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février 2022 / Les Gens

Le duo inséparable de la Halle Saint-Pierre

par Dominique Boutel

Rencontre avec Laurence Maidenbaum et Pascal Hecker, les deux fondateurs de la librairie du musée d’art brut et d’art singulier.

Quand on pose une question, les deux répondent et manifestement, cela dure depuis un moment ! « Pascal, aide-moi ! », « Laurence , aide-moi ! » Chacun finit la phrase de l’autre, « on se complète ! » Rien ne les prédestinait au destin qui a été le leur : Pascal, né place de La Chapelle et fréquentant l’école de la rue de la Madone en face du square, ne pensait pas qu’il reviendrait s’ancrer professionnellement dans le 18e et y créer une librairie. « Mes grands-parents maternels venaient du Nord, donc gare du Nord. C’est comme pour les Bretons à la gare Montparnasse, ils posaient là leurs valises et gardaient un lien avec leurs origines. » Quant à Laurence, elle n’avait pas idée, dans le 15e arrondissement de Paris où elle a grandi, que le hasard la conduirait à se passionner pour l’art brut !

Hasard de parcours

Pourtant, lorsqu’on les interroge sur leurs souvenirs d’enfance, tous les deux mentionnent les livres. Pascal parle de la vieille marchande de journaux de la place de Torcy où il trouvait les BD de sa jeunesse. Laurence évoque une maladie qui a duré et qui l’a conduite à se mettre toute jeune à la lecture.

Munis, l’une de diplômes en littérature et langues, l’autre en psychologie, ils répondent à une annonce et pénètrent dans ce lieu qu’ils adorent toujours, trente-six ans plus tard : la Halle Saint-Pierre. « Quand Pascal et moi, on est arrivés ici, il n’y avait pas de formations de libraire. Comme on était tous les deux des lecteurs, et qu’on avait des connaissances par ailleurs, on a été embauchés. » C’était en 1986. A l’époque, le musée d’art naïf, à l’étage, est une culture de niche qui concerne quelques passionnés et le musée en herbe, au sous-sol, est un lieu d’expérimentation. « La librairie n’existait pas, ni la cafétéria, il y avait des rayonnages vides…  » à eux de les remplir !

Liberté

Laurence se souvient : « On a commencé avec l’art naïf, il n’existait pas grand-chose, à part les publications du conservateur, M. Fourny ; mais il y avait le musée en herbe avec des expositions qui changeaient et ça, c’était beaucoup plus stimulant. La première, ça a été… » « L’architecture fantastique, enchaîne Pascal, d’une même voix, le prélude à ce qui allait devenir le musée et la librairie. Il y avait la maquette du palais du Facteur Cheval, la maison Picassiette, ces marges que le musée a explorées ensuite. On a développé ce qui existait autour de l’art naïf. On a rencontré beaucoup de gens et c’est à partir d’eux, que se sont élaborées beaucoup de choses. On a peu à peu été cooptés, on a connu l’arrière-garde, on a tissé des liens avec un monde à l’époque un peu souterrain, mais passionné. Tu te rappelles ? On a constitué un fond autour de l’art naïf en le mettant en réseau. » « Comme du crochet !, continue Laurence. On était jeunes, on n’y connaissait rien. On a eu la chance inouïe de créer quelque chose dans une liberté complète. On a pu introduire les auteurs qu’on aimait, les genres et les sujets qui nous intéressaient, ce qui a donné à cette librairie un ton et une couleur singuliers. Et en plus, on s’est entendus ! Et ça, c’était pas évident ! » [sourire].

C’est ainsi qu’a commencé leur aventure, faite de curiosité, d’engueulades parfois, d’élans, de rencontres toutes plus passionnantes les unes que les autres qui peu à peu ont conduit le lieu vers sa vocation actuelle, le Musée d’art brut de la Ville de Paris, un art qui n’était pas encore à la mode lors de la première exposition qui a pourtant fait un tabac.

Curiosité, envie et inventions

La mode, de toutes les façons n’intéresse pas les deux compères. « Il faut avoir envie de faire les choses, pas parce que tu penses que cela va marcher. Avec les modèles, on s’ennuie, tout est lisse, ce qui est vivant c’est ce qui est imprévisible », dit Laurence ou Pascal, on ne sait plus « Je crains que certaines personnes ne comprennent pas notre travail. Ce temps qui s’est écoulé, qui peut paraître long pour certains, c’est une richesse, une construction perpétuelle, d’être sur le front des idées. J’ai peur de l’abandon de cette forme de vie pour une autre. »

Un autre élément a compté pour la librairie : l’existence de l’auditorium. Il a permis aux deux, toujours en quête de liens, d’enrichissements, d’imaginer d’autres entrées dans l’art. Conférences, séances poétiques, spectacles ont ainsi fait écho à la librairie : « C’est une librairie en résonance ; le cœur c’est l’art brut, mais immédiatement après il y a le surréalisme qui est lié à son histoire, l’inconscient car les artistes ont souvent un rapport un peu étrange avec eux-mêmes, la mystique, une des dimensions de l’art brut, la poésie. » Ces rencontres importantes, au fil des années, leur donnent l’occasion d’ouvrir le lieu à des auteurs, d’organiser régulièrement des séminaires avec des spécialistes confirmés ou de jeunes chercheurs, comme ces deux jumeaux, les frères Hoar, nés dans le quartier, qui ont arpenté enfants la Halle et qui offrent un séminaire sur la cybernétique.

Quand ils parlent de ce qu’ils ont réalisé, ils disent « on…  ». Ils donnent aussi le sentiment d’avoir tout lu, en tous cas tout ce que la librairie contient. Leur longue collaboration fait d’eux un « « vieux couple », ce qu’ils ne renient pas, bien au contraire : « Et maintenant, comme on est vieux et comme on perd la mémoire, on compte sur l’autre pour retrouver … » Un duo dont l’harmonie de fond ne s’est jamais démentie. Il n’y a qu’à les écouter tisser ensemble le récit de cette histoire. Laurence a décidé de partir à la retraite en octobre prochain : « Je veux avoir le temps de vivre, je me sens bien et je veux faire une belle croisière tant que je peux. » Pascal continuera, seul, encore un peu : « Je l’appellerai, quand elle sera au milieu de l’océan, pour lui demander une référence ! »

Photo : Dominique Dugay

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