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janvier 2022 / Les Gens

Profession : fait-diversière

par Annick Amar

Anne-Sophie Martin est une journaliste indépendante, chroniqueuse judiciaire, réalisatrice de télévision et écrivaine.

« Ma seule expérience professionnelle dans le 18e arrondissement remonte à l’époque où je travaillais sur l’affaire du tueur de l’Est parisien, Guy Georges. Il habitait en 1995 à l’hôtel situé au 4 rue Becquerel, pas très loin, d’ailleurs, du jardin d’enfant de mon fils.  » D’emblée, Anne-Sophie Martin, 57 ans, plante le décor.

Normande de naissance, arrivée dans les années 1990 à la Goutte d’Or au hasard d’une petite annonce, elle est depuis vingt-et-un ans une heureuse habitante de l’arrondissement. Anne-Sophie vit aujourd’hui dans un immeuble « genre HLM des années 1970 » de la rue Doudeauville, mais avec une vue imprenable sur Paris, avec sa femme Isabelle, 57 ans, journaliste comme elle. Une de leurs amies communes, Rachel, femme de théâtre de 70 ans domiciliée rue Championnet, se souvient : « Qu’est-ce qu’on a pu se marrer avec Anne-So, toujours la porte grande ouverte pour les autres mais, pour défendre nos intérêts au sein du conseil syndical, une main de fer dans un gant de velours. » Le mariage haut en couleur d’Anne-So et Isabelle s’est déroulé le 7 novembre 2020 à la mairie du 18e en présence de six invités dûment masqués comme l’exigeaient les mesures sanitaires. Jules, leur fils, né par insémination artificielle en 2002 en Belgique, était leur témoin. « C’est lui qui m’a mis la bague au doigt pendant la cérémonie car l’officier de l’état civil pensait qu’il était le marié, il n’avait pas bien saisi qu’il s’agissait d’une union entre deux femmes ! » se souvient Isabelle, encore amusée et émue. Toutes deux adorent le côté cosmopolite et animé de l’arrondissement, ses marchés et en particulier celui de l’Olive. Pour Anne-Sophie, le 18e est avant tout « un lieu tumultueux mais certainement pas le plus dangereux de Paris ». En revanche, celle qui se déplace exclusivement à scooter avoue supporter de moins en moins l’état de saleté de la voierie. Si elle apprécie « le côté perché de l’arrondissement et l’idée de faire une ascension pour aller à Montmartre », il n’en est pas de même du quartier des Abbesses « trop commercial et en perte d’authenticité ». Pendant le confinement, elle admet néanmoins avoir redécouvert la beauté du 18e, magnifiée par le silence. « Têtue et jamais à l’heure », ce sont les principaux défauts d’Anne-So, selon son voisin et ami Eric, responsable commercial. Cependant, il loue sa franchise et surtout sa grande fidélité.

Du sang, de la sueur et des larmes

Elevée dans un milieu social de profs de gauche, Anne-Sophie Martin a toujours voulu devenir journaliste « pour pouvoir raconter le monde dans lequel on est ». Elle intègre le Centre de formation des journalistes (CFJ) en 1987, la section audiovisuelle en première année, la deuxième en presse écrite. Elle en sort diplômée en 1989. Après une année « ambiance saucisson-vin rouge » au Canard enchaîné, où elle a fait ses débuts, elle entre à l’Agence centrale de presse (ACP) où elle rencontre, pour la première fois, l’univers du crime. En 1991, elle devient chroniqueuse judiciaire lors du procès de la diabolique de Nancy, Simone Weber, accusée d’avoir découpé son ex-amant à la meuleuse. Elle adore l’atmosphère captivante de la cour d’assises, où s’entremêlent les passions et les détestations humaines. Elle apprend aussi à mettre en lumière le penchant perpétuel entre magie blanche et/ou magie noire inhérente à chaque être.

« Comment faites-vous pour tenir le coup face à tous ces crimes ? » C’est la question que lui posent souvent ceux qui ne comprennent pas sa passion pour les affaires criminelles. Anne-Sophie reconnaît qu’à première vue un fait-divers c’est moche, ça sent le sang, la sueur et les larmes. Mais « c’est comme le chirurgien qui taille de la barbaque tous les jours. Cela a un côté gore et, en même temps, son travail sauve des vies, c’est fantastique ! » Ce qu’Anne-Sophie aime, c’est l’analyse intellectuelle du crime, saisir et transmettre la complexité infinie des histoires : « Un fait-divers c’est comme un oignon, on le pèle et on découvre encore une autre couche, c’est sans fin et cela dépasse souvent la fiction ! » » Pour elle, on n’est ni victime ni criminel par hasard. Les tueurs, souvent animés d’un sentiment de surpuissance, savent déceler les fragilités d’un individu et c’est la raison pour laquelle ils choisissent de l’attaquer ou de l’éliminer. Elle ne parvient pas à déshumaniser les meurtriers car pour elle les monstres n’existent pas, mais la journaliste reconnaît qu’une enfance ou une éducation difficile n’excuse pas tout.

Isabelle n’est pas du tout effrayée par la passion communicative de son épouse. D’ailleurs, Anne-Sophie, réalisatrice pour la télévision depuis de nombreuses années
(notamment pour 13 h 15 le dimanche sur France 2), n’a pas hésité à intégrer leur fils dans certains documentaires. « On le voit dans des scènes en tant que figurant, de loin ou de dos, jouant un policier ou maniant un couteau Opinel ou de fausses armes. » Pas du tout traumatisé, Jules, bac pro photographie en poche, a choisi d’intégrer une école audiovisuelle pour devenir chef opérateur. Il a effectué toute sa scolarité dans le 18e, de la crèche israélite de Montmartre, « ouverte à toutes les confessions », au collège Yvonne Le Tac.

Accepter la réalité

De tous les ouvrages qu’Anne-Sophie Martin a écrits, c’est Le Disparu – sur l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès – qui lui a procuré le plus de plaisir, car il lui a permis de développer des potentialités rédactionnelles insoupçonnées. Pour France 2, elle prépare une série sur l’affaire Omar Raddad (la fameuse inscription en lettres de sang : « Omar m’a tuer » [sic]) et assistera, en janvier 2022, au procès du meurtre de la petite Maëlys pour un documentaire sur Nordahl Lelandais. Enfin, Anne-Sophie s’oppose à ceux qui veulent soit utiliser les faits-divers pour expliquer les grands maux de la société, car « il ne s’agit que d’évènements singuliers », soit les réduire à des affaires de chiens écrasés ou de caniveau. S’intéresser aux faits-divers, « c’est accepter la réalité, accepter que la mort et l’imprévu fassent partie de la vie ! »

Photo : Thierry Nectoux

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