avril 2024 / Le dossier du mois
Fermeture de classes, groupes de niveau : la fabrique des inégalités
À la rentrée prochaine, plus d’une trentaine de fermetures de classes sont prévues dans le 18e arrondissement. Un nouveau coup dur pour le personnel enseignant et les parents d’élèves.
Comme le chante Jean-Marie Cariolet dans son récent morceau Cartons, « la carte scolaire est toute pétée ». Plus connu sous le nom de Pupajim, l’enseignant-chercheur ne croit pas si bien dire, puisque les nouvelles fermetures de classes vont contraindre élèves et professeurs à déménager. Dans le 18e, de la maternelle au collège, en passant par l’élémentaire, 34 fermetures de classes sont prévues, contre cinq ouvertures. Une décision vivement contestée par l’ensemble de la communauté éducative. C’est pourquoi, comme il y a un an (lire notre numéro 313), les établissements et les parents d’élèves du 18e ont multiplié les opérations en tout genre afin de dénoncer une nouvelle carte scolaire au rabais. Cette année, les collèges se sont soulevés aussi, faisant fleurir une nuée de banderoles hostiles à la création de groupes de niveau.
L’école buissonnière
Le 12 mars, une semaine avant une grève des enseignants, quatre collèges de l’arrondissement ont participé à l’opération collèges morts, dont George Clémenceau, à la Goutte d’Or, où aucun élève n’était présent ce jour-là. Chez les plus jeunes, la fronde s’est aussi fait entendre. Comme à l’école Houdon, située entre Abbesses et Pigalle. « On a empêché les élèves d’aller en classe entre 8h30 et 9h, explique une enseignante de l’école, invitée à prendre la parole lors d’une réunion organisée le 14 mars à la mairie du 18e. Les enfants étaient d’ailleurs très mobilisés, comme s’ils avaient pris conscience que leur école était en danger ». Et pour cause, cette école élémentaire comptait encore douze classes il y a quatre ans ; aujourd’hui, elle n’en dispose plus que de neuf et en perdra une de plus à la rentrée prochaine. « On sent qu’il y a un vrai impact sur l’équipe enseignante qui perd en énergie car les conditions d’enseignement sont moins bonnes et qu’elles vont encore se dégrader, donc on essaye de mobiliser au maximum les parents. Ces derniers doivent soutenir les équipes pédagogiques car mine de rien, on a besoin d’être tous ensemble. » Être tous ensemble. Voilà le maître mot d’Eric Lejoindre et Sylvaine Baehrel lors de la réunion du 14 mars, organisée par la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) et la mairie du 18e.
Inquiétude et incompréhension
Face au maire et à l’administratrice de la FCPE Paris : quelques élus locaux mais surtout des professeurs et des parents d’élèves de l’arrondissement. Inquiets, ils ont été encouragés à demander une audience individuelle au rectorat et à se faire entendre collectivement pour que celui-ci cède sur un maximum de fermetures, lesquelles touchent 16 écoles de l’arrondissement. Parmi elles, celle de la rue Sainte-Isaure, près de Jules Joffrin, qui a subi un double coup de massue, puisque la Mairie a effectué un changement de sectorisation de l’établissement, lui faisant perdre la cité Blémont - « qui participait à la mixité de l’école », une dizaine de familles et donc bientôt une classe. Un choix incompréhensible aux yeux d’une professeure présente ce soir-là, mais visiblement effectué dans un but préventif : rééquilibrer certains secteurs du 18e - où le nombre d’enfants scolarisés est en baisse - et ainsi éviter la fermeture de certaines écoles.
C’est dans ce contexte d’inquiétude générale que s’est tenu le 15 mars le Conseil départemental de l’éducation nationale (CNED) du premier degré, censé acter en première instance les ouvertures et fermetures proposées par le rectorat, qui était déjà revenu sur six fermetures dans le 18e. Mais ce soir-là, à 22 h, après plus de douze heures de réunion infructueuses, la séance a été suspendue puis reportée au vendredi suivant. Insuffisant néanmoins pour faire flancher l’académie, qui a validé la fermeture de vingt classes dans le premier degré dont cinq à l’école des Cloys, qui fermera ses portes (lire notre numéro 323). A l’échelle parisienne, vingt huit fermetures seront réexaminées en juin. Parmi elles, celle de l’école Tchaïkovski, près de laquelle a eu lieu le meurtre d’un jeune de 18 ans le 12 mars dernier. « L’inspectrice, que nous avons sollicitée maintes fois, n’a jamais daigné nous répondre. Sa supérieure non plus, explique un parent d’élève sur le réseau social X. Alors, à la rentrée prochaine, si rien ne bouge, les enfants en petite et moyenne sections seront 26 par classe. » Un chiffre qui tranche avec la moyenne de vingt élèves par classe dont se vante l’académie de Paris dans son communiqué de presse du 22 mars.