La magie et la religion peuvent-elles faire bon ménage ? Alexandre Denis, prêtre de la paroisse de Saint-Pierre-de-Montmartre et magicien patenté vit cette double casquette avec une grande sérénité.
C’est une double vocation qui a déterminé très jeune le parcours atypique de celui que ses paroissiens appellent le père Alex. Les premiers signes de la vocation sacerdotale apparaissent aux alentours de sa dixième année, se manifestant par une sensibilité particulière à la vie intérieure, à la prière, une proximité avec Dieu qui grandit avec lui. Au même âge, il commence également à faire de la prestidigitation. « J’avais un instit qui m’a appris les premiers trucs, puis j’ai appris tout seul, se souvient il. C’était une passion, je passais beaucoup de temps à manipuler des cartes, des objets jusqu’à ce que cela devienne quelque chose de fluide. Et je n’ai jamais arrêté de le faire, avec des hauts et des bas, comme dans ma vocation sacerdotale. » Après des études d’arts appliqués, c’est au moment du service militaire que la vocation religieuse est revenue et s’est concrétisée par l’entrée au séminaire : « Quand j’ai été ordonné prêtre, j’ai demandé à pouvoir reprendre le contact avec le monde du spectacle et maintenant, cela occupe une grande partie de mon temps. »
Un rapide ancrage montmartrois
Cela fait trois ans qu’Alexandre Denis a été appelé à officier à la paroisse de Saint-Pierre-de-Montmartre pour pourvoir au poste vacant. « J’étais déjà venu une ou deux fois ici, mais je ne connaissais pas du tout la réalité paroissiale, la vie montmartroise. » Pour lui, cette vie n’est pas un mythe : « Il y a le tourisme omniprésent mais il y a une vraie vie de quartier, des gens qui habitent là, des associations nombreuses qui le font exister. » En tant que prêtre de la paroisse, il en suit de près les évènements les plus intimes, comme les enterrements, ou les baptêmes. « Il y a beaucoup de jeunes familles, présentes avec les enfants à la messe de 10 h 30 le dimanche matin, ça fait un boucan d’enfer sympa et vivant. Je me disais que ça allait être une paroisse un peu morte dans un Dysneyland parisien, mais ce n’est pas du tout le cas. » Dans ce quartier, où rôdent les fantômes de tant de gens du spectacle, Alexandre Denis se sent comme un poisson dans l’eau : « Ça me correspond très bien, avoue-t-il. Le quartier est encore très artistique, quoi qu’on en dise. » Il lui arrive même parfois d’aller faire le bœuf avec les guitaristes manouches du Clairon des chasseurs. Car le Père Alex est aussi musicien.
Une vie à double sens
Alexandre Denis n’est pas moitié prêtre, moitié magicien. « Je suis cent pour cent les deux. Ici, dans la paroisse, tout le monde sait que je suis magicien, affirme-t-il. Mais être prêtre, ce n’est pas vraiment un métier, c’est un état qui s’accommode de toutes sortes d’activités. Le risque est de s’exclure de la vie quotidienne partagée par tous et d’être un peu hors sol, alors qu’être prêtre c’est être présent au monde, en étant disponible à toutes les questions. » Le monde du théâtre, l’autre moitié de sa vie, où il opère en tant que décorateur et accessoiriste, entretient historiquement une relation un peu particulière avec la religion. Inversement, dans l’imagerie religieuse, la magie représente le commerce avec les forces supérieures, l’association avec la magie noire. « De fait, la magie fait advenir des choses impossibles et il pourrait y avoir de l’ambiguïté. », concède-t-il même si pour lui, il n’y a pas vraiment dichotomie. Sa fonction ne lui permet bien sûr pas de travailler pour n’importe quel type de spectacle, mais finalement il est assez libre : « La première fois que j’ai travaillé pour le théâtre, la pièce s’intitulait Chapitre XIII et se situait au Moyen Âge, à l’époque de l’Inquisition, il y avait des scènes de torture. J’ai lu le texte, il n’y avait rien contre l’Eglise, c’était un spectacle sur les codes du Grand Guignol et ce fut une super expérience », qui a valu à la pièce le Molière de la meilleure création visuelle. « C’est intéressant de travailler avec des gens qui ont d’autres idées. Je ne suis pas là pour valider moralement les pièces, explique-t-il. Par exemple, je vais travailler pour un copain magicien, un spectacle de cabaret dans lequel il y a un effeuillage, un lancer de couteaux. »
Un sacerdoce dans la cité
Néanmoins, ses deux activités restent bien séparées et la magie n’est pas au cœur de sa vie sacerdotale. Les mots, comme « croyance », peuvent prêter à confusion mais pour Alexandre Denis, les choses sont bien claires : « La plupart des magiciens sont assez sceptiques et assez loin des questions de foi car ils sont extrêmement rationnels. La magie, c’est la résolution de problèmes pour arriver à un effet invisible, et c’est la convention du spectacle de croire que le magicien a des pouvoirs. Alors que l’objet de la foi, c’est l’inverse, c’est de croire en quelque chose pour lequel on n’a pas de preuves, c’est une expérience personnelle. » Pour le père Alex, cette double appartenance donne du sens à son sacerdoce : « C’est important pour l’Eglise cette vie de prêtre au travail. Ce n’est pas simplement un à côté qui contribuerait à un équilibre, c’est aussi un apostolat au travail, comme il y a des prêtres ouvriers qui accompagnent des catégories de populations que sinon, on ne voit jamais. » Cette ouverture au monde de l’art est d’ailleurs une aubaine pour l’organiste et compositeur Michel Boedec, organisateur d’une saison musicale dans l’église. « Pour moi, pour le lieu, c’est une chance : c’est quelqu’un d’enthousiaste qui sait déléguer, mais qui s’intéresse au contenu, se félicite-t-il. Il vient au concert, rencontre les artistes, est curieux des instruments. Il croit à une Eglise ouverte et l’inscrit dans la ville, avec la participation à la Nuit blanche par exemple. Il aide à ce que cette église revive de propositions artistiques. » La programmation du festival n’est pas particulièrement religieuse, mais cela ne gêne pas le père Alex , bien au contraire : « Promouvoir l’activité artistique a toujours été dans notre tradition. Je trouve cela très fructueux lorsque les artistes qui sont invités respectent le lieu mais proposent autre chose. » Alexandre Denis s’autorisera peut-être prochainement à mêler ses deux compétences dans un nouveau spectacle incluant les paroissiens de tous âges, un peu dans l’esprit des mystères que l’on jouait autrefois sur le parvis des églises.
Photo : Thierry Nectoux