Le confinement a généré pour les habitants du 18e des pertes de revenus difficilement chiffrables à ce jour, mais qui se traduisent par un recours important à la solidarité institutionnelle, associative ou populaire. Pour ces nouveaux demandeurs, l’avenir semble incertain. La deuxième vague de cette crise sanitaire, pourrait bien être sociale.
Un bond de 55 % des demandeurs auprès des Restos du cœur, 20 à 30 % de plus au libre-service du Secours populaire, rue Montcalm et 60 % de bénéficiaires en plus au Centre d’action sociale de la Ville de Paris (CASVP). Les chiffres sont éloquents, mais selon certains acteurs du travail social, on n’aurait encore rien vu. « La crise n’a pas encore montré tous ses effets, observe Nadia Khalfet, directrice du CASVP 18. Cela risque d’être plus sévère quand le maintien en activité partielle sera levé ou que les licenciements commenceront – car ça va forcément arriver et cela risque de durer plusieurs mois avant que les entreprises réembauchent. »
La plupart des institutions et associations de l’arrondissement engagées dans l’aide sociale et le secours alimentaire ont constaté l’arrivée de nouveaux usagers. Du côté des Restos du cœur, le responsable François Coadour a du mal à dessiner un profil type : il faut dire que l’association a renoncé aux formalités administratives habituelles exigées pour les nouvelles inscriptions. « Plus d’attestation de revenus, ni de domicile. On essaie simplement de resserrer sur l’arrondissement et d’orienter ceux qui ne sont pas du quartier vers d’autres centres, pour ne pas être débordés. Mais on ne refuse personne. » Il tente néanmoins une description : des employés à temps partiel ou en intérim, des gens payés à la tâche et/ou non déclarés, ceux qui travaillaient dans de petits commerces de Barbès ou sur les marchés.
Des personnes qui étaient « sur le fil »
La crise a précipité brutalement tous ces travailleurs fragiles et leur famille dans la misère. « Ce qui m’a frappé, c’est la brutalité avec laquelle ils sont tombés, poursuit François Coadour. Les premières semaines, ils se sont débrouillés pour survivre mais au bout d’un mois ils ne pouvaient plus tenir. »
A l’antenne Montcalm du Secours populaire, qui a aligné des chaises bien espacées dans la rue devant son centre de distribution afin que les personnes patientent un peu plus confortablement, Martin Van Der Hauwaert, estime avoir pu aider plus de 10 000 personnes durant le confinement. Comme aux Restos du cœur, il a reçu de nombreuses « personnes qui étaient sur le fil, avaient un petit travail ou faisaient des ménages, bossaient dans les cantines, étaient coursiers ou chauffeurs Uber et qui ont perdu leur revenu du jour au lendemain ». Même son de cloche enfin dans les églises, qui ont accueilli nombre d’associations, actives tous les jours pour fournir une aide alimentaire. « Des indépendants, des personnes en fin de droits, des employés de la restauration (qui en plus de leur salaire ont perdu un repas quotidien et les pourboires). C’étaient des gens qu’on ne voyait pas avant », résume Varie Thermaux, bénévole à l’église Notre-Dame-de-Clignancourt. Sur les 110 à 130 personnes reçues quotidiennement, un tiers étaient nouvelles.
Après l’urgence alimentaire, auquel l’arrondissement a pu répondre par l’intermédiaire des institutions et des initiatives citoyennes (telle que les repas fournis durant près de 70 jours par La Table ouverte), d’autres besoins s’annoncent déjà. Au CASVP 18, on s’attend aux impayés notamment en matière d’énergie. « Les coupures ont été suspendues jusqu’à fin mai, précise Nadia Khalfet. Ensuite on ne sait pas ce qui va se passer. » Les dettes de loyers ne vont pas tarder à émerger (lire page 3). Car même si certains bailleurs sociaux ont décalé certaines charges, aucun n’a envisagé l’annulation du loyer. Seuls les Petits Frères des pauvres se sont organisés avec les propriétaires des hôtels dans lesquels certains de leurs usagers sont hébergés pour que ceux-ci n’aient pas à verser la participation généralement demandée.
A partir de juin, certains soutiens liés à ce premier temps de la crise risquent de disparaître. Sauf nouvelle décision, les repas fournis au 70 boulevard Barbès doivent s’arrêter le 7 juin. Et les permanences des associations pourrait diminuer, à l’image de Naïm Pain partagé dont les bénévoles ne seront plus présents que deux jours par semaine à Notre-Dame de Clignancourt. Alors que les « travailleurs instables », eux, risquent de rester longtemps sur le carreau. « On n’est pas près de les voir partir, note François Coadour. Comme dans tous les chocs économiques. En 2008, le nombre de bénéficiaires des Restos avait augmenté de 20 %. Et on les a gardés, après. »
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photo : Thierry Nectoux