Jean-Louis plonge très tôt dans l’univers du rock et utilise son Semflex pour immortaliser ses contemporains se produisant sur scène. Soixante ans plus tard, à la tête de la photothèque Rancurel, il est chaque jour sollicité pour ses précieux clichés.
Jean-Louis naît en plein baby-boom rue Coustou. Son père tire le portrait des gens du quartier et s’essaie même à la photo aérienne. Peu intéressé par l’école, il ne chante pas, ne joue d’aucun instrument. Alors l’adolescent devient apprenti photographe. La journée chez un patron, le soir à l’école de Vaugirard. De nature casanière, il apprécie le travail de laboratoire et l’archivage.
Comme les teen-agers de l’époque il est saisi par la fièvre du rock. Surmontant sa timidité, il s’introduit dans les music-halls par l’entrée des artistes. On laisse entrer ce jeune homme sage muni d’un appareil photo. L’objet est à la fois son bouclier et son sésame. Son but : shooter les nouveaux groupes qui laissent indifférente la presse pour adultes. Sauf lorsque des « blousons noirs » provoquent des bagarres et cassent les fauteuils. Au Concert Pacra la vedette est Fernand Raynaud, mais l’adolescent (vite surnommé Pellicule) n’a d’yeux que pour Vic Laurens et ses Vautours.
La légende du Golf Drouot
Le débutant essaie de placer ses clichés dans la presse télé. Sans grand succès. Lorsqu’un natif de Nancy, Jean-Claude Berthon, lance le premier magazine musical pour la jeunesse : Disco Revue. Un an avant Salut les copains. Ce précurseur publie les photos signées Rancurel souvent prises au Golf Drouot. Notamment lors des fameux tremplins du vendredi dont Long Chris sera le premier vainqueur. C’est au Golf que le jeune homme rencontre Albert Raisner qui enregistrera bientôt « Âge tendre et tête de bois » au Moulin de la Galette.
Jean-Louis Rancurel est associé aux yéyés. Certes il a souvent photographié le brelan majeur du rock français : Johnny Hallyday, Eddy Mitchell et Dick Rivers. Il sympathise avec le Niçois de la rue Caulaincourt qui lui confie l’illustration des pochettes et des livrets de ses disques. Même chose pour Monty, un peu oublié – à l’exception de son hymne à la gloire des Verts de Saint Etienne. Rancurel a aussi un faible pour la blonde Sylvie Vartan. Pourtant son goût le porte vers les bluesmen (Otis Redding) et les groupes british (Troggs, Yardbirds, Small Faces). Les batteurs l’impressionnent autant que les chanteurs. N’aimant pas l’avion, il traverse la Manche mais pas l’Atlantique.
Que de belles rencontres !
Le photographe situe en 1966 le moment où il devient un vrai pro. Il a trouvé sa voie en privilégiant les prises de vue d’artistes sur scène. Tandis que ses confrères préfèrent les coulisses ou la vie privée des vedettes. En conservateur jaloux, Jean-Louis a l’intuition de garder précieusement ces images d’idoles éternelles ou éphémères. L’embryon de l’actuelle photothèque Rancurel de la rue des Martyrs. On a besoin de ses photos pour illustrer un article ou un livre, figurer dans une exposition, un documentaire ou une campagne publicitaire.
Dans les années 1970, la candeur disparaît. Les nouveaux chanteurs (David Bowie, Freddie Mercury) ont un univers plus complexe. Rock&Folk ou Best séduisent une clientèle plus éduquée. Jean-Louis Rancurel assure les pochettes et les books des artistes de la maison de disques Trema, créée par le Montmartrois Jacques Revaux. Il profite du bazar régnant dans les archives photo des journaux (à l’exception notable de Paris-Match) pour les dépanner. Avec le temps, les photographes ne peuvent plus se promener à leur guise dans la salle, ils sont souvent cantonnés à la fosse. Après son premier concert à Bercy, en 1990, Jean-Louis Rancurel jette l’éponge.
Une aussi longue carrière est ponctuée de rencontres déterminantes : Jimi Hendrix, Alain Bashung ou Michel Jonasz, alors pianiste de Vigon. La photothèque Rancurel gère aussi le fonds de quelques confrères et amis : Bob Lampard, Patrick Bertrand, Roger Kasparian. Des institutions culturelles l’appellent : le musée de l’Histoire de l’immigration pour l’exposition « Paris-Londres », le MuPop (musée français des musiques populaires) de Montluçon.
Jean-Louis Rancurel participe à des conventions du disque, des réunions de fan-clubs (principalement de Johnny Hallyday dont il a pris des centaines de clichés) et même à des vide-greniers. D’ailleurs, le prochain se tiendra rue Caulaincourt à la fin du mois. Une occasion pour chacun de le rencontrer et de feuilleter des albums-photos en égrenant ses « souvenirs, souvenirs ».
Photo : Jean-Louis Rancurel