hypnotiseurs déchaînés, ont trouvé avec le coronavirus de quoi s’ébrouer dans le marigot nationaliste. En vrac l’américain, le philippin, l’indien, le russe, le chinois, l’israélien, le turc, le hongrois, le brésilien… Y voit-on une seule femme ? Non.
Regard avec masque : lui manque la bouche.
Virus : mini-série sénégalaise de Mustapha Kanté tournée en wolof à partir de situations réelles et à des fins préventives. Diffusée tous les soirs sur ITV et sur Internet.
Vulnérabilité : si l’on devait n’en garder qu’un seul, ce serait ce mot-là. Vulnérables, nous sommes, vulnérable la planète.
9-3 : département de la Petite couronne. Le plus pauvre de tous. Toujours regardé de travers. Jamais assez civique. Trois fois plus verbalisé que n’importe quel autre département de France entre le 17 mars et le 25 avril. Les pauvres ont toujours tort.
Illustration Séverine Bourguignon