Journal d’informations locales

Le 18e du mois

janvier 2022 / Le dossier du mois

Quitter Paris c’est revivre un peu

par Danielle Fournier

Le temps du confinement a été l’occasion pour certains Parisiens de réfléchir à une nouvelle vie… et de passer à l’acte. Nous avons rencontré, juste avant ou après leur départ, sept d’entre eux, âgés de 28 à 75 ans. Nés à Paris ou non, propriétaires ou locataires, femmes et hommes, en famille, en solo ou en couple, actifs ou retraités, ils habitaient dans le 18e ou à sa frontière et sont partis ailleurs. Un mouvement de fond ?

• 16 mars 2020. Face à l’évidence de l’épidémie de Covid-19, le président Emmanuel Macron décrète le confinement. On assiste alors à un véritable exode : 22 % des Parisiens quittent la région, direction la province. Ils seront hébergés chez des amis, par la famille ou rejoindront leur résidence secondaire.

« Pendant ce temps, on a énormément échangé sur le sujet avec ma compagne, où on vit, ce qu’on fait, et ça nous a aidés à prendre une décision », explique Thibaut qui travaille dans le developpement de logiciels pour le bâtiment et s’est installé avec Clara au cœur de Lyon. Bahia, elle, mère de trois enfants, est partie pour Alès : « Nous avons découvert le travail à distance pendant le confinement et je me suis dit qu’on pourrait vivre plus loin, ou ailleurs, ou autrement. » Ainsi naît l’idée de partir, sans compter que « le confinement a permis la prise de conscience qu’il y a une vie très riche ailleurs », souligne Brigitte, retraitée, qui a choisi de résider avec son mari Hans, dans la Drôme.

La ville soudain insupportable

A cela s’ajoute pour certains le désamour de Paris. « J’étais depuis vingt et un ans dans cet appartement dont j’ai été locataire et depuis peu propriétaire », explique Catherine, institutrice retraitée qui a quitté la rue Riquet pour s’installer en Corrèze sur le plateau de Millevaches. « J’habitais le quartier de Marx Dormoy depuis trente-deux ans. Pourquoi ai-je choisi de vendre et de partir de Paris et du 18e ? C’est pour retrouver (ou trouver) paix et sérénité et on peut dire que les problèmes du quartier contribuent à mon départ. » Même son de cloche chez les plus jeunes : le constat est fait que Paris, c’est difficile à vivre et d’un coup, ça devient insupportable. La rupture se vit même comme une rupture affective. « J’étais amoureux de Paris, j’y suis né, j’y ai mes amis d’adolescent, d’adulte, observe Pascal jeune retraité de l’enseignement désormais installé dans le Couserans en Ariège. Quand je partais un mois l’été le métro me manquait, sa diversité, ses maigres, ses gros, ses fous, le patrimoine y compris populaire. » Noga (la cinquantaine, historienne des idées et philosophe) qui a embarqué toute sa petite famille pour Florence (Italie), approuve : « Moi, j’ai adoré être étudiante à Paris, je suis une enfant de Paris, Londres, New York » C’est aussi ce que résume Bahia : « J’avais perdu l’attachement à Paris. »

Pour des raisons positives ou négatives, désir d’ailleurs ou fuite, l’envie de partir s’impose : « J’ai eu le coup de foudre pour cette région de l’Ariège, pour les gens, les paysages et l’ambiance », raconte Pascal. Noga et sa famille en ont tout simplement eu marre de la ville : « De la pollution, de la densité de population, une ville trop dense, trop intense, mal gérée, sale. C’était dur. Finalement, partir de Paris correspond à la recherche d’un bien-être psychologique et physique. » Parfois, c’est une fois la décision prise que les motivations sautent aux yeux. « Je réalise rétrospectivement toutes les agressions que je subissais, voir les violences dans la rue, les flics, les gens qui pissent dehors », observe Pascal. Tout comme Hans, désormais installé dans la Drôme : « Je suis content d’aller dans un endroit où on respire mieux, où on n’est pas tout le temps en train de se frotter les uns contre les autres. »

Alors, qu’est ce qui a changé ? C’était mieux avant ? « Ce qui a changé à Paris c’est l’ambiance, résume Hans. Avant, c’était super, c’était mélangé, par exemple sur la Butte il y avait un voisinage, des relations. Maintenant ça se parle plus, ça se mélange plus, c’était plus détendu avant et c’est devenu désagréable. » La dégradation de certains quartiers se fait aussi ressentir. « J’ai travaillé trente ans dans le 18e, que j’ai aimé, où j’ai habité, avant que les problèmes du quartier, de la rue Riquet, me le fassent détester », explique Catherine. L’enfer, c’est les autres ? Ou la ville ? Les avis sont partagés. « Je réfléchis : là où je me suis installé, je ne suis plus agressé par la pub, je ne vois plus l’effroyable misère, je ne vois plus des gens désintégrés, ni la pauvreté culturelle et matérielle hurlante des inégalités et j’ai découvert en creux ce que j’avais gagné  », explique Pascal.

Plus d’espace pour moins cher ?

Tous sont d’accord avec Bahia : « Paris c’est très bien pour la vie estudiantine mais quand on a des enfants on a envie d’un jardin, de plus d’espace. » Thibaut, 28 ans, n’a pas d’enfants mais confirme : « Pendant le confinement je faisais au moins deux visios par jour et ma copine aussi. Dans 30 m2 c’est clairement insupportable, d’autant qu’à Paris on a cette vision que l’appartement c’est pour dormir, pas pour y vivre, parce qu’on n’a pas les moyens d’avoir un espace de vie suffisant. Nous, ce n’est pas la ville que nous avons abandonnée, puisque nous nous sommes installés à Lyon, mais on a multiplié par trois la surface de notre appartement avec un vrai bureau et c’est une vie plus calme, moins stressante. » Noga insiste également sur la « « liberté financière retrouvée » grâce à un coût de la vie moindre. Tout comme Catherine : « En fait, après le confinement j’ai loué un chalet sur le plateau de Millevaches pour les vacances. Et pendant ce séjour j’ai découvert une petite maison avec des pommiers et je l’ai achetée car le prix était abordable, 50 000 €. »

Enfin, pour beaucoup, l’envie même de se reconnecter avec la nature, de pouvoir facilement sortir de la ville sont décrits comme un besoin vital. Pour nombre de familles, le souci de donner à leurs enfants « un autre environnement » entraîne même un « exode pédagogique », comme le dit Bahia : « Nous avons déménagé car nous cherchions une école alternative. Nous en avons trouvé une pas trop chère à Alès, qui nous a permis d’allier l’envie de campagne, de plus d’espace, et la possibilité de scolariser nos enfants dans une école Steiner. D’ailleurs, nous avons été surpris, en arrivant, de rencontrer de nombreux parents motivés par la même chose. »

Des rapports sociaux plus humains

Au fond, tous mettent en œuvre le désir de changer de vie, pour lui trouver plus de sens, un changement de cap. « Après avoir séjourné deux mois et demi dans ma petite maison avec les pommiers, explique Catherine, je me suis demandé pourquoi je rentrerais à Paris et la réponse, compte tenu de l’accueil des gens sur place, du village, c’est que j’ai décidé de m’y installer. » Car oui, les Parisiens jugent sévèrement les relations sociales dans la capitale et trouvent les habitants d’autres régions accueillants, sympas, plus faciles. « Ce que j’aime sur le plateau c’est le calme, observe ainsi Catherine. La bienveillance des habitants, retrouver le bon sens et l’équilibre des gens qui s’occupent des autres. »

Alors, autant se passer de Paris, même si, pour certains de ceux qui sont partis, l’animation culturelle de la capitale est parfois regrettée. « Paris c’est se laisser embarquer, il y a toujours des choses à voir ou à faire  », remarque Brigitte. Mais souvent les coûts et le rythme de vie rendent ces loisirs difficilement accessibles. « La vie culturelle, on ne pouvait pas vraiment y accéder à cause du prix » note Thibaut. « Et puis, nous sommes partis pour une petite ville, et c’est très bien », observe Noga. Au final donc, pas de regret, et le plaisir de la découverte : « Ici, on a l’impression que tout est à échelle humaine  » ajoute-t-elle. Et cela ne signifie pas forcément qu’on déteste Paris et le 18e. « J’aime toujours Paris, me promener dans les rues, c’est beau », reconnaît Brigitte. « Parfois les escaliers de la Butte me manquent, les rues de la Goutte d’Or, le marché Saint-Pierre. »

Image : Olga Blomme et Pixabay

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