Journal d’informations locales

Le 18e du mois

octobre 2022 / La vie du 18e

Territoire zéro chômeur, ça démarre !

par Noël Bouttier

Inspiré d’une initiative d’ATD Quart monde – affecter l’ensemble des coûts du chômage au financement de l’emploi –, le dossier La Chapelle Nord a été accepté. Reste à lancer Activ’18, le nom donné à l’entreprise à but d’emploi. Des chômeurs sont partants.

Cela faisait belle lurette que le quartier de Charles Hermite (3 600 habitants) n’avait pas remporté une bataille. Avec le démarrage dans les prochaines semaines de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) et la création à terme de dizaines d’emplois, la spirale décliniste pourrait être renversée. Explications.

Situé à proximité de la porte d’Aubervilliers, souffrant de difficultés économiques et d’un isolement que l’arrivée du tramway n’a pu endiguer, ce quartier a vu débarquer ces derniers temps une drôle d’idée, à la fois utopique et réaliste. Des militants de la lutte contre la misère (ATD Quart monde) ont échafaudé quelques années plus tôt un concept révolutionnaire. Plutôt que de payer des chômeurs à se morfondre dans l’ennui et la relégation sociale, il s’agit d’affecter l’ensemble des coûts du chômage* (estimés à 18 000 € par an et par personne) pour financer de l’emploi utile au territoire et à la population. Précision importante : les chômeurs de plus d’un an qui entrent volontairement dans l’entreprise à but d’emploi (EBE) bénéficient d’un contrat à durée indéterminée (CDI), payé au moins au SMIC.

La municipalité du 18e a lancé en 2019 une démarche de mobilisation du quartier (auquel on a greffé la résidence Valentin Abeille de 200 logements, très enclavée, porte de La Chapelle) pour entrer dans le dispositif TZCLD. Dans un premier temps, une information est faite auprès des chômeurs pour leur expliquer le projet et tordre le cou, mois après mois, au fatalisme ambiant : même après deux ou trois ans de chômage, on peut retrouver du travail.

Un groupe de « pionniers »

Au début, le scepticisme est bien partagé, mais certains habitants veulent croire au projet. C’est le cas d’Adam Sy, une femme d’origine malienne. « Moi, je m’occupais d’enfants au domicile des parents, raconte-t-elle. Mais des problèmes de santé m’ont obligée à arrêter. J’ai une reconnaissance de mon handicap, mais je voulais travailler. Je me suis adressée au centre social Rosa Parks et on m’a parlé de Territoires zéro chômeur. » Adam explique que beaucoup de gens se demandaient si ce projet d’extinction du chômage de longue durée « c’était vrai ». Elle poursuit : « Fin 2021, j’ai appelé Sylvie Lewden [la coordinatrice de TZCLD dans le 18e, NDLR] et j’ai vu que c’était sérieux, ce projet. » Maintenant, Adam Sy fait partie du groupe d’une quinzaine de « pionniers » qui seront les premiers à être embauchés par l’EBE. Elle se verrait bien, du fait de son handicap, agent d’accueil, mais elle est prête à faire autre chose, si besoin.

Le projet attire également des bénévoles qui ne viennent pas pour travailler, mais pour soutenir. Depuis fin 2021, Bénédicte Lavoisier traverse tout Paris (elle habite le 15e) pour donner un coup de main. « Je viens de prendre ma retraite. J’ai trouvé que TZCLD était le seul projet associatif qui ne fait pas appel à la charité. »

Après des mois de préparation et de réunions, le dossier de La Chapelle Nord a été déposé en avril dernier auprès du fonds d’expérimentation qui sélectionne les territoires. Des membres de celui-ci se sont déplacés en juin pour vérifier les réalités de terrain. Et mi-juillet, le dossier du 18e était retenu par le fonds. Reste maintenant à lancer Activ’18, le nom donné à l’EBE de ce quartier, qui devrait intervenir avant la fin de l’année.

150 emplois à terme

Alors que va-t-il se passer dans les prochaines semaines ? « Notre objectif sur les cinq années de l’expérimentation est de créer 150 emplois, explique Sylvie Lewden. Mais, dans un premier temps, nous allons démarrer avec une douzaine de personnes. » Plusieurs activités sont prêtes à être lancées. Rue Tristan Tzara, une boutique solidaire vendra des vêtements et des accessoires. « Nous avons constaté, précise la coordinatrice, qu’il n’y avait pas de friperie dans le secteur. » Les activités de TZCLD ne doivent jamais en concurrencer une autre. Il s’agit de répondre à un besoin qui n’est pas satisfait.

Une autre nécessité a été identifiée en direction des personnes âgées, particulièrement nombreuses à Charles Hermite. « Le collectif Vieillir vivant a mené un travail d’observation et a défini des métiers imaginaires, relate Sylvie Lewden. Paris Habitat en a retenu un, celui de veilleur social mobile que nous allons expérimenter. » Il s’agit de se promener dans le quartier pour être à l’écoute des besoins des habitants, en premier lieu des séniors. Dans le même ordre d’idée, le quartier s’est rapproché de la structure Voisin malin pour développer des actions de médiation.

Le troisième axe de l’EBE est la restauration. L’objectif est de favoriser la diversité de l’offre, actuellement insuffisante, en s’orientant vers un lieu mobile. Un projet de transformation du pain dur, notamment en chapelure, est dans les tuyaux. Mais cette activité alimentaire ne devrait pas démarrer tout de suite.

Un chiffre d’affaires à générer

D’autres idées ont été creusées comme l’information de la population sur la valorisation des déchets, la participation à une enquête officielle sur la santé des habitants. Et puis le tissu économique, notamment Métro et Cap 18, pourrait également solliciter des services auprès d’Activ’18. Attention, les subventions de l’Etat ne permettent pas de prendre en charge tous les coûts : une part de chiffre d’affaires est nécessaire.

Adjointe au maire depuis juillet 2020, chargée notamment de l’emploi, Gabrielle Siry-Houary a pris le relais de Claudine Bouygues qui avait initié le projet. Elle explique que ce dernier a été freiné par le Covid. « Le plus complexe, analyse-t-elle, a été de maintenir le lien avec les habitants pionniers dans une période très compliquée. »

L’élue se félicite de la mobilisation de tous les acteurs : « Pôle emploi a été très réceptif au projet. Il voulait s’engager dans une démarche de type “aller vers”.  » Gabrielle Siry-Houary replace TZCLD dans un contexte plus général : « D’autres emplois vont être créés dans le quartier grâce aux clauses sociales qui obligent les grandes entreprises de la porte de La Chapelle à embaucher des habitants. »

Pour éviter les embûches, Activ’18 présente un atout : l’EBE pourra bénéficier des cinq années d’expérience de TZCLD dans le 13e arrondissement. D’autre part, des coopérations existent déjà avec le quartier voisin de Rosa Parks, retenu quelques mois avant La Chapelle Nord. Et dans ce tableau optimiste, ce cri du cœur de la pionnière Adam Sy : « Je suis confiante. J’en veux. » •

Photo : Thierry Nectoux

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novembre 2024